Le gouvernement Marois souhaite forcer tout député qui veut changer de parti à se faire réélire dans sa circonscription. Un député pourrait cependant siéger comme indépendant sans devoir solliciter à nouveau le soutien de ses électeurs. Qu'en pensez-vous?

Donald Riendeau

Avocat indépendant, conseiller en éthique et gouvernance.



PROPOSITION DANGEREUSE



À première vue, ce changement fait du sens puisqu'une majorité de citoyens votent davantage pour un parti que pour un candidat. Prenons pour exemple la vague orange qui a porté au pouvoir plusieurs députés inconnus des électeurs. Cependant, cette proposition est très dangereuse, car elle enchâsserait le concept de la ligne de parti, une tradition britannique qui n'apparaît dans aucune loi. Cette philosophie de suivre la ligne de parti a conduit à de nombreux abus au cours des dernières années. Rappelons-nous à quel point les députés libéraux avaient été muselés sur la question d'une commission d'enquête. Cette façon de faire encouragerait l'idée fausse et trop répandue que le député doit être loyal à son chef et son parti politique. Or la Loi sur l'Assemblée nationale énonce que le « député jouit d'une entière indépendance dans l'exercice de ses fonctions ». Un député doit agir dans le meilleur intérêt du « peuple du Québec » et doit lui être loyal avant même son parti et son chef. Il faut éviter d'associer le départ d'un député à un acte de « traîtrise ». Au final, c'est une question d'éthique pour le transfuge face à lui-même, ses électeurs, ses collègues et aux Québécois.

Photo fournie par Donald Riendeau

Donald Riendeau.

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette et ex-député bloquiste de Repentigny.

DU GROS BON SENS



Si un député se fait élire dans sa circonscription sous la bannière d'un parti politique, il ne peut pas changer de parti sans que la population qui l'a élu soit consultée. Sinon, on se fout carrément des électeurs. Par ailleurs, si la relation d'un député avec son parti devient conflictuelle, il est tout à fait recommandé qu'il siège comme indépendant avant la prochaine élection. Il me semble qu'il y a là un gros bon sens. Par exemple, si moi, comme citoyen, je suis souverainiste et je vote pour un candidat souverainiste, je m'attends à ce que mon député demeure souverainiste. Si, en plein milieu de son mandat, il devient fédéraliste, il doit nécessairement démissionner et tenter de se faire réélire dans sa circonscription. Il en est de même pour les programmes des partis politiques. Si je vote pour le Parti québécois, je m'attends à ce que mon député ne se joigne pas à Québec solidaire durant son mandat, même s'il s'agit de deux partis souverainistes. Il faut respecter les électeurs qui veulent, non seulement le fédéralisme ou la souveraineté, mais qui adhèrent au programme du parti pour lequel ils ont voté. C'est une question de justice et de démocratie.

Raymond Gravel

Khalid Adnane

Économiste à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.



UN CHANGEMENT INUTILE



Le programme d'un parti politique est une vision de la société que partagent l'ensemble des membres. Cette vision est basée sur une série de principes, de valeurs et d'idées que le candidat d'un parti s'engage à défendre, au nom de ses électeurs, s'il obtient leur confiance. Donc, si une fois élu, le député estime que la formation politique à laquelle il appartient ne lui permet plus d'actualiser ses engagements vis-à-vis ses électeurs, il est légitimement libre de la quitter. Que ce soit à titre d'indépendant ou en choisissant un autre parti politique. Le fait de forcer un député qui change de parti à se faire réélire, changera quoi au juste? Rien, si ce n'est d'occasionner des coûts supplémentaires pour les contribuables. D'une façon ou d'une autre, il aura tôt ou tard un rendez-vous avec ses électeurs qui pourront juger à ce moment de son geste. De plus, dans l'histoire politique récente du Québec, combien de députés ont changé de parti politique durant leur mandat? Si on exclut la dernière législature qui a été marquée par l'émergence de deux nouveaux partis politiques, Coalition avenir Québec et Option nationale, les cas sont plutôt rarissimes. Comme on dit : on n'agrandit pas l'église à cause la messe de minuit!

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Khalid Adnane

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



POURQUOI RENFORCER LA DISCIPLINE DE PARTI?



Dans l'histoire du parlementarisme, l'élection des députés au parlement a précédé, de loin, la création des partis politiques et l'institution progressive de la discipline de parti. C'est cette capacité d'élire ses représentants qui est à la base même de notre système démocratique. La formation de partis politiques est venue plus tard, surtout pour assurer l'efficacité du gouvernement. Avec le temps, cependant, les électeurs en sont venus à donner leurs votes aux partis plutôt qu'à leurs représentants locaux, ce qui permet de dire que, de nos jours, on vote pour des partis plus que pour des députés (même s'il y a des exceptions, comme comme dans le cas récent de Françoise David). Mais il ne faut pas oublier l'origine et la nature même de notre système. La discipline de parti ne doit pas prévaloir de façon absolue sur la liberté de choix du député élu, car l'autonomie de chacun des députés est essentielle au bon fonctionnement de nos institutions démocratiques où l'équilibre des forces est nécessaire. Déjà, on critique à bon droit l'utilisation abusive de la discipline de parti et on préconise une plus grande liberté de vote pour les députés, qui sont vus, souvent, comme de simples «rubber stamps». Rendre pratiquement impossible le changement de parti, c'est non seulement aller à l'encontre du fondement même de notre régime parlementaire, mais c'est renforcer une rigidité qui dévalorise le rôle fondamental du député. Sans mentionner les multiples difficultés d'application d'un tel changement et ses effets nocifs sur la dynamique politique, notamment dans le cas de la formation de nouveaux partis.


Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



EXCELLENTE INITIATIVE

Ulcérée par la défection d'une brochette de députés dans la controverse autour de l'amphithéâtre de Québec, Pauline Marois désire freiner des élans démissionnaires des élus. Même si ses motivations personnelles sont évidentes, elle a raison de vouloir discipliner les députés.  Seulement des raisons majeures, insolubles à l'intérieur du parti, devraient motiver une démission d'un élu en cours de mandat. D'abord, le député devrait connaître suffisamment les orientations de son parti pour s'engager pour quatre ans. Si une démission lui parait inévitable, le député, après avoir expliqué les motifs de celle-ci à ses commettants, devrait siéger comme indépendant. Aux élections suivantes, il peut se présenter sous une autre bannière ou comme indépendant. Par ailleurs, la migration vers un autre parti devrait être proscrite. De fait, les élus transfuges constituent un des maux de notre démocratie. Le citoyen qui a voté pour un représentant du PQ et qui se retrouve avec un caquiste, comme ce fut le cas pour François Rebello, par exemple, s'interrogera à juste titre sur la signification de son vote. Les gens votent en général pour le parti plutôt que pour le candidat lui-même.  Avec les élections à date fixe, cette initiative constitue un pas vers l'amélioration de notre démocratie.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM.



SUBTERFUGE



La proposition du gouvernement Marois semble à première vue très raisonnable et vise à rendre les députés responsables envers les électeurs de leur circonscription, et davantage encore envers le parti sous la bannière duquel ils ont été élus... Toutefois, on ne peut s'empêcher de penser à une sorte de mise au pas des députés récalcitrants, «menacés» de perdre les avantages liés à leur fonction s'ils quittent le parti qui les a fait élire... Un genre de centralisme démocratique (ou bureaucratique) qui oblige les députés à envisager de perdre leur siège s'ils sont en désaccord avec sa politique et quittent leur parti. À l'heure où le bipartisme hérité du régime britannique montre ses limites à l'Assemblée nationale du Québec, et où une dose de proportionnelle aurait été plus satisfaisante pour refléter la diversité des partis qui y sont représentés, cette nouvelle proposition du gouvernement Marois signale l'inquiétude profonde du Parti québécois à rallier les électeurs à sa politique. On pense qu'avec ce subterfuge, il y aura moins de députés qui seront attirés par la position d'indépendant. Cette proposition qui vient d'un parti qui a toujours souffert de dissensions internes nombreuses ne me semble pas la bonne manière de rallier les opposants de droite ou de gauche derrière sa bannière. Le recours à la coercition n'est jamais une bonne recette pour améliorer la démocratie. Une vieille idée en somme pour des temps difficiles!

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Yolande Cohen



Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



LAVER PLUS BLANC QUE BLANC

Il n'appartient pas au gouvernement  d'obliger un député qui déserte sa formation politique de l'empêcher de rejoindre les rangs d'un autre parti. Un député qui a été élu par les citoyens de sa circonscription a le droit de les représenter le temps de la durée de son mandat et ce, peu importe la couleur politique qui l'identifie. Il appartiendra à ses concitoyens de le juger lors de la prochaine élection. Avec un tel projet de loi, le gouvernement lave plus blanc que blanc et désire plus que tout protéger sa très faible minorité. Il ne viendrait pas à l'esprit d'un gouvernement majoritaire d'agir de la sorte. D'ailleurs, les citoyens visés par un changement d'allégeance de leur député pourraient bien monter au créneau et demander à leur député de dégager, s'il ne veut pas respecter les couleurs pour lesquelles il a été élu. Tout comme un député est dans son droit de quitter sa formation d'origine si celle-ci ne donne pas suite à ses promesses électorales. Certains états de notre voisin du sud utilisent une procédure de révocation populaire (requête en destitution) nécessitant un certain nombre de signatures de citoyens avant que le député ne soit soumis à un tel ballotage. Le gouvernement pourrait s'inspirer de ce genre d'expérience avant de donner suite à un projet de loi qui ne devrait pas faire partie des priorités gouvernementales. Celui-ci a d'autres chats à fouetter.



Jean Gouin

Jonathan Guilbault

Séminariste.



POUR PLUS DE SÉRIEUX



Un député doit reconnaître que bien des voix qui l'ont élu soutiennent, par-delà sa personne, un parti, un chef, une façon d'envisager l'avenir du Québec. Le pacte entre les citoyens et le député qui en découle ne devrait pas pouvoir empêcher ce dernier, pour des motifs sérieux, de quitter un engagement devenu intenable dans son parti et de siéger comme indépendant. Cependant, c'est prendre un peu trop à la légère ce pacte que de permettre au député en question de rejoindre un autre parti sans le biais d'élections partielles. Par exemple, certains électeurs recourent au vote stratégique en appuyant un parti pour s'assurer qu'un autre ne gouverne pas. Que leur élu passe à « l'adversaire », et c'est la trahison la plus manifeste à leur égard ! Outre que de contribuer à freiner l'opportunisme et le maraudage, l'interdiction de migrer directement d'une allégeance à une autre ouvre, pour le député ayant quitté son parti, un nouveau temps de discernement politique ne pouvant pas lui faire de mal. Par ailleurs, comme indépendant, son activité peut déjà servir les causes lui tenant à coeur - et la cause de ses électeurs.

Photo fournie par Jonathan Guilbault

Jonathan Guilbault

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux.



UNE MESURE INUTILE



La démarche du gouvernement est inutile si elle ne sert qu'à sanctionner le transfert d'allégeance politique à un parti. En effet, rien n'empêche un député démissionnaire ayant un statut d'indépendant d'établir une alliance politique avec un parti sans y adhérer. Ultimement, ce député ayant le statut d'indépendant pourrait même accéder à un poste de ministre. Je suggère une mesure plus honnête et transparente: un député qui démissionne de son parti par conviction doit automatiquement retourner en élection partielle afin de vérifier si ses convictions sont partagées par ses électeurs. En ce cas, le statut de député indépendant serait temporaire jusqu'à sa réélection, soit comme indépendant ou membre d'un autre parti. Dans cette même logique, un député chassé de son caucus pour des raisons éthiques ou d'enquête criminelle, par exemple le cas de Tony Tomassi, ne pourra demeurer député indépendant que de façon temporaire, de trois à six mois au maximum selon le cas, et devrait, après cette période de transition, démissionner et se faire réélire, s'il se croit brimer dans ses droits. Enfin, il va de soi que si le député indépendant perd son élection partielle ou démissionne en cours de mandat, sauf pour des motifs de maladies, il n'aurait droit à aucune indemnité de départ.

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Jean Baillargeon

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP, à Québec.



LE ROMANTISME POLITIQUE



Le butinage politique n'est ni un phénomène récent, ni propre à un parti ou au Québec. Il est toutefois ironique d'observer des politiciens, soi-disant altruistes, adopter des règles pour gérer leur opportunisme. En fait, les politiciens ne sont pas moins égoïstes que les citoyens : ils maximisent leur intérêt personnel. On connaît d'ailleurs leurs motivations : la première est de se faire élire, la seconde est de se faire réélire. Les autres motivations? Ça dépend... des sondages. La proposition du gouvernement Marois ne changera rien à cette réalité; tout ça n'est que diversion cosmétique. Libéré de la ligne de parti, le transfuge pourra toujours siéger comme indépendant et vendre son vote en chambre à un parti d'opposition. Des sondages favorables pourront même l'inciter à se présenter sous une nouvelle bannière. Le but premier d'un politicien est, et sera toujours, d'accéder et de se maintenir au pouvoir. La proposition péquiste doit donc être classée dans la catégorie du romantisme politique; elle ne devrait pas nous faire oublier que les politiciens qui n'ont aucun scrupule à vendre leur âme pour se faire élire sont les mêmes qui gèrent vos impôts et qui réglementent votre vie pour se faire réélire.

Pierre Simard

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



OUI À UN PROJET DE LOI



Lorsque je vote pour un candidat X, j'appuie aussi, à moins qu'il ne soit candidat indépendant, le parti auquel il appartient. Si cette personne décide en cours de mandat de changer d'allégeance politique, il me semble normal d'avoir la possibilité de lui démontrer ou non que ma confiance en elle était aussi rattachée au parti pour lequel elle vantait les mérites en campagne électorale. Il est plausible pour un candidat de changer d'avis et de ne plus supporter l'idéologie d'une formation politique, c'est là le propre de tout être humain. Par contre, le système actuel rend la vie trop facile à celui ou celle qui veut profiter de la confiance de l'électorat et de la popularité d'un parti afin de se faire lire. L'opinion publique est très critique face à ces «vire-capots» et il semble que le PQ ait entendu nos récriminations à cet égard. S'il n'en tenait que de moi, ce futur projet de loi sanctionnerait de la même façon tout candidat élu. Qu'il change de parti ou qu'il décide de devenir candidat indépendant, il devrait porter l'odieux du déclenchement d'une élection partielle qui comporte des coûts important pour les contribuables. Ainsi, il y songerait longuement avant de devenir transfuge.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



LA MAUVAISE CIBLE



Comme citoyen, on vote d'abord pour un autre citoyen pour représenter l'ensemble des citoyens d'une circonscription auprès du gouvernement.  C'est l'essence même de notre système démocratique et parlementaire.  Après l'élection, Il faudra vivre avec ce choix démocratique à moins que le député élu ne démissionne ou se fasse exclure de l'Assemblée nationale pour avoir posé des gestes illégaux ou/et non éthiques. Durant son mandat, le député élu peut décider de prendre des positions différentes de celles qu'il a promis de prendre lors de la campagne électorale. Il peut même changer de parti politique. Éviter un tel changement en forçant le député élu à siéger comme indépendant, n'empêchera pas ce dernier d'appuyer systématiquement le parti qu'il voulait joindre; c'est un coup d'épée dans l'eau.  Les électeurs pourront toujours le chasser et élire, lors des prochaines élections, un autre citoyen pour les représenter.  Peut-être que cette expérience les incitera à voter la prochaine fois pour quelqu'un de plus intègre et crédible. Je préférerais de beaucoup que le gouvernement Marois prennent  des mesures pour inciter à une meilleure reddition de comptes du gouvernement en place, notamment en fin de mandat, juste avant le déclenchement des élections. À ce moment-là, le gouvernement en place devrait être forcé de publier une mise à jour du plan budgétaire, commentée par le Vérificateur général du Québec.  Une telle mesure aurait fait en sorte que les cadres financiers divulgués par les quatre principaux des partis politiques lors de la dernière campagne électorale soient plus réalistes, évitant ainsi une proliférations de promesses électorales trop dispendieuses et favorisant un meilleure débat public.  Selon moi, les principaux effets des « vire-capot» ne viennent  pas des députés qui changent de parti politique en cours de mandat mais des partis politiques eux-mêmes qui prennent le pouvoir et qui s'éloignent de leurs promesses électorales.

Jean-Pierre Aubry