Doit-on se réjouir de l'élection du cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio comme pape? La personnalité de François pourrait-elle avoir un impact sur la ferveur religieuse des Québécois?

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



UN VIRAGE S'IMPOSE

L'élection du cardinal argentin Jorge Mario Bergolio comme pape est réjouissante. Il est intéressant de voir que la communauté cardinalice ait décidé de vraiment sortir des sentiers battus pour élire un pape non européen. On sait que l'Amérique du Sud est très croyante, mais cela ne suffira pas à augmenter la ferveur religieuse des Québécois. Même l'élection du cardinal Ouellet n'aurait pas suffi. Les catholiques du monde entier sont devenus sceptiques et cyniques à la fois envers leur religion. Le conservatisme qui anime l'église catholique en est la preuve flagrante. Il est à espérer que le cardinal Bergolio, qui n'aura pas la tâche facile, saura s'attaquer aux problèmes qui gangrènent l'église catholique et l'on sait qu'ils sont nombreux. Difficile de comprendre pourquoi on refuse de préconiser l'utilisation du condom dans les pays où le sida en endémique. Difficile de comprendre pourquoi l'on refuse la prêtrise aux femmes. Difficile d'accepter que l'on tente de cacher les abus sexuels des prêtres. Quelles sont les actions que prendra le pape François 1er pour résoudre le scandale financier qui secoue la citée vaticane ? Il devra faire preuve de leadership et dire aux catholiques que nous sommes la direction qu'il entend prendre au cours de son pontificat. À 76 ans, il y a de fortes chances qu'il n'aura pas le temps et l'énergie nécessaire pour insuffler un renouveau.

Jean Gouin

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



NON À LA FERVEUR RELIGIEUSE

La première réponse venue à mon esprit : le Québec a besoin de la ferveur religieuse comme le chat a besoin des puces. Trop tranché? Alors, je recommence. On dit du nouveau pape qu'il est près des gens, qu'il aide les pauvres, qu'il critique les excès du capitalisme. Toutes ces qualités ne sont pas propres à la religion. L'empathie et le sens d'entraide constituent des valeurs éthiques et morales. Nul besoin de croire en Dieu, au Paradis et à l'Enfer pour s'en servir. Les religions se sont plutôt employées à séparer le monde en deux : les coreligionnaires et les autres. Les autres, qui ne méritent pas la charité, au mieux l'exclusion, au pire, la mort. Tant que l'Église catholique ne trouvera pas un équilibre entre les enseignements de l'Église et le monde moderne, une tâche quasi impossible, elle aura de la difficulté à susciter des adhésions. Par ailleurs, il y a de la politique derrière cette élection : l'Amérique du Sud se tourne de plus en plus vers les églises évangéliques. En élisant un pape d'origine sud-américaine, préoccupé par la pauvreté de surcroît, les cardinaux espèrent sans doute une ferveur catholique renouvelée en Amérique latine pour le moins.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Khalid Adnane

Économiste à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke



RUPTURE, VRAIMENT ?

L'élection du nouveau pape, François, constitue certes une étape importante dans l'évolution de l'Église catholique. C'est un pape relativement modeste, proche des préoccupations sociales et ouvert sur le monde.  C'est aussi le premier pape provenant du continent latino-américain, confortant ainsi l'importance que l'église accorde désormais aux fidèles de ce continent : ils représentent plus de 40% de l'ensemble des catholiques dans le monde.  C'est sur ces éléments que prend sens la réelle « rupture »! Parce que sur les dossiers fondamentaux qui concernent l'avortement, la contraception, l'ordination des femmes, l'homosexualité ou encore l'euthanasie, il ne faut pas s'attendre à ce que le nouveau pape procède à des bouleversements majeurs : l'institution religieuse est reconnue pour sa résistance au changement et il est le premier à en être bien conscient. De plus, près de 60% des cardinaux qui ont participé au conclave ont été nommés par son prédécesseur, Benoît XVI. Ça en dit long sur ce que ce dernier voulait préserver comme héritage (ou continuité). Ceci dit, les Argentins sont aujourd'hui fiers et heureux que le nouveau Pape soit un des leurs. Mais, ils sont conscients qu'il ne faut pas y voir une sorte de messie. De toute façon, ils en ont déjà un!

Photo

Khalid Adnane

Marc Simard

Professeur d'histoire au cégep Garneau, à Québec



LE PAPE ET LE MÉCRÉANT

Du point de vue d'un incroyant, le rituel ayant entouré l'élection du pape et la couverture dont a joui cet événement sont tout à fait déconcertants. Faut-il rappeler que les fondements de cette religion, issue d'une secte fondée par les disciples d'un prophète apocalyptique crucifié par les Romains pour des raisons politiques, ne reposent que sur des textes (les Évangiles) écrits plus de 40 ans après sa mort et sur les épitres de Saul de Tarse qui ne l'a pas connu, aussi bien dire sur rien? Que cette institution a eu au fil de l'histoire des comportements le plus souvent opposés au message d'amour, de charité et de paix censé constituer son assise? Les gazouillis des «experts» sur la possible élection d'un pontife réformateur étaient quant à eux burlesques. L'Église ne peut pas plus se renouveler maintenant qu'au XVIe siècle parce que son dogme est immuable et que tout l'édifice s'effondrera si on en enlève une seule pierre, et que l'adoption de nouvelles positions sur l'homosexualité, la contraception ou le mariage provoquerait en son sein des divisions et même des schismes qu'elle ne peut se permettre. En ce sens, l'élection d'un «ami des pauvres» est un bon coup de relations publiques : pendant qu'il bonimentera sur l'amour de Jésus pour les démunis, des millions de croyants continueront de mourir du sida ou de grossesses non désirées par la faute de son Église.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



UN PAS EN AVANT, UN PAS EN ARRIÈRE

Je suis bien content que le nouveau pape vienne d'un pays émergent. Cela donne une image plus universelle à l'Église catholique et reflète tout simplement le fait que la majorité des catholiques vivent dans ces pays. Le grand souci de François pour les plus démunis et pour un plus grand partage des revenus (ou de la richesse) sera bien perçue par les Québécois. Par contre, ces gains seront plus que contrebalancés par sa rigidité sur rôle des femmes dans l'église catholique, sur le célibat des prêtres, sur la contraception, et sur l'homosexualité. Dans ces domaines, faire du surplace, c'est reculer. Les dirigeants conservateurs de l'Église ne sont pas prêts à accepter le fait que le contrôle de la fécondité par les habitants d'un pays est un des moyens les plus puissants de réduction de la pauvreté. Je m'attends donc à ce que les gestes du nouveau pape aient peu d'effet sur la ferveur des Québécois.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



LA SIMPLICITÉ

Selon plusieurs, Mgr Bergoglio est un homme simple et bon. Il est rafraichissant de constater que cet homme jouissant d'un certain pouvoir en tant que cardinal avait choisi la simplicité comme mode de vie. Mgr Bergoglio utilisait les transports en commun pour ses déplacements et vivait humblement dans un petit appartement. Il avait soulevé un tollé au Venezuela alors qu'il avait contraint les séminaristes a laver eux mêmes leur vaisselle! Cela n'est qu'un exemple parmi tant d'autres qui feront sans doutes de lui un pape différent des autres. Il est clair que la religion catholique a besoin de renouveau mais aussi et surtout elle doit tout faire afin d'évoluer au même niveau que la société. Sans quoi les fidèles continueront de la délaisser. L'Église devrait cesser de condamner l'homosexualité, faire preuve d'ouverture sur le libre choix à l'avortement, permettre aux femmes d'accéder à la prêtrise et ouvrir ses yeux et ses bras aux personnes qui ne pensent pas nécessairement comme elle. Si le nouveau pape ne se laisse pas influencer par les us et coutumes de l'Église implantés depuis des lustres, il sera peut-être celui qui me redonnera confiance en cette institution devenue archaïque au fil des ans.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec



UN PAPE EST UN PAPE

Plusieurs seront déçus qu'un des nôtres ait échappé au poste prestigieux de chef de l'Église catholique. À l'instar de beaucoup de Québécois, j'aurais aimé que le cardinal Ouellet gagne ses élections. Considérant l'âge du nouvel élu, ce sera pour la prochaine fois. On dit du cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio qu'il est conservateur. Évidemment! Le pape est d'abord et avant tout celui qui doit défendre les valeurs traditionnelles de l'Église. C'est le gardien de la foi catholique; celui qui doit veiller au maintien de la parole chrétienne au travers les années et les siècles. Même si le pape est nommé par une élection, il ne faut pas s'attendre à ce qu'il se comporte comme un politicien. Imaginez s'il disait une chose lundi et son contraire mardi; s'il avançait d'un pas mercredi pour mieux reculer jeudi; s'il augmentait la dîme le vendredi et la capitation le samedi. Il n'y aurait sans doute plus aucun fidèle pour prendre ses sermons au sérieux et contribuer à la quête du dimanche. En somme, un pape est un pape et... « Habemus Papam ».

Pierre Simard

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



SAGE DÉCISION

Tout d'abord, je crois que la décision d'élire le cardinal Bergoglio comme pape témoigne d'une certaine sagesse qui semblait moins palpable, au sein de l'Église catholique, depuis déjà assez longtemps. En effet, la clientèle cible de l'Église catholique est constituée de gens généralement pauvres. Or, l'époque où l'Église devait démontrer sa puissance par les parures dorées et la richesse somptueuse de ses bâtiments est révolue. Puisque le nouveau pape semble avoir fait la preuve de son humilité, notamment par son refus d'habiter le palais épiscopal dans son pays d'origine,  je crois que la « culture d'entreprise » de l'Église sera davantage orientée vers les besoins et aspirations de ses « clients », ce qui est une bonne chose. Pour ce qui est de l'impact sur la ferveur religieuse des Québécois, je ne crois pas que cette nomination changera quoi que ce soit. En effet, le Québec est désormais sorti de la grande noirceur. Durant la première moitié du XXe siècle, le Québec traversait une période économiquement pauvre, donc le terreau était fertile pour l'Église. De nos jours, au Québec, même les moins fortunés ont leur iPod et un cellulaire. De la vraie pauvreté, il y en a, mais beaucoup moins qu'aux Philippines ou en Amérique centrale par exemple. C'est pourquoi la ferveur religieuse est en chute libre. Quand les gens comprennent qu'ils sont capables de se tirer d'affaire, ils n'ont plus besoin de demander à Dieu de faire un miracle pour qu'ils se sortent de la misère.

Raymond Gravel 

Prêtre dans le diocèse de Joliette



HABEMUS PAPAM !



Je suis persuadé qu'on peut se réjouir de l'élection du cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio comme pape, pour plusieurs raisons. Son élection dit d'abord l'universalité et le désir d'ouverture au monde moderne de l'Église catholique. Cet évêque argentin exprime très bien la raison d'être de l'Église. Sa lutte en faveur des pauvres et des démunis, son combat pour la justice actualise le Christ de l'Évangile; d'autant plus que lui-même avait adopté un style de vie comparable aux plus grands missionnaires d'Amérique Latine. Personnellement, ce qui m'a le plus impressionné mercredi après-midi, lorsqu'il est sorti sur le balcon central de la Basilique St-Pierre, devant une foule immense, c'est la simplicité et l'humilité qui se dégageaient de cet homme. Habillé simplement de la soutane blanche des papes, sans aucun autre artifice, j'y ai reconnu le pasteur que j'espérais, l'homme de coeur et de terrain que l'Église d'ici avait besoin. Après avoir salué les femmes et les hommes en toute simplicité, il s'est adressé aux Romains pour leur dire qu'il devenait leur pasteur, et, sans plus, il a demandé à la foule un moment de prière. Un grand silence a envahi la place St-Pierre, François s'est incliné pour recevoir la bénédiction des femmes et des hommes devant lui. Ça m'a beaucoup ému ! Certains diront que le cardinal Bergoglio était plutôt conservateur en matière de morale sexuelle : il s'est opposé au mariage gai, il est contre l'avortement, même en cas de viol et il ne militait pas pour l'ordination des femmes à la prêtrise. C'est sans doute vrai, puisqu'il vient d'un pays plutôt traditionaliste et il fait partie de la hiérarchie de l'Église. Par ailleurs, ce qui me réjouit et me fait espérer, c'est son attitude par rapport aux femmes et aux hommes discriminés. Il ne les condamne pas; il les accueille et les accompagne. Il a même reproché à certains prêtres de refuser le baptême à des enfants nés hors mariage. Si seulement son approche nous faisait oublier les discours de condamnation, de discrimination et d'exclusion des papes précédents, je crois sincèrement que c'est un pas important vers la pleine égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance de leur réalité. C'est la première fois dans l'histoire qu'un Jésuite devient pape. Son nom est doublement significatif : François aura l'autorité du Jésuite François-Xavier et la compassion du Franciscain François d'Assise. La tête et le coeur assurera un équilibre certain à ce nouveau pape. Il ne ravivera peut-être pas la ferveur religieuse des Québécois, mais il pourra sans doute en réconcilier plusieurs avec l'Institution. Viva il pappa!

Photothèque Le Soleil

Raymond Gravel

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



UN CHOIX MÉDIATIQUE

L'élection d'un premier pape non européen est une bonne nouvelle en soi. L'utilisation du nom de François en référence à saint François d'Assise est une autre bonne nouvelle. S'agit-il d'une manoeuvre de la part du conclave afin de détourner l'attention sur la décadence qui affecte l'Église catholique en référence aux scandales qui salissent présentement sa réputation? Attendons, nous mesurerons l'arbre à ses fruits, mais la mise en scène et le «casting» du choix du personnage me semble prometteur en terme médiatique. Son âge, 76 ans, est annonciateur d'un mandat d'une durée limitée dans le temps et sa sortie publique dénonçant l'avortement en cas de viol n'a rien de prometteur pour l'avancement de la condition de la femme dans le monde.  Le pape François, un Argentin, pourra-t-il avoir un impact sur notre ferveur religieuse? Peut-être sur l'importation de prêtres sud-américains au Québec, car sur ce continent la foi catholique est encore vivante. Mais pour la ferveur religieuse, j'en doute, à moins qu'il adopte une encyclique excommuniant tous les prêtres pédophiles reconnus coupables d'abus sexuel auprès des enfants. Ce serait un bon début et cela enverrait un signal aux communautés religieuses et aux évêques que c'est maintenant tolérance zéro lorsque l'on abuse des êtres les plus fragiles de notre société. Car après tout, le rôle de l'Église catholique n'est-il pas d'aider les plus démunis plutôt que d'en abuser?

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Jean Baillargeon