Le remaniement ministériel auquel procède aujourd'hui Stephen Harper permettra-t-il de relancer son gouvernement? Que pensez-vous des choix qu'il a faits? 

Yolande Cohen

Historienne, UQAM

UN SIGNE DE FAIBLESSE

Le premier ministre Harper a aujourd'hui procédé à un remaniement ministériel important avec l'ajout de huit députés, relativement peu connus, à des postes de haut niveau. Il faut noter que ce sont principalement des jeunes et des femmes qui sont chargés d'incarner ce sang neuf. C'est là, peut-on penser, une bonne nouvelle. Toutefois, cette stratégie, qui consiste à aller chercher des femmes quand le parti est en perte de vitesse dans les sondages, a déjà été utilisée et n'a pas donné les résultats escomptés. On se rappellera l'expérience désastreuse de Kim Campbell, appelée au secours in extremis et qui, après six mois à la tête du gouvernement, a laissé le parti exsangue et au bord de l'implosion.

Pour un premier ministre et un parti qui ne se sont pas montrés très ouverts aux préoccupations des jeunes et des femmes, ce remaniement signale plutôt la faiblesse d'un gouvernement qui se cramponne à sa base dans l'Ouest du pays et aux milieux traditionnellement conservateurs et qui comptent pour lui. Je doute que ces nouvelles recrues puissent changer véritablement l'orientation du gouvernement.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.

UN IMPACT LIMITÉ

Dans un système de gestion très centralisé, comme le gouvernement Harper, un remaniement ministériel a ordinairement peu d'impact sur le choix du programme politique à suivre et sur le support de l'électorat. C'est sur ce second aspect que l'impact risque de se faire quelque peu sentir. Choisir des ministres qui communiquent mieux et qui passent un message positif sur la capacité du gouvernement à se renouveler pourrait aider à une certaine relance de ce gouvernement. Il faudra voir si les nouveaux venus au cabinet projetteront ce message ou s'ils feront de nombreuses erreurs. 

Je ne m'attends pas à un changement majeur généré directement par ce remaniement. M. Harper va continuer de miser sur la croissance économique ainsi que sur la réduction du déficit budgétaire fédéral. Je pense que des événements comme la catastrophe à Lac-Mégantic forceront le gouvernement à valoriser davantage le rôle de l'État au niveau de la réglementation définissant les règles de fonctionnement dans les marchés et le suivi de ces règles, dans le but de mieux protéger le bien-être des Canadiens. Ces temps-ci, le laisser-faire et l'autoréglementation des entreprises privées sont moins bien perçus.

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux.

LE QUÉBEC DEMEURE UNE ÉNIGME

Le nouveau lieutenant pour le Québec, le ministre Denis Lebel, est devenu l'homme fort du gouvernement conservateur pour le Québec au détriment de Christian Paradis, qui a perdu du gallon, héritant du Ministère du développement international et de la francophonie. En plus de s'occuper de l'important programme d'infrastructures et des collectivités du ministère des transports, M. Lebel demeurera le porte-parole francophone de la nouvelle ministre des Transports, qui est unilingue anglophone. Il devient en plus, ministre des Affaires intergouvernementales, ministre de l'Agence de développement économique du Canada pour les régions du Québec et gardera sous sa tutelle le contrôle de l'important dossier du Pont Champlain.

Steven Blainey a obtenu une promotion en tant que ministre de la Sécurité publique, un ministère important pour un gouvernement conservateur soucieux de faire adopter des lois contraignantes en matière de sécurité. Enfin, Maxime Bernier, ministre d'État à la petite entreprise et à l'agriculture, doit être déçu, puisqu'il demeure au neutre sur le plan politique, ce qui n'est pas le cas de Chris Alexander, ex-ambassadeur en Afghanistan, qui devient ministre de l'Immigration. C'est l'étoile montante du gouvernement Harper, avec Shelley Glover, députée du Manitoba, parfaitement bilingue, qui devient ministre du Patrimoine et des Langues officielles. Le noyau central du conseil des ministres demeure inchangé avec Jim Flaherty aux Finances, Tony Clément au Conseil du Trésor et John Baird aux Affaires étrangères, ce qui assure une stabilité au gouvernement fédéral. En somme, un léger brassage de cartes pour le Québec, qui demeure une énigme pour Stephen Harper.





Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.

CHAISE MUSICALE

Un remaniement ministériel n'est rien d'autre qu'un simple jeu de chaise musicale. Celui-ci n'est pas différent. On change de portefeuille tout en se gardant bien d'exprimer sa propre opinion et sans tenir compte, la plupart du temps, de l'opinion des citoyens qui sont responsables de notre élection.

Le gouvernement conservateur, sous la direction de Stephen Harper, ne laisse pas une très grande marge de manoeuvre aux députés et encore moins à ceux et celles qui ont la chance de se voir confier un ministère. La chaise occupée ne changera rien au fait que la ligne de parti et la langue de bois devront être respectées scrupuleusement, sans quoi le siège deviendra vite éjectable. Quant aux «petits nouveaux» obtenant un ministère, ils seront soumis aux mêmes règles et devront marcher droit afin, non pas de satisfaire le citoyen mais plutôt de reporter à tout prix au pouvoir le Parti conservateur.