Le gouvernement Marois devrait-il formellement accorder le droit de grève au étudiants?

Louis Bernard 

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec



RECONNAÎTRE, C'EST RÉGLEMENTER

Dans le domaine des relations de travail, la grève a été exercée par les ouvriers comme un pouvoir avant d'être reconnue comme un droit. La suspension concertée du travail (la grève) et la mise à pied collective des employés (le lock-out) ont été des pratiques fréquemment utilisées, longtemps avant de devenir des droits reconnus par la loi. C'est pour «civiliser» l'exercice de ces pratiques qu'un peu partout dans le monde, le législateur est intervenu pour l'encadrer et en règlementer la mise en oeuvre. Dans le monde de l'éducation,  l'existence d'associations étudiantes est reconnue officiellement, celles-ci jouissent même, en vertu de la loi, de la cotisation obligatoire de leurs membres et le boycott des cours est une pratique qui a cours depuis plusieurs décennies. La question qui se pose est de savoir si ce droit de grève doit être reconnu et règlementé. Car il ne saurait y avoir de reconnaissance légale sans réglementation. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle? Il n'est pas certain que les associations étudiantes accepteraient volontiers une intervention de l'État dans la conduite interne de leurs affaires, en échange de la reconnaissance d'un droit qu'elles exercent déjà dans les faits. Par ailleurs, les désordres que nous avons connus récemment ont beaucoup d'autres causes que la simple non-reconnaissance du droit de grève des étudiants. Une règlementation faciliterait sans doute la tâche des juges, qui sont toujours mal à l'aise dans un flou juridique, mais elle aurait peu d'effet sur la paix sociale. Un projet de loi sur le sujet pourrait être déposé et soumis à la discussion publique. Mais il faudrait voir s'il y a un consensus social avant de l'adopter.

Louis Bernard

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM 



PAS NÉCESSAIRE

Il serait tentant pour le gouvernement Marois de poursuivre sa politique démagogique à l'endroit des mouvements étudiants en leur conférant un droit de grève formel, habituellement limité aux seules relations d'emploi; ce qui n'est pas le cas des étudiants qui, au contraire, payent pour leur éducation. Cet engagement répondrait à la volonté de certaines associations étudiantes de considérer les étudiants comme des jeunes travailleurs, et consoliderait l'emprise d'un syndicalisme étudiant, à la française (la référence à la Charte de Grenoble en est un des éléments). 

Toutefois, on est en Amérique du Nord, et le droit de grève est très précisément encadré et règlementé; ce qui ne fait pas l'affaire de tous, y compris dans le mouvement étudiant, qui est très divisé à cet égard aussi. Ayant analysé l'histoire des mouvements étudiants européens au XXe siècle, je peux dire que si le syndicalisme étudiant structure durablement ce milieu et lui confère une certaine pérennité, les mouvements étudiants n'ont pas eu besoin d'avoir un droit de grève pour faire des grèves et exprimer leurs points de vue. À ce titre, ils se rapprochent plus d'un mouvement de jeunesse que du mouvement ouvrier.

Yolande Cohen

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



POUR EXPRIMER UN RAS-LE-BOL

Le droit de grève pour les étudiants, c'est le droit de se priver eux-mêmes d'un service qu'ils ont choisi de recevoir. C'est le droit d'exprimer un ras-le-bol tout en sachant que leur début de carrière en sera retardé. Dans le domaine de l'enseignement post-secondaire, on se déchire la chemise depuis des lustres à propos du financement. Toutefois, c'est de la qualité dont il faudrait davantage parler : la qualité de l'enseignement, la qualité de la recherche, la qualité des services offerts dans les établissements et, surtout, la qualité des diplômés. Quand des multinationales comme Google engagent des chefs 5 étoiles pour que leurs employés soient chouchoutés à l'heure du lunch, on les trouve progressistes et intelligents. On rend les horaires flexibles, on engage des décorateurs pour les lieux de travail, on encourage les employés à faire des siestes dans l'après-midi. Le but est simple : on exige la qualité et on met tout en oeuvre pour l'obtenir. Pour l'enseignement post-secondaire au Québec, on fait le contraire. On coupe dans les conditions de travail des profs, on coupe dans la recherche, on coupe des services et on voudrait empêcher que les étudiants se plaignent ? Si on veut former des universitaires de qualité, il faut laisser les premiers concernés exprimer leur mécontentement, par la grève ou autrement, quand ils se rendent compte que leur formation est amputée de sa qualité, donc de sa valeur.

Michel Kelly-Gagnon 

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



NON, QUESTION DE JUSTICE

Soyons clairs: les étudiants qui souhaitent boycotter leurs cours disposent déjà de l'entière liberté de le faire. Personne ne va jamais les amener en classe de force. Ce que veulent les promoteurs de la reconnaissance du «droit de grève» pour les étudiants c'est, en fait, d'obtenir par voie législative ce que les tribunaux ne leurs ont pas accordés l'an dernier, à savoir le pouvoir de forcer les étudiants qui ne souhaitent pas boycotter leurs cours à le faire quand même. Au contraire, les tribunaux québécois ont explicitement reconnus que les étudiants qui souhaitent poursuivre leurs études ont absolument le droit de le faire et que les forces de l'ordre et les institutions d'enseignement se doivent collaborer au respect et à la protection de ce droit. Refuser ce fumeux «droit de grève pour étudiants» est une question de justice fondamentale, mais relève aussi du bon sens élémentaire.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



DROIT À ENCADRER

II ne sert à rien d'interdire aux étudiants de faire la grève : ils la feront quand même. Il faut plutôt encadrer ce droit pour éviter des abus. Il ne sert à rien non plus d'argumenter que la grève des étudiants ne constitue pas une « vraie » grève, mais un boycottage des cours. Selon le Petit Robert, la grève réfère à « l'arrêt volontaire et collectif des activités, par revendication ou protestation ». Donc, les étudiants ont bel et bien fait la grève en 2012. Toutefois, dans certaines facultés, la décision « collective » semblait manipulée par un noyau dur des protestataires;  certains opposants ont été intimidés. Ainsi, je proposerais d'accorder le droit de grève aux associations des étudiants à condition que le déclenchement de celle-ci soit soumis au vote secret de l'assemblée et qu'un quorum de 50 % + 1 soit respecté. Cela encouragerait tous à se présenter aux assemblées et donnerait plus de poids démocratique à une éventuelle grève, tout en diminuant le risque de contestation judiciaire. Aussi, pendant une grève étudiante prolongée, les professeurs devraient être mis en lock-out par les établissements, comme c'est la prérogative de l'employeur lors de la grève des salariés.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Adrien Pouliot

Président et chef de direction de Draco Capital 



MARCHÉ POLITIQUE

Les étudiants consommateurs qui ne sont pas satisfaits du prix demandé pour les services éducatifs offerts peuvent faire la « grève » avec leurs pieds en allant magasiner ailleurs.  Sauf qu'au Québec, les prix ne sont pas déterminés par le marché, mais par des diktats de politiciens.  Pour «négocier» les prix, les étudiants doivent donc faire jouer leur pouvoir politique plutôt que leur pouvoir économique.  L'objectif est simple : faire adopter une loi «anti-scab» qui empêchera, par le pouvoir coercitif de l'État, ces carrés verts de traverser la ligne de « boycottage ».  Les associations étudiantes (jouissant d'un monopole de représentation de tous les étudiants, qu'ils le veuillent ou non) augmenteront ainsi par la violence (c'est-à-dire en violant les droits des carrés verts) leur rapport de force politique pour arriver à leurs fins.  En échange de cette restriction aux droits individuels des étudiants et d'un fardeau fiscal plus élevé sur le contribuable silencieux et soumis, les politiciens espèrent acheter le vote et l'appui de leur bruyante « clientèle » étudiante aux prochaines élections.  Le marché économique se transforme ainsi en marché politique.  Les associations étudiantes et le PQ vont-elles déclarer « marché conclu »?  Si oui, espérons que les tribunaux renverseront ce pacte liberticide.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Jean Bottari 

Préposé aux bénéficiaires



PAS DE DROIT DE GRÈVE

Je ne crois pas que le fait d'accorder le droit de grève de façon formelle aux étudiants puisse régler le conflit qui perdure depuis trop longtemps déjà. De plus, comment, sinon par l'adoption d'une nouvelle loi, le gouvernement pourrait-il accorder le droit de grève aux étudiants et de surcroit le droit de décréter un lock-out aux administrateurs? Il ne faut pas oublier que Mme Marois est à la tête d'un gouvernement minoritaire. Je lui souhaite bonne chance si elle songe à faire adopter une telle loi! Le Code du travail, de par son titre, ne s'applique qu'aux personnes exerçant un emploi. L'étudiant ne peut être considéré comme étant un travailleur au sens du Code du travail du Québec. Ce que veulent les associations étudiantes, je crois, avant même le droit de faire la grève, c'est la possibilité d'avoir un dialogue respectueux avec le gouvernement et êtres traitées comme des vis-à-vis. Toutes les options, incluant la gratuité doivent être discutées. Sans quoi ce sera l'impasse et le printemps érable se répétera.