Que pensez-vous de la démission de la ministre Line Beauchamp ? Sa remplaçante à l'Éducation, Michelle Courchesne, parviendra à dénouer la crise étudiante ? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec



LA VICTOIRE TOTALE

Michèle Courchesne a-t-elle le mandat de hisser le drapeau blanc? A-t-elle le pouvoir signer la capitulation du gouvernement? À moins de faire volte-face sur la hausse des droits de scolarité, la ministre Courchesne a peu de chance de dénouer la crise étudiante. L'évolution du conflit étudiant n'a rien à voir avec l'intransigeance de Mme Beauchamp. Au contraire, jusqu'à la dernière minute, l'ex-ministre s'est affairée à faire des concessions et à trouver des moyens d'assouplir la position gouvernementale. Sans succès! En réalité, pour négocier, il faut être deux. Il faut que chacune des parties ait la légitimité de négocier et la volonté d'en arriver à une entente. Ce que semblent avoir perdu les leaders étudiants lorsqu'une majorité de leurs membres ont rejeté l'entente qu'ils avaient dûment signée avec le gouvernement. Depuis cette rebuffade, ils ont perdu toute marge de négociation. Ils ont dû revenir à leur position de départ. Aujourd'hui, ils revendiquent et ils exigent. Ils n'ont d'autre velléité que de mettre le gouvernement K.-O. La crise étudiante est devenue une affaire de leaders étudiants qui, après avoir été portés aux nues par les artistes et les leaders syndicaux, doivent absolument humilier le gouvernement pour redorer leur blason. Comme le disait Eisenhower : Nous n'accepterons que la victoire totale!



Pierre Simard

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

INGRATE, LA POLITIQUE

Que l'on aime ou pas Mme Beauchamp, elle a fait courageusement ce qu'on attendait d'elle. Elle a tenté de trouver une voie de passage au conflit qui l'opposait aux étudiants de presque tous les niveaux, qui ne voulaient rien entendre d'une augmentation des droits de scolarité. Elle s'est esquintée à convaincre ses collègues et la population du bien-fondé d'une hausse des droits de scolarité et elle y est parvenue. Elle a été la cible d'attaques verbales de toutes sortes. Ses bureaux furent saccagés. Elle croyait qu'elle était parvenue à la solution avec des négociations de dernière heure qui ont résulté en un accord de principe. Les représentants des étudiants qui ont signé cet accord ont-ils eu le courage de le défendre, de respecter leur signature au bas de l'entente en question? Pas du tout. À tout le moins, ils auraient également dû avoir la lucidité et le courage de Mme Beauchamp en démissionnant comme porte-parole, lorsque cette entente de principe fut rejetée. La démission de Line Beauchamp va possiblement permettre la résolution du conflit, mais pas parce qu'elle n'a pas fait son boulot correctement. Elle fut loyale au gouvernement, tout au long de ce conflit. En certaines occasions, un recul s'impose et la façon de Mme Beauchamp de permettre ce recul fut de démissionner. Ce que la politique peut être ingrate parfois.  Mme Beauchamp, je vous lève mon chapeau. Vous avez agi en grande dame. Ceci étant, le succès de Mme Courchesne est intimement lié à la volonté des étudiants à trouver un compromis.

Jean Gouin

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue

DUR, DUR, LA POLITIQUE

Prise en sandwich entre le premier ministre intransigeant et les étudiants tout aussi entêtés, Line Beauchamp ne pouvait pas sortir victorieuse de cette bataille mal engagée, mal menée. A-t-elle trop personnalisé ce conflit, ce qui a accru sa détresse? Des étudiants (des casseurs?) ont saccagé son bureau. Il y a de quoi prendre ça « personnel »! Line Beauchamp aurait-elle trouvé une autre sortie de crise si elle n'avait pas été manipulée par les faucons, incluant le premier ministre? Peut-être le dira-t-elle éventuellement. Quelle était sa réelle influence sur les décisions concernant ce conflit? Plus largement, quel rôle assigne le premier ministre aux ministres (on dit « ses ministres », assez symptomatique d'une position dominante), sans parler de simples députés? S'il s'agit de servir de courroie de transmission des ordres du premier ministre, quelle personne dotée d'intelligence et du jugement voudra s'engager en politique? Line Beauchamp a sauvé sa santé, espérons-le, en quittant ce champ de bataille où s'affrontent deux armées fatiguées, mais obstinées. Il est illusoire de penser que sa démission aidera à résoudre la crise. Pour le conflit, Line Beauchamp ne représentait ni le problème ni la solution. Elle augmente le nombre de politiciens sacrifiés à l'autel de la politique elle-même.

Jana Havrankova

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial

L'AUTORITÉ BATTUE EN BRÈCHE

Que peut-on faire lorsque les lois sont défiées, les injonctions non respectées, les services publics sans cesse perturbés? C'est le chaos (le «cahos»...comme j'ai vu sur l'écran de la télévision d'État). Et que faire, lorsque le chaos s'installe, prend racine sous l'oeil fulminant des citoyens? Il ne reste qu'une chose à faire: faire respecter un certain ordre et prendre tous les moyens pour y arriver afin que ces derniers puissent vaquer à leurs occupations. J'en ai marre de me faire dire que je n'ai pas assez fait pour la nouvelle génération. Je pensais qu'être jeune, c'était être fougueux, enthousiaste, reconnaissant, prêt à tout faire pour aider ceux qui avaient aidé, qui s'étaient sacrifiés à un moment de leur vie, surtout lorsqu'ils étaient jeunes. Malheureusement, la jeunesse est descendue dans la rue pour avoir plus «d'argent». Mme la ministre de l'Éducation, les leaders étudiants ne veulent rien savoir et ne sont jamais responsables de rien. Sauf de leurs revendications. Prenez vos décisions. Et le peuple, s'il se réveille un jour, jugera qu'en société «rien n'est gratuit» et qu'il faut que quelqu'un paie. Les jeunes compris. Je suis fatigué de payer pour les autres qui ne veulent rien payer. Je voudrais que quelqu'un prenne le relais.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

SACRIFICE INUTILE

Je ne crois pas que la démission de Line Beauchamp et la nomination de Michelle Courchesne puissent améliorer le climat malsain qui s'est enraciné entre le gouvernement et les associations étudiantes. Les étudiants veulent que le discours provenant du gouvernement change et non pas que le flambeau de l'éducation passe à un simple messager du premier ministre et ministre de la jeunesse qui laisse pourrir et s'amplifier ce boycottage. Selon moi, tous ont leurs torts dans le prolongement de ce conflit sans précédent. Le gouvernement incapable de dialoguer avec les étudiants. Les représentants des étudiants qui signent et approuvent une entente, mais ne la recommandent pas à leurs membres. Les directions d'universités qui, en ne s'adressant pas aux tribunaux afin de faire respecter les injonctions, ne font que prolonger la crise. Et le Procureur général du Québec qui, pour l'instant, n'a pas daigné lui non plus prendre les choses en main et instruire le système de justice afin que celui-ci fasse appliquer les injonctions en vertu des dispositions du Code criminel. Mme Beauchamp s'est donc sacrifiée pour rien, car d'autres solutions auraient dû être envisagées par un gouvernement responsable et véritable gardien de la démocratie.

Jean Bottari

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne

UNE CRISE NATIONALE

La démission de la ministre Line Beauchamp a été précédée de celles de Nathalie Normandeau, de Tony Tomassi, de Monique Jérôme-Forget, de Thomas Mulcair, d'Yves Bolduc et de Benoît Pelletier. Attrait du secteur privé ou de la politique fédérale, pots-de-vin : les libéraux quittent le navire. Michelle Courchesne, blâmée par le Vérificateur général du Québec pour l'attribution de places en garderie à des amis du parti, aurait dû, quant à elle, être démise de ses fonctions. Les étudiants ont réussi un tour de force. Bravo ! Un nouvel effort devrait entraîner la chute de ce gouvernement qui a fait reculer le Québec 40 ans en arrière. La crise est nationale. Elle connaîtra son véritable dénouement avec la destitution de Jean Charest.

Caroline Moreno

Mélanie Dugré

Avocate

LE CHAPEAU

Il n'existe sans doute aucun souhait collectif plus cher que celui de voir ce disgracieux conflit se régler. Toutes allégeances politiques confondues, les Québécois, particulièrement les Montréalais dont le quotidien est perpétuellement bouleversé par les incidents et méfaits publics, ont les yeux tournés vers Michelle Courchesne. Réussira-t-elle là où sa collègue Line Beauchamp a échoué? Souhaitons-le. Cependant, ceux qui croient qu'elle pliera au moment où sa collègue a refusé de céder commettent  une grossière erreur.

La rumeur veut qu'au cours de la nuit des longues négociations, Michelle Courchesne ait fait preuve d'écoute et d'empathie à l'égard des représentants des associations étudiantes, témoignant d'une réceptivité face à leurs demandes et revendications. Ce préjugé favorable qui la précède pourra peut-être contribuer à calmer certaines tensions,mais rappelons-nous que son rôle vient aujourd'hui de faire un virage à 180 degrés et du statut d'intervenante, elle vient de passer à celui de partie au litige. Non seulement je soupçonne Michelle Courchesne d'être animée de la même conviction que Line Beauchamp, mais je crois qu'elle possède aussi le détachement et le recul qui faisaient défaut à sa collègue. Nul doute que Michelle Courchesne a changé de chapeau. Celui qu'elle porte désormais fait d'elle une redoutable négociatrice et ses interlocuteurs n'ont maintenant qu'à bien attacher leur tuque.

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques



OBLIGATION DE RÉSULTATS



Il faut une grande dose d'humilité et de découragement pour en arriver à la décision prise par Mme Beauchamp. D'humilité d'abord pour se mettre sur les lignes de côté en se disant que quelqu'un d'autre fera peut-être entendre raison à la minorité étudiante qui refuse de faire face à la réalité. De découragement aussi, car elle a complètement abandonné la vie politique et relégué aux oubliettes plus de dix ans passés en politique. C'est dommage considérant qu'encore trop peu de femmes font de la politique. Mme Courchesne est une ministre aguerrie, intelligente et tenace. Les étudiants pourraient peut-être regretter Mme Beauchamp lorsqu'ils constateront que Mme Courchesne n'a pas été nommé ministre de l'Éducation pour aller les border. Les étudiants contestataires sont maintenant pris avec une obligation de résultats, car il sera très difficile pour eux de déclarer qu'ils ne peuvent réussir à s'entendre avec une ministre différente après avoir entraîné la démission de la ministre Beauchamp. À défaut de s'entendre, ils auront l'odieux de ne pas être capables de conduire des négociations de bonne foi et d'avoir causé en vain la perte d'une session à un grand nombre d'étudiants.

Denis Boucher