Le gouvernement fédéral devrait-il décriminaliser la marijuana ? Devrait-on aller jusqu'à sa légalisation, comme le propose le chef libéral Justin Trudeau ?

DÉCRIMINALISER, PUIS LÉGALISER

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue

Pourquoi la marijuana est-elle illégale, sauf pour certains usages médicaux? Pour protéger la population des effets néfastes sur la santé? Si l'État était si préoccupé par la santé publique, il devrait interdire l'alcool et le tabac, dont le potentiel de dépendance psychologique et physique s'avère supérieur au cannabis. L'interdiction de l'alcool durant le temps de prohibition aux États-Unis a toutefois bien démontré la futilité et les dangers d'un tel interdit: la consommation a continué et le crime a proliféré, faisant de nombreuses victimes, parfois innocentes. À qui profite l'illégalité de la marijuana? Aux gangs de rue et aux revendeurs. Le produit légal serait taxé avec des bénéfices pour l'État, mais aussi contrôlé quant à sa qualité à la manière de l'alcool. Rendre le cannabis légal faciliterait l'éducation quant à son utilisation et ses effets secondaires, non négligeables. Le cannabis est déjà permis à certaines fins médicales. Cependant, peu de recherches ont été réalisées pour déterminer les doses appropriées, les bénéfices comparatifs et les effets secondaires. Il est difficile d'étudier adéquatement un produit illégal, au contenu de THC variable. Après une étape de décriminalisation immédiate, une discussion sur les modalités de la légalisation devrait suivre.

DOUBLE MESSAGE

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

Chaque année, je vois les ravages de la consommation excessive de drogues chez certains ados et l'inefficacité des mesures coercitives. Alors que plusieurs considèrent la marijuana comme un produit «de loisir», pour plusieurs, c'est une composante essentielle du quotidien, pour être capable de dormir, pour atténuer une douleur physique ou pour ressentir moins intensément une tristesse, voire un état dépressif. Le fait d'avoir criminalisé le pot a enlevé des mains des autorités toute forme de contrôle. On ne contrôle pas les quantités achetées ni la teneur en THC de ce qui est vendu. En plus, pour faire exploser la puissance du produit, les producteurs ont souvent recours à des «additifs» ou à des méthodes de culture qui fortifient le «buzz», ce qui enclenche souvent une spirale de dépendance. En décriminalisant ou en légalisant la mari, on enverrait un double message discutable. Premièrement, le public pourrait déduire que le produit n'est pas si nocif que ça puisqu'il serait légal: la consommation pourrait conséquemment augmenter. Deuxièmement, on pourrait trouver relativement indécent de percevoir d'éventuelles taxes sur la vente d'un produit psychotrope.

Stéphane Lévesque

DES REVENUS POUR L'ÉTAT

Michel Kelly-Gagnon

Président de l'Institut économique de Montréal, il réagit à titre personnel



Indépendamment des opinions ou préférences personnelles, il faut admettre un fait économique élémentaire : s'il existe une demande pour un bien, une offre finira par apparaître - légale ou non. C'est le résultat de ce que les économistes appellent la « souveraineté du consommateur ». Nous devrions laisser les gens consommer librement ce qu'ils veulent, et mettre plutôt nos efforts à combattre les véritables crimes (par exemple, les agressions sur la personne et la propriété). D'ailleurs, d'un point de vue économique, nous gagnerions tous à cesser de gaspiller des ressources pour empêcher ces échanges, et laisser plutôt ce marché se développer. L'État pourrait alors le réglementer, et y percevoir des taxes. Je ne suis habituellement pas en faveur de nouvelles taxes, mais dans ce cas-ci, une telle réforme serait beaucoup plus efficace économiquement que le régime actuellement en place. Uniquement en Colombie-Britannique, où se trouvent plusieurs plantations illégales de marijuana, la légalisation pourrait générer des revenus de 2,5 milliards $ pour le gouvernement sous forme de taxes et de droits, sur une période de cinq ans, selon une recherche de l'Université Simon Fraser. Autant le Wall Street Journal que The Economist, qui sont tout sauf des repaires de «poteux», défendent essentiellement la même position que M. Trudeau!

UN JOUR OU L'AUTRE

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



En faisant cette proposition, Justin Trudeau se démarque des autres candidats potentiels au poste de premier ministre du Canada. Comme son paternel, Trudeau fils a compris qu'il faut se distancer des autres et tenter par tous les moyens d'être constamment sous les feux de la rampe. Sa déclaration portant sur la légalisation de la marijuana est l'exemple parfait du dicton qu'appliquent à la lettre Justin Trudeau et ses conseillers: « En bien ou en mal, l'important c'est que l'on parle de toi. » Un jour ou l'autre, Trudeau ou non, la consommation et la possession de la marijuana seront légalisées et la société entière profitera des impôts et taxes provenant de cette industrie.

NON À LA COMMERCIALISATION

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



La proposition de Justin Trudeau est audacieuse pour un chef qui aspire à devenir premier ministre du Canada, mais difficile à mettre en pratique. Non seulement veut-il décriminaliser le cannabis, ce qui est déjà fait lorsqu'on le consomme pour utilisation personnelle, mais il veut le légaliser afin de mieux en contrôler le commerce et surtout retirer des revenus de taxation pour l'État. Le problème de la mise en application d'une telle mesure consiste à assurer la qualité du produit consommé, qui ne créera pas de dépendance (?), et serait inoffensif pour la santé (?). En quoi le cannabis serait-il moins nuisible que la cigarette pour la santé publique? Où pourrait-on en fumer dans les lieux publics? Y aurait-il des petits gâteaux à base de cannabis? Pour exercer un certain contrôle, l'État québécois devrait-il devenir producteur ou au moins distributeur de cannabis? Sinon, le crime organisé se ferait un plaisir d'occuper toute la place, le profit a horreur du vide n'est-ce pas? Un beau débat en perspective. Personnellement, je m'oppose à la commercialisation du cannabis, donc à sa légalisation, sauf sous ordonnance médicale. Ainsi, il faut éviter de promouvoir une drogue qui peut amener une forte dépendance et augmenter nos coûts du système de santé.