Le gouvernement Marois jongle avec plusieurs scénarios qui prévoient des augmentations de droits de scolarité variant de 2 à 3,5%, soit de 46 $ à 83 $ par année. Le gouvernement Charest avait prévu une hausse de 254 $ par année pendant sept ans. De son côté, la CAQ souhaite que quatre grandes universités puissent fixer leurs droits de scolarité et que, dans les autres universités, on module les droits de scolarité selon le domaine d'études. Que privilégiez-vous comme solution?

Guy Ferland

Professeur de philosophie au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse



VIVEMENT LA GRATUITÉ!

La gratuité à tous les niveaux scolaires demeurera toujours un projet de société noble et stimulant. Pour y parvenir, le chemin n'est pas simple. Plusieurs pays ont déjà atteint cet objectif sans pénaliser trop durement l'ensemble de la population. L'éducation est un bien commun dont tous les citoyens bénéficient, même si tout un chacun ne poursuit pas son parcours scolaire au-delà du secondaire. Proposer un accès libre de presque toutes les contraintes économiques à la connaissance aux plus méritants et aux plus travaillants constitue un idéal qui justifie quelques contributions supplémentaires de toute la population, en particulier des mieux nantis. Évidemment, dans le contexte économique actuel, cela ne se fera pas sans douleur et sans un grand courage politique. Seul Québec solidaire a proposé un cadre économique qui permettrait la gratuité scolaire. On a vu ce que cela a donné aux dernières élections. Proposons donc, graduellement, une diminution de la contribution des étudiants qui doivent gagner actuellement un minimum de 12 000 $ pour subvenir à leurs besoins essentiels. Ce qui a un impact sur la réussite de leurs études. Si l'éducation est la priorité des priorités des prochaines années pour un peuple, alors ayons l'audace d'abaisser les droits de scolarité et d'augmenter la contribution des grandes entreprises, des banques et des simples citoyens.

Guy Breton

Recteur de l'Université de Montréal



LA MODULATION A BIEN MEILLEUR GOÛT

Sur la question des droits de scolarité, le Québec est atypique, non parce que les droits y sont les plus bas en Amérique du Nord. Le Québec est atypique parce qu'il est le seul État nord-américain - et l'un des rares dans le monde occidental - qui exige les mêmes droits pour tous ses étudiants, quelles que soient la discipline ou l'université. La modulation des droits de scolarité est en effet la norme partout en Amérique du Nord. D'ailleurs, l'État québécois lui-même module, selon le coût des programmes : pour un étudiant inscrit au 3e cycle en médecine, une université reçoit du gouvernement un peu plus de 10 fois la somme qu'il reçoit pour un étudiant en administration ou en lettres. Pourquoi la formule ne s'appliquerait-elle pas également aux étudiants? Il faut se poser la question, d'autant plus que la réflexion sur le financement de nos universités se fait sur la base d'une comparaison des universités des autres provinces. Or, chaque fois que nous parlons des droits de scolarité ailleurs au Canada, nous prenons une moyenne. C'est trompeur : derrière cette moyenne, il existe une très grande variation selon que l'étudiant est inscrit en médecine dentaire ou en musique.

Photo: Robert Mailloux, Archives La Presse

Guy Breton

Adrien Pouliot

Président et chef de direction de Draco Capital 



AUX UNIVERSITÉS DE FIXER LEURS PRIX

Certains diront que l'éducation n'a pas prix. C'est malheureusement vrai.  Le mécanisme crucial de prix est absent de notre système d'éducation qui est un marché qui n'est pas différent de tout autre service.  Sans un tel mécanisme de marché, les ressources sont allouées par des bureaucrates.  Elles sont donc inévitablement mal allouées puisque les bureaucrates dépensent l'argent des autres pour le bénéfice de gens qui leur sont complètement étrangers.  Sans un marché concurrentiel, on ne peut pas en conséquence savoir quelle est la vraie valeur des services éducatifs qui sont offerts ni la vraie valeur de la prestation de travail des enseignants.  Si on créait un vrai marché des services éducatifs en laissant les universités fixer leurs prix, on ferait naître une saine concurrence, ce qui créerait de l'émulation, forcerait les universités à innover et à répondre aux besoins de leurs clients par toutes sortes de programmes mieux ciblés et plus pertinents et assurerait que les universités soient efficaces et qu'elles gèrent leurs opérations de façon à en offrir le plus possible à leurs clients.  Avec un système de prix transparents, les étudiants seraient mieux à même de comprendre le coût de leurs études et de juger si le temps et l'argent qu'ils investissent en vaut la chandelle.  Les étudiants méritants qui n'ont pas les moyens de s'offrir des études universitaires pourraient recevoir directement par l'État un bon d'étude représentant le montant requis pour qu'ils puissent se procurer de tels services.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Marc Simard

Professeur d'histoire au cégep Garneau à Québec



LES DÉS SONT PIPÉS

Ceux qui croient que le soi-disant sommet sur l'éducation va déboucher sur autre chose qu'une indexation modérée (basée sur l'IPC) des droits de scolarité dorment au gaz. Mme Marois a déjà exprimé sa préférence pour cette solution mi-chair mi-poisson, une sorte de gel déguisé en hausse. Le ministre Duchesne a amplement démontré son préjugé favorable aux étudiants et son désir de casser les recteurs. Les deux ont par ailleurs heureusement rejeté le principe de la gratuité, état des finances publiques oblige. Le psychodrame du printemps 2012 n'aura donc mené à rien : l'ASSÉ va tenter de mobiliser les étudiants pour une nouvelle ronde de grèves; les porte-parole de la FEUQ et de la FECQ vont hurler à l'appauvrissement des étudiants; les recteurs vont décrier cette solution qui ne pourra qu'affaiblir notre réseau universitaire et les chefs des partis de l'opposition vont déchirer leurs chemises tout en s'abstenant de renverser le gouvernement. Il n'y a pourtant qu'une solution permettant de sortir de cette crise sans fin : une hausse des droits de façon à ce que les étudiants paient en moyenne 17% du coût de leurs études; une modulation de ces droits en vertu des perspectives de gains futurs selon chaque programme et une adaptation du régime de prêts et bourses qui assurera qu'aucun étudiant ne sera refoulé à cause de son manque de moyens.

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM



LE PROBLÈME RESTE ENTIER



À l'approche du sommet sur l'éducation supérieure, des scénarios « réalistes » sur l'indexation des droits de scolarité émergent : doit-on les indexer au coût de la vie, à la capacité de payer des parents, ou en établissant un pourcentage à partir du coût réel des études et selon le domaine d'étude? Ce gouvernement ayant déjà promis qu'il n'augmenterait pas substantiellement ces frais, l'idée d'une indexation uniforme et d'un montant inférieur à celui proposé par le gouvernement Charest, est donc lancée.

Au même moment, voilà que resurgit la vieille idée d'une modulation des droits de scolarité selon l'excellence des établissements, proposée par la CAQ et entrevue aussi dans un éditorial de The Gazette. Oubliant l'investissement massif qui a été fait dans notre système universitaire durant ces 40 dernières années, ses promoteurs ignorent aussi que ce sont des professeurs, des chercheurs et des centres de recherche qui font l'excellence d'une université et que ceux-ci se retrouvent aujourd'hui dans toutes nos universités, sans exception. Dans un cas, la faible indexation des frais protège (tout en l'affaiblissant) un système public plus ou moins égalitaire où des contribuables déjà lourdement taxés payent une large partie de la note. Dans l'autre, il s'agit d'accentuer une hiérarchie plus ou moins facilement justifiable, entre les établissements, alors que leur financement est, lui, public. Dans les deux cas, on ne règle pas le problème du sous-financement des universités.

Yolande Cohen

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



PENSER PLUS GLOBALEMENT

Il me semble tout à fait raisonnable que les étudiants paient une plus grande part des coûts de leur formation, compte tenu du fait que pour les plus démunis, il y a un généreux système de prêts et bourses. À cet égard, l'indexation de leurs droits de scolarité me semble une charge insuffisante. Cela fait également du sens que les formations dont les coûts sont relativement élevés impliquent des frais additionnels si les projections de revenus pour ceux qui reçoivent avec succès de telles formations sont également relativement élevées.  Par contre, compte tenu des coûts élevés de la formation universitaire, il faut éviter d'envoyer à l'université des étudiants qui n'ont pas le talent pour recevoir avec succès une telle formation.  Il faut donc éviter d'avoir des standards trop bas dans les cégeps, dans les tests d'admission aux universités et durant le premier cycle universitaire. À travers tout notre système d'éducation, Il faut valoriser à la fois des standards élevés et la diversité des talents pour le travail manuel, technique, artistique, professionnel ou autre. Il faut mettre beaucoup plus d'emphase sur le besoin de développer les avantages comparatifs de chaque étudiant et sur l'importance de la complémentarité des talents dans nos sociétés développées.

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



UNE MODULATION ÉQUITABLE

Les universités québécoises ne sont pas toutes issues du même moule, et heureusement d'ailleurs. De même, les formations universitaires ne coûtent pas toutes la même chose. Ignorer ce fait revient à s'enfoncer la tête dans le sable. Moduler les droits de scolarité permet de prendre en compte cette réalité et éviter aux étudiants en sciences humaines de payer 40% du coût de leurs formations alors que les étudiants en sciences de la santé n'assument parfois que 10% de leurs coûts de formation, voire même parfois encore moins que cela. Les droits de scolarité sont égaux pour tous, mais sont très désavantageux pour certains. L'IEDM recommandait d'ailleurs la solution d'une modulation équitable dès 2008. Il faut aussi reconnaître que certaines universités se concentrent sur la formation et les services à offrir dans leur région. D'autres sont de plus en plus en concurrence avec les autres institutions de l'Amérique du Nord et du monde. Les deux missions sont importantes. Si les étudiants d'ici ne peuvent plus étudier dans une université de calibre mondial au Québec, alors leur accessibilité à une éducation de qualité s'en trouvera grandement affectée. Débarrassons-nous donc de cette inéquitable diktat voulant que les étudiants paient un prix uniforme peu importe leur programme de formation ou leur institution.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec



LAISSEZ FAIRE!

Il faudrait autoriser nos universités à déterminer elles-mêmes les droits de scolarité, et ce, en fonction de la demande pour leurs divers programmes de formation. Les droits de scolarité deviendraient en quelque sorte un indicateur de la valeur réelle de ces formations. Dans un tel scénario, les programmes prisés par les étudiants seront ceux qui offrent le meilleur ratio qualité-prix, ceux qui leur en donneront pour leur argent, ceux qui leur permettront de rentabiliser leur investissement par l'accession à un emploi qui valorise la formation qu'ils ont chèrement acquise. N'ayez crainte, nos étudiants savent ce qui est bon pour eux. Ils bouderont ces programmes douteux qui ne satisfont pas leurs attentes. Ils fuiront ces programmes qui ne mènent nulle part, sinon au chômage. Nous n'aurons plus besoin du bon jugement d'un ministre pour discriminer ce qui va ou ne va pas dans les universités québécoises. Les clientèles étudiantes s'en occuperont très bien.

Pierre Simard

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



SABRER LES FOLLES DÉPENSES

Les universités, selon certains, sont sous-financées. Qu'en est-il au juste? S'il est vrai qu'elles manquent de fonds, ne faudrait-il pas s'attaquer en tout premier lieu à leurs extravagantes dépenses? Tout comme les réseaux de la santé et tout autre organisme géré par le gouvernement, les dépenses inutiles et superflues sont légion dans nos universités. Des dizaines de postes cadres, des avantages sociaux à faire pâlir le commun des mortels. Et de généreux, que dis-je, de très généreux comptes de dépenses. Et puis, évidemment, dans certains cas, résidence de fonction et limousine avec chauffeur. Tout cela sous prétexte de vouloir attirer les meilleurs? On nous sert toujours à nous, contribuables, depuis des dizaines d'années, la désormais célèbre phrase: «Il faut tenir compte de la capacité de payer des contribuables.» C'est drôle comme cette initiative ne s'applique qu'à vous et moi, et pas à ces hauts fonctionnaires qui vivent dans leur tour d'ivoire gracieusement offerte par nos élus! Plutôt que de couper dans le «gras», le PQ s'apprête à refiler la facture de l'incompétence gouvernementale, tous partis confondus, aux étudiants. Plus ça change et plus c'est pareil.

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



QUI FAIT DE L'ARGENT?

Si on considère que l'éducation est un service offert à la population comme on offre une coupe de cheveux ou un changement d'huile, ce serait alors normal que l'on indexe les droits de scolarité en fonction de l'inflation. Toutefois, je ne crois pas que l'éducation doit être considérée comme un bien de consommation « ordinaire ». C'est bien plus que ça. C'est, entre autres choses, la seule solution dont notre société dispose pour faire face au défi de la délocalisation des bons emplois. Ceci étant dit, on a depuis longtemps associé les longues études aux revenus supérieurs. À une certaine époque, c'était vrai. Aujourd'hui, ce l'est de moins en moins. Ceux qui « roulent » aujourd'hui, ceux qui peuvent se permettre d'aller au Centre Bell avec leurs enfants, ce ne sont ni des enseignants, ni des travailleurs sociaux ni des psychologues. On y rencontre beaucoup d'entrepreneurs, de travailleurs de la construction et d'agents immobiliers. Ce sont des métiers aussi valables que d'autres, mais plusieurs y font fortune alors que très peu d'années d'études sont nécessaires pour y accéder. Avant d'augmenter la charge liée aux droits de scolarité universitaires, il faudrait se demander qui fait vraiment de l'argent au Québec et ce sont ces gens-là qu'on devrait viser quand on cherche à regarnir les coffres de l'État.

Philippe Faucher

Professeur au département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal



POURQUOI SUBVENTIONNER LES PROFESSIONS?



Les formations universitaires sont, pour l'essentiel, de natures professionnelles (ingénieurs, optométristes, vétérinaires). Ainsi, les étudiants reçoivent une formation qui doit leur permettre d'accéder au marché du travail dans des professions dont un grand nombre sont réglementées. Ceci signifie que ces formations sont soumises à des agréments périodiques, qui supposent un examen méticuleux des matières enseignées, de l'encadrement pédagogique, de la taille des groupes, des équipements disponibles, de leur qualité ainsi que celle des installations, en conformité avec les normes et pratiques des ordres professionnels appelés à sanctionner ces formations. C'est ainsi que les monopoles que sont les corporations professionnelles déterminent ultimement le coup des formations universitaires. C'est donc à leurs profits et à ceux de leurs futurs membres, que les subventions gouvernementales sont versées. Voilà pourquoi il me semble avisé de considérer très sérieusement la modulation des droits de scolarité selon les coûts de formation.

Philippe Faucher

Gaétan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT



PASSÉISTE, LA RÉVOLUTION TRANQUILLE?

Il est fascinant de constater à quel point « l'utilisateur-payeur » plaît autant à François Legault, à Jean-François Lisée et même à des indignés portant le carré rouge. Moduler les droits de scolarité selon le coût du domaine d'études, voilà le remède équitable! En sous-entendu : a) plus les sciences sont dures et appliquées, plus les emplois seront stables et payants, b) les plus pauvres et ceux qui sont issus de parents sans études universitaires n'hésiteront pas à s'endetter davantage pour aller dans les facultés plus chères. Et pourquoi pas deux classes d'universités?

Quelques faits : les médecins du Québec sont parmi les meilleurs au monde parce que le premier critère en lice est le dossier du candidat, et non la capacité de payer de se parents. Le Québec est en déficit pour les diplômés en science et génie par rapport aux pays avancés. Mises à part quelques professions bénies, la précarité est la norme aussi pour les diplômés de science et génie, encore plus avec un doctorat. Pourquoi un étudiant en physique (ou en musique) paierait plus cher que celui de la très populaire science politique? Mais surtout, pourquoi donner un signal de société que l'accessibilité aux études universitaires est fonction du coût des études, mais pas de l'utilité de la profession par la suite?

Les pères de la Révolution tranquille avaient une idée toute simple : favoriser l'accessibilité maximale aux études supérieures, quelque soit le statut social de l'étudiant, quelque soit sa localisation géographique, quelque soit son futur métier. Car une société équilibrée est équitable autant pour les moins talentueux que pour l'élite. Et les universités à deux vitesses?Welcome to the sixties, au temps de la grande bataille des grandes universités pour empêcher la création de l'Université du Québec. M. Legault, saviez vous que l'université la plus performante au Canada en recherche, c'est l'INRS? Dans les petits pots, les meilleurs onguents?