Si la grève dans l'industrie de la construction devait se prolonger, le gouvernement Marois devrait-il adopter une loi spéciale pour y mettre fin?

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



DES CONDITIONS DÉJÀ AVANTAGEUSES

Allez lire sur le site du syndicat québécois de la construction, c'est éclairant. Les salaires des travailleurs, tous métiers confondus, tournent autour de 30 $ l'heure. Multiplié par 40 heures, ça fait 1200 $ et multiplié par 50 semaines, ça fait 60 000 $ par année. Les publicités syndicales avancent que les employés de la construction gagnent en moyenne 35 000 $... Où est la différence? Pour qu'ils gagnent en moyenne 35 000 $, il faudrait qu'ils ne travaillent que 29 semaines complètes. Que penser du régime d'assurances extrêmement généreux auquel l'employeur contribue à 75 %... Et le temps double ! 60 $ l'heure! Plus l'atteinte du maximum salarial en cinq ans (17 ans pour les profs...). Plus le stationnement payé à proximité des chantiers. Plus des vacances garanties pendant l'été dans un Québec où on ne peut souvent travailler durant l'hiver. Plus la possibilité de ne faire qu'une seule demande de chômage par année pour éviter les délais de carence... Sans compter les petites «jobines» au noir qui payent le voyage dans le Sud avec la famille. Le tout, après des études de deux ou trois ans, même pas besoin d'aller au cégep, encore moins à l'université. Vous voulez savoir pourquoi nos garçons décrochent tant de l'école ? On leur démontre qu'on peut faire la belle vie dans la construction sans faire d'études. La ministre a tout mon appui pour mettre beaucoup d'eau dans leur vin.

Stéphane Lévesque

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux

UNE LOI SPÉCIALE MUSCLÉE

Malgré les allégations de corruption et de collusion dans le secteur de la construction, tout se passe comme si rien n'avait changé. Intimidation et fiers-à-bras sont encore monnaie courante sur les chantiers afin d'obliger les travailleurs syndiqués ou non à quitter leur boulot. À Québec, des travaux d'urgence pour les sinistrés victimes d'inondation ont même dû être suspendus. Reconnaissant leur erreur, les dirigeants syndicaux ont vite réparé le gâchis. Cet incident en dit long sur le pouvoir d'intimidation syndicale dans le secteur de la construction. J'ai hâte à l'automne, à la reprise de la commission Charbonneau pour que l'on démasque enfin le système de collusion, de corruption et surtout d'intimidation qui a encore force de loi sur les chantiers de construction au Québec. D'ici là, si j'étais un dirigeant syndical, je me garderais une petite gêne dans le conflit actuel afin de ne pas attirer trop l'attention sur les méthodes d'inspiration et de pratique «mafieuse» qui polluent depuis trop longtemps l'atmosphère sur les chantiers de construction au Québec.  Le gouvernement serait sage d'imposer rapidement une loi spéciale de retour au travail, interdisant toute forme d'intimidation sous peine d'amendes sévères et de peine d'emprisonnement, cela mettrait la table pour l'automne. Pendant ce temps, un arbitre pourrait imposer les conditions de travail si la négociation aboutit à une impasse.

Francine Laplante

Femme d'affaires



INTIMIDATION INACCEPTABLE

Ce qui me marque le plus dans cette grève, c'est la présence évidente d'intimidation sur les chantiers. Il me semble pourtant que depuis quelques années, on s'acharne à dénoncer toutes formes d'intimidation dans nos écoles et dans la société en général. Nous sommes scandalisés quand un de nos jeunes est victime d'intimidation, les médias se font un devoir de nous rapporter les cas les plus méchants, nous disons collectivement NON à l'intimidation et les membres du gouvernement sont unanimes pour dire que rien ne justifie de tels gestes! Quelle contradiction dans les messages! Pourquoi devons-nous accepter cette intimidation de la part des travailleurs de la construction en grève vis-à-vis de leurs collègues qui ne sont pas du même avis qu'eux ou qui ne sont pas touchés directement par les négociations? Désolée, mais ces actes sont bel et bien de l'intimidation pure et simple, et c'est exactement ce que l'on s'efforce de décrier. Il est inacceptable qu'une partie de notre économie soit gelée non seulement par une grève, mais surtout par les menaces et la peur. Nous sommes pris en otages par un groupe d'individus dont les actes paralysent des chantiers de toutes dimensions et même des commerces qui ont déjà commencé à licencier du personnel. Ça ne vous tente pas de parler, de communiquer, de négocier et d'en arriver à un consensus tout respectant les autres autour de vous? Alors, oui, je suis pleinement d'accord pour le recours à une loi spéciale!

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



LA LIBERTÉ DE SE SYNDIQUER

Il faut laisser les parties patronales et syndicales négocier librement. Si elles savent, ou suspectent, que le gouvernement va intervenir par le biais d'une loi spéciale dès qu'une grève survient, cela diminuera leur incitatif à négocier aussi énergiquement et sérieusement qu'elles ne l'auraient autrement fait. Bref, je suis opposé à une loi spéciale dans ce conflit en particulier, et m'oppose du reste à ce type de législation en général. Par contre, le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord et, de ce que j'en sais, le seul endroit au monde, qui force, de façon automatique et systématique, les travailleurs de la construction à être syndiqués. Et je ne parle pas ici de l'application de la formule Rand où tous les travailleurs sont forcés de payer une cotisation syndicale si une majorité de travailleurs de l'entreprise ou de l'unité d'accréditation concernée décident de se syndiquer. Je parle bien de l'obligation d'être syndiqué, peu importe le souhait de la majorité. Assez hallucinant et fasciste comme système, vous en conviendrez. Ce système dysfonctionnel et liberticide a aussi pour effet pervers de rendre beaucoup plus difficile, de facto, la présence d'entreprises de construction en provenance de l'extérieur du Québec. Et cette concurrence réduite favorise justement la collusion dont tout le monde se plaint. Nous devrions nous mettre au diapason de ce qui se fait partout ailleurs et prendre une série de mesures concrètes et fondamentales afin de favoriser une véritable concurrence, parmi les travailleurs, les entrepreneurs et les donneurs d'ouvrage. Modifier le mode syndicalisation dans le domaine de la construction en permettant la liberté de se syndiquer, ou non, sera un premier pas concret en ce sens.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



L'EMPLOYEUR EXAGÈRE

Lorsqu'il y a grève, c'est que les travailleurs concernés et l'employeur sont dans une impasse. Le rôle du gouvernement est de tout tenter afin de rapprocher les parties, et non pas d'imposer les conditions de travail et salariales aux syndiqués. Si Mme Marois et son gouvernement choisissent l'adoption d'une loi spéciale, ils agiront exactement comme l'avait fait Jean Charest avec les employés de l'État. Lui qui disait vouloir travailler en partenariat avec les employés du réseau de la santé nous a imposé une convention collective en adoptant un décret. Mme Marois, qui disait haut et fort vouloir gouverner autrement, devrait faire preuve d'un peu plus d'ouverture et donner la chance à la libre négociation de suivre son cours. Lorsque l'employeur exagère dans ses demandes, comme c'est le cas dans le présent conflit, l'affrontement et la grève sont inévitables et personne n'en sort gagnant.

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital 



UN GRAND MÉNAGE S'IMPOSE

La grève dans la construction est symptomatique de notre modèle québécois. Plutôt que de laisser chaque entrepreneur embaucher librement sa main-d'oeuvre et négocier ses conditions de travail avec ses employés (ou les représentant syndicaux de ses employés), le gouvernement a créé des oligopoles syndicaux et patronaux à la hauteur de toute la province. Résultat: les enjeux, au lieu d'être locaux et de se régler entre chaque employeur et ses propres employés, sont «nationalisés». Une négociation normalement privée se transforme en une crise nationale. Le Québec en entier devient pris en otage. L'État, étant d'abord intervenu pour brimer la liberté de contrat et d'association individuelle en échafaudant ce régime oligopolisé, devra encore intervenir par une loi spéciale devant l'échec du système qu'il a mis en place. Une conséquence de cette structure est d'éliminer la concurrence entre les employeurs: puisqu'ils paient tous le même salaire, ils pourront tous refiler la facture au client. Une autre est qu'il octroie aux syndicats un pouvoir démesuré sur le marché de la construction, et qui dit pouvoir, dit corruption... Cette grève, la commission Charbonneau et les arrestations de l'UPAC démontrent qu'un grand ménage dans tout le système de relations de travail dans la construction québécois est devenu nécessaire.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



MAINTENIR OU NON LE SYSTÈME EN PLACE

Présentement, nous avons un système où un regroupement d'employeurs négocie avec un regroupement de syndicats. C'est un système qui laisse peu de place à la concurrence, notamment du côté des travailleurs, qui est plein de règles et qui limite l'accès au travail à de nombreux travailleurs ainsi que leur mobilité. C'est aussi un système qui permet d'augmenter le salaire horaire d'un sous-ensemble de travailleurs, mais qui prend aussi en otage le reste de la population et lui impose une charge sous forme de prix plus élevés. Finalement, c'est un système qui encourage le travail au noir et l'intimidation. Si le gouvernement pense que ce système devrait continuer d'opérer dans les prochaines décennies, il doit éviter d'adopter une loi spéciale, surtout si celle-ci a pour effet d'entraîner de la violence sur les chantiers de construction. Par contre, si le gouvernement pense qu'il faut changer le système, il lui faut adopter une telle loi et mettre en place un processus pour faire changer le système sur un horizon de trois à cinq ans. Cette option est ma préférée. Le gouvernement a malheureusement déjà choisi le statu quo, qu'il adopte ou non une loi spéciale de retour au travail après quelques jours de grève. Et le système actuel demeurera en place et on se retrouvera dans trois ans dans la même situation...