Jacques Duchesneau a affirmé devant la commission Charbonneau que 70% des sommes récoltées par les partis provinciaux pour les élections étaient de «l'argent sale». «On serait devant une culture éhontée et généralisée de pots-de-vin et de corruption», soutient l'ex-directeur de l'Unité anticollusion. Croyez-vous que le financement illégal a pris une telle ampleur au Québec ? Que devrait-on faire pour remédier à cette situation ? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée



LOI TROP CONTRAIGNANTE

La loi sur le financement des partis politiques est tellement contraignante que les partis majeurs, au municipal comme au provincial, sont souvent incapables de financer à leur goût leurs campagnes tout en la respectant la loi. Les campagnes coûtent trop cher et il n'y a pas assez de citoyens pour donner aux partis. Quand la demande pour un produit est très forte et que le gouvernement impose des taxes ou d'autres obstacles légaux à son obtention, il se développe un marché parallèle illégal qui vise à contourner les obstacles. La répression n'y fait rien, ces marchés trouvent toujours une façon de fonctionner tant que la demande est là. Pour éliminer ce «marché noir», il faudrait une réduction draconienne de la taille de l'État, ce qui limiterait l'ampleur des avantages étatiques monnayables et étoufferait ce marché. Mais c'est évidemment dans une autre direction qu'on risque d'aller. D'abord vers plus de répression et de contrôle, qui seront éventuellement contournés, et peut-être carrément vers une «nationalisation» totale du financement des partis politiques. L'État assurerait alors l'entièreté du financement des partis, ce qui mènera à une corruption plus profonde au sein de l'État, tout en créant une barrière infranchissable empêchant l'émergence de nouveaux partis.

Adrien Pouliot

Jean-Martin Aussant

Chef d'Option nationale et député de Nicolet-Yamaska



UN SYSTÈME ENTIÈREMENT PUBLIC


Quelle que soit la véritable ampleur du phénomène, il est trop facile actuellement de contourner les règles pour donner davantage à un parti que la loi ne le permet. La solution est pourtant simple: un système de financement des partis politiques entièrement public, tel que le stipule le projet de loi 596 que j'ai déposé récemment à l'Assemblée nationale. Fini les dons privés et, par conséquent, une bonne partie des retours d'ascenseurs. Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, un système entièrement public coûtera beaucoup moins cher à l'État et aux contribuables que le système actuel. Non seulement parce que l'État verse déjà des millions sous forme de crédits d'impôt, de remboursement des dépenses électorales et de financement basé sur les votes obtenus, mais il doit également absorber la hausse des coûts découlant de la collusion dans l'octroi des contrats de travaux publics, que plusieurs comptent en centaines de millions de dollars. Alors oui, la solution est simple: il faut changer les règles de financement. Les politiciens qui refuseront de changer ce système veulent-ils conserver un environnement qui les a bien servis? Si oui, il serait grand temps des les changer, eux aussi.

Jean-Martin Aussant

Mélanie Dugré

Avocate



ROBIN DES BOIS



L'affirmation de Jacques Duchesneau surprend et ébranle. Si le financement occulte des partis politiques est un secret de Polichinelle, on ne peut s'empêcher de sursauter devant la sévérité du mal qui nous ronge. Déformation professionnelle oblige, j'encaisse toutefois les déclarations de Jacques Duchesneau avec prudence et circonspection dans l'attente des preuves au soutien d'allégations aussi graves. La faculté d'exagération est un art qui se manie plutôt bien sous le feu des projecteurs et une enquête officielle déterminera si les proportions avancées sont justes et exactes. Advenant que des preuves solides soient fournies, il faudra remettre en question l'efficacité des amendements déjà apportés à la loi régissant le financement des partis politiques, resserrer le degré de transparence requis et songer à exiger l'approbation des dons par un comité indépendant. Dans l'intervalle, j'oserai demander si la relation orageuse qu'a entretenue Jacques Duchesneau avec ceux qui l'ont mandaté n'expliquerait pas l'existence d'intentions cachées ou de motivations personnelles justifiant cette bombe atomique lancée mardi. La bonne foi se présumant, Jacques Duchesneau s'impose actuellement comme le gardien des bonnes moeurs de notre appareil politique et un Robin des Bois des temps modernes. L'avenir nous dira maintenant si l'habit fait le moine.

Mélanie Dugré

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de L'Idée fédérale



DISTINGUER LES FAITS DES EFFETS !



À l'époque de sa publication, le rapport Duchesneau avait déjà suscité plus de questions qu'il avait apporté de réponses. On s'attendait à ce que, devant la commission Charbonneau, son auteur fournisse des précisions de nature à étayer des impressions aussi générales que sensationnelles à propos de « l'empire du mal » qu'il s'était employé à décrire dans son rapport. Or, la révélation la plus claire est à l'effet qu'il a lui-même coulé son rapport aux médias, ce qui soulève un problème d'éthique et de loyauté qu'on aurait tort de minimiser. Comment le gouvernement aurait-il pu garder ce rapport secret ? M. Duchesneau semble friand des effets de toge, des affirmations à l'emporte-pièce, des généralisations intempestives et des déclarations explosives qui reposeraient principalement sur des conversations secrètes et anonymes. Il aurait bénévolement poursuivi ses investigations suite à la publication de son rapport pour arriver à la conclusion ahurissante que le financement des partis politiques est à 70% illégal, corrompu, réalisé avec de l'argent blanchi et qu'il sert même non seulement à faire des élections, mais à enrichir les politiciens ! La gravité de ces conclusions exige de la rigueur. Même le Directeur général des élections est tombé des nues ! Bien sûr, on sait qu'il y a des cas de collusion et de corruption, et grâce aux enquêtes de police, plusieurs personnes font actuellement face à la justice. Devant le sombre tableau brossé par M. Duchesneau, il est à souhaiter que la commission Charbonneau sache faire le tri entre les faits et les effets.



Richard Vigneault

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial



LE REMÈDE DE RENÉ LÉVESQUE



Il semble bien que le mal soit généralisé. Au Québec, il existe depuis plus de 50 ans. Jadis, au temps de Duplessis, la corruption était baptisée «favoritisme». Pot-de-vin ou favoritisme, c'est la même chose. Au temps de l'Union nationale, on donnait des frigidaires, des caisses de bière, des bouts de routes, de l'asphalte, un ponceau, etc. Maintenant, on semble gonfler les prix et les contribuables, sans qu'ils le sachent trop bien, paient les grosses maisons des entrepreneurs, les condos en Floride, les bateaux dans les Caraïbes. René Lévesque avait trouvé une solution fort simple, vite abandonnée par ceux-là qui l'avaient démocratiquement adoptée: le financement populaire. Un parti politique qui se respecte devrait être exclusivement financé par ses membres, disait le grand René Lévesque. Cela incluait les sous ramassés lors des assemblées populaires, le temps donné bénévolement pour la cause défendue. Lorsque j'entends le député péquiste de ma circonscription se réclamer de René Lévesque (que j'ai rencontré de multiples fois), je pense qu'il ne sait rien du discours et de l'action de l'ancien chef péquiste sur le financement des partis politiques. De SON parti politique. Le PQ, à ses origines, galvanisait les troupes, parce que leur parti était «leur possession». Rapidement, il est devenu un parti comme les autres parce qu'il est devenu la propriété des autres. De ceux qui donnent le plus, de ceux qui donnent sans être membre du parti. Il faut revenir aux sources de la pensée de René Lévesque. Un parti qui n'est à la remorque d'aucune force financière a bien plus de chance et de marge de manoeuvre que n'importe quel parti subventionné par les requins de la finance, les profiteurs, les entrepreneurs qui donnent à tous les partis politiques. Je fais de l'angélisme, je le sais. C'est pourquoi le diable est dans le bénitier.

Nestor Turcotte

Donald Riendeau

Avocat et éthicien



DES PISTES POUR LES COMMISSAIRES



Il est important de clarifier que les rapports de l'équipe Duchesneau ne sont pas des enquêtes approfondies. Il a lui-même expliqué qu'il n'avait pas contre-vérifié les allégations et que son équipe ne disposait pas de tout le soutien et des pouvoirs nécessaires. Les allégations portant sur le financement des partis politiques se veulent des pistes sérieuses et les commissaires n'ont plus le choix d'adresser cet enjeu en appliquant une méthodologie robuste. À une époque pas si lointaine, de nombreux hommes d'affaires, firmes de professionnels et entreprises de télécommunications s'impliquaient dans l'arène politique. Cela faisait partie des affaires... Par exemple, certains comptes discrétionnaires auraient été accompagnés de la suggestion d'être utilisés à bon escient et du bon bord... Je ne suis pas le curé de l'éthique et ne peux donner une absolution pour le passé, mais ce qui serait grave consisterait pour ces organisations d'avoir poursuivi ces stratagèmes alors que la population a clairement exprimé que cela n'était plus acceptable. Encore plus grave serait que nos politiciens soient les maîtres de ce système et mènent une comptabilité parallèle d'argent provenant de la criminalité. Si tel était le cas il faudrait : punir les coupables, adopter des sanctions hautement dissuasives mais surtout élire des gens de confiance.

Photo fournie par Donald Riendeau

Donald Riendeau.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.

MINIMISONS LES RETOURS D'ASCENSEUR



Je suis surpris par l'ampleur de ce pourcentage de 70%. Mais même si ce chiffre était plus faible, par exemple 50% ou même 30%, ce serait encore trop. Ce pourcentage de 70% provenant de «l'argent sale» implique que la proportion de contributions faites dans le but de recevoir « des retours d'ascenseur» est encore plus grand, car une partie des contributions «intéressées» peut venir «d'argent propre». Tout ceci me pousse à préférer un système où l'État est la principale source de financement des partis politiques au prorata des votes obtenus lors de la dernière élection. Les contributions des citoyens à un parti politique, autres que par le biais de l'achat d'une carte de membre, devraient être limitées à 300 $ et non pas à 1000 $, comme c'est le cas présentement. Ces contributions devraient être faites par l'intermédiaire du Directeur général des élections du Québec qui les remettrait au parti choisi par le citoyen sans mentionner le nom du contributeur au parti.  Cette façon de faire aurait pour avantage d'améliorer la reddition de compte sur les contributions faites aux candidats ou partis politiques et de réduire les pressions exercées par les contributeurs intéressés à des retours d'ascenseur.

Jean-Pierre Aubry

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP



LIBÉRALISONS LE FINANCEMENT ÉLECTORAL



En 1977, le Québec adoptait une loi régissant le financement électoral. On la disait une des plus rigoureuses au monde. Trente-cinq ans plus tard, Jacques Duchesneau prétend que 70% des sommes récoltées par les partis provinciaux sont de «l'argent sale». Surpris? Pas vraiment! Tout simplement parce que trop souvent, ce sont les lois et les impôts abusifs qui font naître les activités illicites. Dans les années 1920, les gouvernements canadiens et américains ont légiféré pour tenter d'éliminer l'alcool de nos vies. Il s'en est suivi ce que plusieurs qualifient d'âge d'or de la corruption et du marché noir. À vouloir restreindre par la force les sources de financement des partis politiques, on ouvre la porte aux organisations illicites et occultes. On attire sur le marché politique des petites mafias qui, grâce à un puissant réseau d'influence, servent la caisse de nos partis. Encore aujourd'hui, le débat sur le financement de nos partis politiques se tient sur les plans moral et répressif. C'est peut-être là le hic! On néglige l'idée qu'il suffirait de relaxer les contraintes imposées par notre loi électorale pour contrer la corruption.

Pierre Simard

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



MODIFIER LA LOI ÉLECTORALE



Selon Jacques Duchesneau, 70% des sommes récoltées par les partis politiques provinciaux seraient de «l'argent sale». Le directeur général des élections (DGE), Jacques Drouin, est surpris de l'ampleur de ces allégations. Bien malin celui qui peut affirmer avec certitude le pourcentage exact de ces transactions douteuses. Là n'est pas la question, car le simple fait de remettre une contribution politique à un parti afin d'obtenir un éventuel contrat en est une de trop. Certaines démarches ont été entreprises afin de contrer ce phénomène. Mais il faudra sans doute aller plus loin. Le montant total annuel de contribution des individus à une formation politique est passé de 3000$ à 1000$. Est-ce là une mesure suffisante pour autant? Rien n'empêche certaines firmes proches du gouvernement de contribuer, comme cela a déjà été le cas, en utilisant des prête-noms qui contribuent en leur nom personnel mais avec l'argent de l'entreprise qui convoite un contrat. Le montant de contribution est moins élevé? Soit, on utilisera donc plus de prête-nom. Quant à moi, la loi électorale devrait être modifiée afin d'interdire la collecte de fonds pour le parti par les députés et ministres. Il est de notoriété publique, gracieuseté de Norm MacMillan, que chaque ministre doit rapporter un minimum de 100 000$ annuellement dans les coffres du PLQ. Or il est évident, et qu'il le veuille ou non, que le ministre, en assistant à ces levées de fonds, côtoie de nombreux entrepreneurs qui, en contribuant à la caisse électorale, s'attendent à un retour d'ascenseur. Le DGE devrait donc proposer une modification à la loi électorale interdisant aux élus de participer directement à ces réunions où l'argent coule à flots. Les bénévoles de chacune des formations politiques pourraient aisément en faire autant.

Jean Bottari

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques



MA MÈRE, UNE VISIONNAIRE

Lors de ce qui allait devenir sa dernière campagne électorale, ma mère a dépensé 5000 $ pour son éclatante victoire à la mairie de Québec. Elle me disait qu'elle n'avait accepté aucune contribution parce qu'elle ne voulait rien devoir à personne. Encore une fois, on pourra dire qu'elle a été franchement visionnaire lorsqu'on constate le débat actuel. Ce n'est pas d'hier que le financement des partis politiques soulève de nombreuses questions. Rappelez-vous de Maurice Duplessis. René Lévesque a bien tenté de faire le ménage, mais si on en croit les dires de M. Duchesneau, il est peut-être temps de revoir le mode de financement des partis. L'expression « argent sale » est probablement un peu forte puisque l'on ne parle pas de blanchiment d'argent ou des produits de la criminalité, mais il y a certainement lieu de trouver une méthode qui permettrait aux partis de se financer sans qu'il n'existe une perception qu'il faille retourner l'ascenseur. L'envoi des contributions au Directeur général des élections qui, par la suite, se chargerait de redistribuer les sommes de façon anonyme aux partis pourrait être un début de piste de solution et pourrait permettre de réinstaurer les contributions issues des entreprises, avec un montant maximal bien entendu.

Denis Boucher