Afin de réduire le temps d'attente pour les chirurgies, devrait-on ouvrir la porte au privé ? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Alain Vadeboncoeur

Médecin

L'ILLUSION PRIVÉE

La principale raison invoquée pour faire la promotion de la prestation chirurgicale privée, c'est faire « plus avec moins ». Mais vous risquez encore une fois d'être déçus : c'est une illusion, relayée par un discours que démentent des faits têtus. Chez nous, au Québec, la prestation chirurgicale privée hors hôpital coûte plus cher, un fait reconnu par tous. En Alberta, la prestation chirurgicale privée coûte plus cher que son équivalent public, pas qu'un peu : plusieurs centaines de dollars de plus pour chaque chirurgie sous-traitée aux cliniques privées. On s'est aussi là-bas intéressé à l'impact sur les délais d'attente, dont on prétend qu'ils fondront par magie grâce à la prestation privée. Or, bien qu'on ait constaté des améliorations, elles ne sont pas liées à la nature privée des cliniques : au contraire, les solutions adoptées dans le public étaient tout aussi efficaces, mais permettaient d'atteindre ces objectifs à moindre coût. Ces données ressemblent à celles retrouvées en Grande-Bretagne, où on a lancé la prestation privée une quinzaine d'années avant chez nous, sous Tony Blair. Ce qu'on a appelé là-bas les Independent Sector Treatment Centres n'ont pourtant pas répondu à la commande : selon des experts anglais, elles ont été imposées sans tenir compte des besoins locaux, déstabilisent les établissements publics, choisissent leurs patients et leur offrent un suivi limité, surtout en cas de complications. De plus, leurs coûts excédent de 11 % ceux de leur contrepartie publique, malgré une clientèle souvent plus légère. Quel bilan! Alors qu'on commence là-bas à s'éloigner du modèle, on s'explique d'autant plus mal le virage du Dr Gaétan Barrette sur la question : en 48 heures, il est passé d'un défendeur du public à un promoteur de la chirurgie privée. Très décevant, lui qui s'est pourtant impliqué dans une autre vie, avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec, dans le programme d'amélioration de la productivité des blocs opératoires publics de 2008, réussite manifeste qui n'a malheureusement pas été répétée depuis. Alors, oublions les illusions privées et travaillons plutôt à améliorer notre réseau public.

Dr Alain Vadeboncoeur

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec

OUI, MAIS À L'INTÉRIEUR DU RÉGIME PUBLIC

La place du privé dans notre système de santé au Québec a fait l'objet de multiples études et enquêtes dirigées par des personnes très compétentes en la matière: Claude Castonguay, Roland Arpin, Michel Clair, Jacques Ménard, etc. Une conclusion s'en dégage: oui, il y a une place pour le privé dans notre système, mais à l'intérieur du régime public universel en place. La chose est parfaitement possible, comme le montrent l'expérience du contrat entre l'hôpital du Sacré-Coeur et la Clinique Rockland et celle, malheureusement disparue, de l'hôpital Bellechasse. On conserve ainsi l'universalité et la gratuité du système et les avantages du «payeur unique» (single payer). On introduit aussi le principe de la concurrence entre les dispensateurs de services, ce qui est la meilleure manière d'augmenter la productivité du système et d'améliorer son accessibilité, en chirurgie comme ailleurs. Par contre, il faut éviter à tout prix de favoriser l'émergence d'un système privé en parallèle au système public, car cela conduirait inévitablement à une médecine à deux vitesses: une rapide pour les plus riches et une plus lente pour les plus pauvres. Ce qui serait une fausse solution au problème d'accessibilité.

Louis Bernard

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO

DES DISTINCTIONS IMPORTANTES

Dans ce débat, il me semble important de distinguer entre trois types de soins offerts par le secteur privé. Le premier type est un cas de sous-traitance; les soins couverts par le système public sont offerts par des entreprises privées, mais payés par le système public à un coût égal ou inférieur à ce que ce service lui coûte. Par contre, on ne devrait pas faire de la sous-traitance si ça coûte plus cher. Il n'y a pas de problème à développer ce type de solution. Rappelons-nous que l'existence d'un monopole peut être à la source d'inefficacité et d'inefficience. Le second type de soins offerts par le secteurs privé, qui consiste à offrir des soins couverts par le système public, mais payés par les patients, peut permettre à une clientèle plus riche d'avoir des soins plus rapidement. Dans un environnement où il y a un manque de chirurgiens, cela peut impliquer une réduction sensible des chirurgiens opérant dans le secteur public et une baisse dans le potentiel du secteur public et de plus longues files d'attente pour les moins riches. Ce type de solution devrait être limité aussi longtemps que l'offre de chirurgiens n'est pas suffisante pour faire face à la demande globale. Finalement, l'offre de soins non couverts par le système public de santé, mais offerts par le système privé doit pourvoir se développer pour satisfaire la demande des Québécois et des étrangers.

Jean-Pierre Aubry

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal. Il s'exprime à titre personnel

L'INCAPACITÉ DU RÉGIME PUBLIC

Certains commentateurs répètent que les ressources du système de santé public ne sont actuellement pas utilisées au maximum de leur capacité et qu'il faut attendre que ce soit le cas avant d'ouvrir la porte au privé. Mais alors aussi bien dire que cette ouverture aura lieu pendant la semaine des quatre jeudis. En fait, c'est justement parce que le régime public a démontré son incapacité à répondre efficacement aux besoins de tous les patients, et ce depuis plusieurs années, qu'il faut ouvrir davantage la porte à la liberté de choix et aux offres alternatives. Concrètement, il faut notamment permettre aux médecins du régime public - après qu'ils aient atteint un certain nombre d'heures minimal travaillées dans le réseau public - de travailler dans le secteur privé (ce que l'on appelle la pratique mixte). Les études montrent qu'il existe des médecins et des infirmières prêts à travailler davantage si les conditions sont réunies. Nous avons constaté au fil du temps que, malgré les bonnes intentions, le système public à lui seul ne deviendra jamais suffisamment efficace pour éliminer l'attente, que ce soit aux urgences ou pour subir une chirurgie. Il est plus que temps de laisser de côté les blocages purement idéologiques et de l'occasion au privé la possibilité d'insuffler un peu d'innovation et de concurrence dans le secteur de la santé. D'ailleurs, les pays sociaux-démocrates de la Scandinavie réussissent à maintenir l'équilibre entre, d'une part, la concurrence et l'input du secteur privé et, d'autre part, le maintien de l'universalité. Alors pourquoi diable le Québec et le Canada en seraient-ils incapables?

Michel Kelly-Gagnon

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette et ex-député bloquiste de Repentigny

NON AU PRIVÉ !

Je viens de regarder et d'écouter le débat des quatre médecins candidats pour autant de partix, sur le site lapresse.ca. Deux des quatre médecins m'ont impressionné : le Dr Hébert pour le PQ et le Dr Khadir pour QS. Quant au Dr Bolduc qui, après neuf années au pouvoir, reproche encore au PQ les lacunes dans notre système de santé, je trouve déplorable qu'un ministre ne prenne pas ses responsabilités. Si en neuf années de pouvoir, les libéraux ont été incapables de diminuer le temps d'attente dans les hôpitaux et d'améliorer le service aux patients, je ne vois pas comment ils pourraient le faire dans les quatre prochaines années. Et ce n'est sûrement pas en allant au privé, comme le souhaite le Dr Barrette qu'on peut améliorer les choses. Comme le disait le Dr Hébert, depuis qu'on a instauré le privé pour certaines chirurgies, les listes d'attente se sont allongées. Des quatre médecins qui ont participé à ce débat, celui à qui j'accorde ma confiance, c'est le Dr Hébert. Ses propositions sont claires et réalistes. Il ne fait pas croire aux gens que tout va se régler au lendemain des élections, mais en investissant davantage dans les soins à domicile, des lits seront libérés pour permettre à des patients en attente de chirurgie, de les occuper. Aussi, il faut arrêter de faire de la pensée magique à la Barrette, qu'en élisant la CAQ, ce sera l'eldorado pour tout le monde. Les électeurs ne sont pas dupes à ce point. J'ai l'impression que les troupes de François Legault sont prêtes à n'importe quoi pour se faire élire dans leurs circonscriptions. Il y a le dicton qui dit : qui trop embrasse, mal étreint!

Raymond Gravel

Adrien Pouliot

Président et chef de la direction de Draco Capital

FINANCEMENT ET PRESTATION

Il faut distinguer entre le financement des soins et la prestation des soins. Financement : l'État devrait, tout en continuant de payer les soins des Québécois, leur permettre de souscrire à une assurance santé privée (ce qui est actuellement illégal) pour qu'ils puissent avoir les moyens de se procurer des soins dans le privé. Prestation : la « sous-traitance » de chirurgies payées par l'hôpital Sacré-Coeur, mais exécutées à la clinique privée RocklandMD a dramatiquement réduit les délais d'attente. On devrait encourager cette forme de prestation par le privé et élargir la gamme de soins que ces cliniques peuvent offrir. Mais on devrait aussi donner le droit aux patients de retenir et payer (avec des assurances si on en a pris) les services d'un médecin sans que ce dernier ne soit obligé de se désaffilier de la RAMQ et donc de quitter le système public, quitte à exiger que le médecin exerce un minimum d'heures dans le réseau public avant de pouvoir ainsi « faire du surtemps » dans le privé. Ce droit est reconnu dans tous les pays, sauf Cuba, la Corée du Nord... et le Canada. Le Québec devrait aussi garantir des délais maximum à défaut de quoi, le patient pourrait se faire soigner dans le privé aux frais de l'État.

Adrien Pouliot

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne

LE QUÉBEC N'ET PAS UNE COMPAGNIE PRIVÉE

Grand comme 40 fois la Suisse, possédant 3% des réserves mondiales d'eau douce, une voie maritime navigable, sans compter ses forêts, ses minerais, etc., le Québec est un État riche qui devrait être en mesure de maintenir un système de santé de qualité, accessible à tous, en tout temps. Privatiser est un autre terme employé pour désigner la vente de services ou de biens communs. On vend pour faire de l'argent. Parce que ça rapporte. Ces transactions ont pour objet d'enrichir un groupe restreint de personnes au détriment de la population qui se trouve à payer à la fois pour un système public et privé. La privatisation n'est pas une solution, mais un placebo.

Caroline Moreno