À la suite des récentes tragédies ferroviaires et routières qui ont frappé le Canada, la France, l'Espagne et l'Italie, des mesures seront prises dans ces pays «pour que ça ne se reproduise plus.» Cela ne compensera pas les vies fauchées mais, au moins, ces accidents auront servi à rendre ces modes de transport plus sécuritaires. Toutefois, ne nous imaginons pas que «ça» n'arrivera plus.

Les tragédies de l'ampleur de celles de Lac-Mégantic sont rarissimes. Il en est ainsi parce qu'elles résultent le plus souvent d'une succession de décisions et d'événements, échelonnés parfois sur une longue période et dont la combinaison est très peu probable. C'est parce que cette probabilité est infime que les responsables n'ont pas agi pour prévenir un tel scénario. Le risque ne devient évident qu'après coup.

Ainsi, l'accident de Lac-Mégantic trouve sa source dans la décision du Canadien Pacifique de se délester, il y a une vingtaine d'années, des voies ferrées à l'est de Montréal parce qu'elles n'étaient plus rentables. Les rails ont été récupérés par la Montreal, Maine&Atlantic Railways, dont les finances ont toujours été trop fragiles pour qu'elle puisse entretenir correctement les voies, même en supposant que ses dirigeants l'aient souhaité. Il y eut ensuite la décision de MMA de confier des trains à un seul conducteur, et celle de Transports Canada d'accepter. Le soir de la tragédie, un incendie a éclaté dans une des locomotives du convoi funeste. Les pompiers ont éteint le moteur. Les freins se sont relâchés. Enfin, il a fallu que cela se produise par une chaude nuit d'été, alors que le Musi-Café était bondé. Les mêmes coïncidences se seraient produites un soir de semaine, l'hiver, que le bilan aurait été beaucoup moins lourd.

Les enquêtes sur les tragédies de Brétigny-sur-Orge, de Saint-Jacques-de-Compostelle et d'Avellino révéleront sans doute une série similaire de gestes et de hasards. On ne pourra jamais se protéger complètement contre de tels événements. Certains accusent: c'est la déréglementation! Peut-être. Rappelons tout de même qu'en Espagne et en France, les compagnies impliquées sont des sociétés d'État. Pas de Harper, pas de Burkhardt à blâmer dans ces cas-là.

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Depuis trois semaines, toute notre attention est tournée vers Lac-Mégantic, qui vit un drame humain, écologique et économique d'une envergure sans précédent au Québec. Cette communauté a besoin du soutien de tous, pour longtemps.

Ne perdons toutefois pas de vue le fait que chaque jour, des dizaines de Québécois vivent une sorte de Lac-Mégantic personnel. Leur jeune fille vient d'être emportée par le cancer. Leur conjoint, en pleine forme jusque-là, a succombé à une crise cardiaque. Leur père glisse dans l'enfer de l'Alzheimer. Leur adolescent s'est pendu. Même si les médias en parlent peu, même si les politiciens ne voient pas de bénéfices à s'intéresser à leur sort, ces gens-là ont aussi besoin de notre appui.