La campagne électorale tire à sa fin et plusieurs s'en réjouissent, tellement les débats ont été pollués par la démagogie. Parmi le fatras d'accusations et d'insinuations, l'électeur doit dégager les enjeux les plus importants, ceux qui détermineront son vote lundi prochain. À notre avis, ces enjeux sont au nombre de trois: la prospérité, le risque d'un autre référendum, le respect des droits des minorités.

Pour un Québec prospère

Avant tout, les Québécois sont préoccupés par la situation économique fragile de la province. Si tous les partis ont dit faire de l'économie une priorité, ce thème est vite passé au second plan, tassé par la crainte d'un référendum, les dérapages sur la Charte des valeurs et les attaques vicieuses de part et d'autre.

Au cours des 12 derniers mois, le Québec a perdu près de 50 000 emplois à temps plein. En 2013, la croissance a été deux fois plus faible ici que dans l'ensemble du Canada. Plusieurs facteurs sont à l'origine de ce piétinement, mais l'inquiétude suscitée par les politiques irréfléchies du gouvernement de Pauline Marois y a certainement contribué. Malgré le recentrage des derniers mois, les préoccupations demeurent. Quelles orientations adopterait un Parti québécois réélu, celles dictées par Pierre Karl Péladeau ou celles préférées par l'aile gauche du gouvernement?

Le Parti libéral du Québec a fait de la création d'emplois l'élément central de sa plate-forme électorale. M. Couillard s'est entouré d'une équipe compétente, qui n'entretient pas d'arrière-pensées à l'égard de l'entreprise privée et de l'exploitation de nos richesses naturelles. Enfin, le programme libéral est plus réaliste que celui de la Coalition avenir Québec, même si François Legault a mis de l'avant des idées intéressantes, notamment son Projet Saint-Laurent (dont le PLQ s'est inspiré pour sa Stratégie maritime).

Pour un Québec stable

Les Québécois ont rejeté à deux reprises la séparation proposée par le PQ. Chaque fois, le débat a brisé des amitiés et déchiré des familles. La grande majorité des citoyens ne veut pas revivre un tel traumatisme. Or, malgré l'ambiguïté savamment entretenue par madame Marois, il est clair que si le Parti québécois obtient la majorité convoitée, il fera tout en pouvoir pour mousser la popularité de son projet. Les Drainville, Lisée, Duchesne et autres ne se sont pas lancés en politique pour gérer une province. Ils savent que le vieillissement de la population joue contre leurs desseins. Aussi n'hésiteront-ils pas à faire une ultime tentative. Leurs manoeuvres accapareront les énergies du gouvernement et celles de tous ceux qui participeront à ce débat. Le Québec ne peut pas se permettre une telle distraction.

La province n'a pas seulement besoin d'un gouvernement qui ne relancera pas le débat sur l'avenir politique du Québec. Il lui faut un gouvernement qui jouera un rôle constructif au sein de la fédération. Contrairement à la CAQ de François Legault, le Parti libéral de Philippe Couillard comprend que l'appartenance du Québec à l'ensemble canadien est un atout, pas un pis-aller.

Pour un Québec accueillant

Le slogan électoral du Parti québécois parle de faire du Québec un lieu plus accueillant. Comment réconcilier cette prétention avec la Charte des valeurs, véritable épouvantail tourné vers les milliers de Québécois de souche ou immigrants qui pratiquent une religion? L'interdiction des signes religieux pour tous les employés d'organismes publics est une mesure excessive ne s'appuyant sur rien d'autre que les craintes insensées des uns et les préjugés grossiers des autres.

On l'a dit et redit: la plupart des mesures prévues par la Charte font consensus et auraient pu être adoptées rapidement par l'Assemblée nationale. Seule la proscription des signes religieux pose problème, et pour cause: il s'agit d'une violation flagrante de la liberté de religion protégée par les chartes des droits canadienne et québécoise.

Le débat sur la Charte des valeurs a divisé la société québécoise et provoqué angoisse et tristesse au sein des communautés culturelles. Si le Parti québécois est reporté au pouvoir avec une majorité, l'interdiction des signes religieux deviendra réalité, avec des conséquences néfastes, notamment pour l'attraction des immigrants et pour leur adaptation au Québec.

Dans ce dossier, le PLQ s'est porté à la défense des droits des minorités. Cette position n'est peut-être pas la plus populaire, mais c'est la plus juste. Bien plus que le gourdin péquiste, l'approche libérale favorisera l'intégration harmonieuse des nouveaux arrivants.

3 raisons + 1

La Coalition avenir Québec et Québec solidaire ont apporté des contributions utiles au débat public et méritent certainement de compter des représentants à l'Assemblée nationale. Cependant, sur les trois enjeux principaux de cette campagne, nous estimons que le Parti libéral a un programme plus solide, davantage susceptible de rétablir l'harmonie sociale et de générer la croissance.

À ces raisons de voter libéral s'ajoute une considération stratégique: dans la plupart des circonscriptions, c'est le candidat libéral qui est le mieux placé pour battre le représentant péquiste. Or, étant donné les politiques nuisibles mises de l'avant par le gouvernement de Pauline Marois depuis 18 mois, il faut avant tout éviter de reporter le Parti québécois au pouvoir.

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Pourquoi
La Presse prend-elle position?

À toutes les élections, certains de nos lecteurs sont étonnés de voir l'éditorial de La Presse prendre position en faveur d'un parti. Cette tradition est pourtant bien établie dans les grands quotidiens d'Amérique du Nord. Sa raison d'être est simple: si la colonne éditoriale s'exprime quotidiennement sur les enjeux auxquels la société est confrontée, pourquoi se tairait-elle au moment où les citoyens doivent choisir leur prochain gouvernement? Il ne s'agit pas d'imposer un point de vue à nos lecteurs, mais de leur proposer un raisonnement qui, nous l'espérons, alimentera leur réflexion. Dans le même but, au cours des dernières semaines, nos pages Débats ont offert un vaste éventail d'opinions sur les thèmes-clés de la campagne électorale.

Une muraille de Chine

Cet éditorial exprime le point de vue de la haute direction de La Presse. Il n'engage en rien la rédaction du journal, dirigée avec brio par Éric Trottier et son équipe. Nos journalistes continuent de travailler en toute indépendance. À La Presse, une muraille de Chine sépare l'information et l'éditorial. Ce mur est étanche, en campagne électorale comme à tout autre moment.

André Pratte, éditorialiste en chef