Les directions de cégeps devraient-elles s'assurer de respecter les injonctions les enjoignant à reprendre les cours? Devraient-elles demander à la police d'intervenir pour empêcher les étudiants (et des professeurs) de bloquer l'accès aux établissements? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée.



OUTRAGE AU TRIBUNAL



Dans une société de droit, les justiciables doivent obéir aux lois, à défaut de quoi ils doivent accepter les pénalités prévues par celles-ci.  Autrement, on tombe dans le chaos et l'anarchie où les droits et libertés civiles sont menacés par la force, la violence et l'intimidation.  Certaines directions de cégeps refusent d'appliquer les injonctions en disant qu'elles veulent respecter la « démocratie » et les votes des étudiants.  D'autres invoquent la sécurité des étudiants et des professeurs.  Tous ces gestionnaires risquent fort d'être condamnés pour outrage au tribunal, car ces ordres de la cour ne sont pas sujets à discussion ou réflexion!  Le concept de désobéissance civile ne s'applique pas ici car on ne cherche pas ici à désobéir à une loi contraire à l'intérêt général, mais plutôt par intérêt personnel.  Rappelons que les injonctions s'appliquent aux associations étudiantes et à leurs dirigeants, officiers et représentants et même parfois aux syndicats et aux professeurs eux-mêmes.  Espérons que le juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland, de même que le procureur général, le ministre de la Justice Jean-Marc Fournier et celui de la sécurité publique Robert Dutil ne laisseront pas le chaos et le désordre civil prendre le pas sur la primauté du droit - même s'il faut pour y arriver emprisonner des gestionnaires de cégeps, des étudiants ou des professeurs.

Adrien Pouliot

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx.



LA QUALITÉ DE L'ENSEIGNEMENT AFFECTÉE



Comment les directions de cégeps pourraient-elles sérieusement croire que forcer le respect des injonctions permettrait un enseignement de qualité dans leur institution? Comment pourraient-elles penser logiquement que la présence de policiers sur les campus favoriserait la réussite des étudiants? Placer les recours judiciaires au coeur de l'éducation ne peut que dégrader les conditions des apprentissages. Imaginez seulement les tensions dans les écoles et dans les classes! Penser en termes de judiciarisation, c'est mettre le clientélisme au centre du système éducatif et faire peu de cas de la qualité de l'enseignement. Les directeurs, tout comme les professeurs, ne devraient penser qu'à la réussite de l'ensemble de la communauté étudiante. En ce sens, même le juge en chef de la cour supérieure du Québec réclamait du ministre Fournier qu'il intervienne pour limiter les recours légaux dans le cadre de la grève des étudiants. Le droit à l'éducation ne peut prévaloir sur la sécurité des personnes dans une institution ni sur le droit à la grève des étudiants. La meilleure solution pour sortir de la crise consiste encore et toujours à un dialogue entre les partis tel que réclamé depuis le début du conflit par les étudiants. La sourde oreille du gouvernement conduit aux injonctions et aux affrontements stériles et dangereux.

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



ATTENTION! LES CHOSES RISQUENT DE DÉRAPER



Dans un conflit social comme la grève des étudiants, le recours aux tribunaux est rarement une avenue souhaitable. D'abord parce qu'un tel recours, en raison de son objet forcément limité, ne peut régler le conflit et peut même risquer de l'envenimer en provoquant injustement l'échec d'un grand nombre d'étudiants en grève. Deuxièmement, parce que la procédure judiciaire, axée sur la loi de la preuve, se prête mal à l'examen de questions essentiellement politiques. Et enfin, parce que l'exécution de telles décisions risque fort, soit d'être impossible, soit de dégénérer dans des situations inextricables. Une direction de cégep peut très bien forcer les enseignants à se présenter en classe, mais elle ne peut rien faire pour forcer les étudiants à y assister, ni pour s'assurer que le contenu de l'enseignement soit ce qu'il devrait être normalement. Quant à la présence de la police pour assurer l'accès aux salles de cours, elle ne peut être envisagée que dans des cas particuliers et serait impossible si elle devait couvrir l'ensemble des institutions frappées par la grève. Malheureusement, plus le conflit se prolonge, plus de tels recours aux tribunaux risquent de se multiplier. Mais attention, il s'agit de recours qui ne peuvent rester lettre morte. Inévitablement, il faudra éventuellement, pour sauvegarder l'honneur de la justice, prendre des recours en mépris de cour --  ce qui mènera, qu'on le veuille ou non, à des sentences d'emprisonnement. Étudiants, professeurs et dirigeants d'université et de cégeps en prison: est-ce bien ce qu'on désire?


Léo Bureau-Blouin

Président de la FECQ.



CLARIFIER LE FLOU JURIDIQUE



Demander l'intervention des forces policières pour faire respecter les injonctions qui visent certains cégeps serait une grave erreur. Être escorté par des policiers pour enseigner ou pour assister à un cours ne constitue pas un cadre pédagogique efficace. Ajoutons à cela que l'intervention de policiers risque de créer plus de confrontations et de tensions devant les cégeps. Alors que faire ? Des problèmes similaires existaient lorsque le droit de grève des travailleurs n'était pas encadré par des lois. Employeurs et employés se livraient à des échauffourées devant les usines. C'est à la suite de ces confrontations que les tribunaux ont décidé d'encadrer le droit de grève des travailleurs. Le temps est peut-être venu de préciser le droit de grève des étudiants d'un point de vue juridique pour clarifier le flou actuel. De telles précisions permettraient d'éviter le recours systématique aux injonctions en donnant des balises claires aux juges. Chose sûre, les retours en classe forcés ne feront qu'augmenter les violences, ce qu'il faut éviter à tout prix.

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



UNE ATTAQUE GRAVE



L'article 50 du Code de procédure civile se lit comme suit : « Est coupable d'outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d'un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l'administration de la justice, soit à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal ». L'outrage au tribunal est passible d'une amende ne dépassant pas 5000$ ou d'un emprisonnement pouvant aller jusqu'à un an. Le non-respect et la non-application des injonctions émises par les diverses cours de justice sont une attaque grave à un fondement de notre société libre et démocratique. En ce sens, les leaders étudiants devraient clairement informer les étudiants des écoles visées par les injonctions de les respecter et de se conformer. Si la démocratie leur tient tant à coeur, il serait logiquement normal que ceux-ci soient particulièrement sensibles au respect d'un des fondements de l'état de droit dans lequel nous avons la chance et le privilège de vivre. De leur côté, les institutions devraient certainement faire tout en leur pouvoir pour que les injonctions puissent être appliquées et que les classes puissent reprendre comme les tribunaux les ont enjoints de faire. Le respect des lois n'est pas une option personnelle mais bien une obligation que nous avons en tant que citoyen.

Denis Boucher

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



FLIRTER AVEC L'ANARCHIE



Ne pas respecter une injonction revient à mépriser un ordre écrit de la cour. Et ne pas s'assurer de faire respecter une injonction me semble du pareil au même. Les directions des cégeps se doivent de tout faire pour que les injonctions les enjoignant de reprendre les cours soient respectées. Je trouve qu'actuellement, on verse un peu trop dans la désobéissance civile et que, ce faisant, on flirte avec l'anarchie. On peut toujours manifester en respectant les règles de la société et faire valoir son point de vue. Par ailleurs, on ne peut accepter trop longtemps les débordements lors de ces manifestations où les casseurs s'invitent et font déraper l'ordre établi. Je ne comprends d'ailleurs pas les directions des cégeps qui hésitent. Peut-être ne veulent-elles pas jeter davantage d'huile sur le feu. Je peux comprendre qu'elles doivent également s'assurer de la protection de leurs employés, mais en n'agissant pas, elles s'exposent à se faire poursuivre pour outrage au tribunal. Pourtant, elles ont aussi des responsabilités envers la société dont celle de donner l'exemple. Et donner l'exemple, c'est respecter, dans ce cas-ci, les injonctions.



Jean Gouin

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



INJONCTIONS INUTILES



La définition même d'une injonction prétend que les parties doivent la respecter sans quoi il y aura une audition d'outrage au tribunal. La première cause d'outrage a être entendue se tiendra le 7 mai prochain au palais de justice de Sherbrooke et mettra en cause les étudiants grévistes et la direction du cégep de Sherbrooke. Entretemps par contre, rien ne semble être fait par les directions d'universités et de cégeps afin de forcer les respect des injonctions ordonnant le retour en classe. Les professeurs voyant les entrées bloquées par les lignes de piquetage étudiantes évoquent leur convention collective qui stipule qu'ils doivent exercer leur profession en toute sécurité et syndicalement disent qu'ils ne peuvent franchir une ligne de piquetage. Pire encore, il semble que certains professeurs  se joignent au manifestants en bloquant les entrées et manifestent côte à côte avec les étudiants qui boycottent les cours. Ce conflit qui perdure est indigne de notre société qui se targue de valoriser l'éducation. Certains pays très pauvres ont compris que l'éducation est un investissement en offrant la gratuité scolaire du primaire à l'université. Ici que faisons-nous plutôt que tout mettre en oeuvre pour régler ce conflit? Nous recourons aux tribunaux afin d'écraser l'adversaire qui, soit dit en passant, est un citoyen comme vous et moi. Injonctions ou pas, il semble que cette crise ne finira jamais, car il a pris de telles  proportions que le gouvernement Charest semble impuissant et que les tribunaux seront incapables eux aussi d'en atténuer les impacts sur nous tous.

Mélanie Dugré

Avocate.



UN ÉTAT DE DROIT?



Le festival des injonctions et des outrages au tribunal qui se déroule présentement dans un palais de justice près de chez vous pourrait presque être divertissant s'il n'était pas aussi pathétique. Enorgueillis et fiers de notre société libre et démocratique, que faisons-nous de la primauté du droit? Les diverses ordonnances rendues par nos tribunaux sont brûlées sur la place publique par une poignée de manifestants qui s'en font un feu de camp en scandant des cris de ralliement et en se faisant une sadique joie de les défier et d'empêcher les institutions de les respecter. Peut-être que ces dernières pourraient adopter des mesures plus coercitives à cet égard mais il est difficile de leur reprocher de ne pas le faire compte tenu des coûts astronomiques et des conséquences désastreuses que représente déjà ce conflit pour elles.  Mais peut-être aussi que les porteurs du carré rouge pourraient admettre que si eux jouissent du droit de manifester et d'exprimer leur désaccord avec la hausse des frais de scolarité, il est légitime pour leurs confrères des carrés verts d'exiger que les jugements rendus soient exécutés. Devant l'ampleur de la crise actuelle, un constat s'impose : cet état de droit que nous revendiquons comme l'un des fondements de notre société, vit de bien tristes jours.

Mélanie Dugré

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne.

MAUVAISE CIBLE



Il y a des limites à faire appel à la police et elle est atteinte. Les étudiants protestent contre une hausse des droits de scolarité qui menace leur avenir professionnel : ce ne sont pas des criminels. Avec la corruption qui règne en maître au parti libéral, la police a sûrement d'autres chats à fouetter que de s'amuser à provoquer les manifestants pour mieux les tabasser. Par ailleurs, il est regrettable de voir que certains préfèrent abandonner le combat plutôt que de perdre une session. Ils font le jeu de Jean Charest qui mise sur le temps qui arrange tout plutôt que sur une entente en bonne et due forme. Comme le disait si bien Pierre Falardeau : «Des fois, collectivement, on pense avoir réglé des problèmes à jamais et on passe à autre chose alors qu'il faudrait continuer à lutter.» La force réside dans la volonté. Pas dans la peur et le chantage.

Caroline Moreno

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal. Il s'exprime à titre personnel.



ABSOLUMENT!



Si des étudiants (et il est important ici de noter le mot des étudiants et non pas les étudiants) souhaitent protester contre la hausse des droits de scolarité, le Plan Nord, le "néolibéralisme", la corruption, les banques, ou que sais-je encore en refusant de se rendre à leurs cours, c'est leur droit le plus strict. À l'inverse, si d'autres étudiants font le choix de poursuivre leurs études, leurs droits doivent également être protégés. Ainsi donc, ce qui est en cause ici n'est pas «l'accès aux établissements» mais bien les droits et libertés des étudiants qui ont un point de vue différent. Du reste, il faut aussi ne pas perdre de vue qu'au moins deux tiers des étudiants (certains disent même trois quarts) ne partagent pas le point de vue des leaders étudiants les plus visibles et qu'ils continuent à se rendre en classe. Enfin, quand on sait que plusieurs des étudiants les plus militants se réclament de la mouvance dite «libertaire», alors pourquoi diable leur est-il si difficile de comprendre une notion toute simple: vivre et laisser vivre?

Michel Kelly-Gagnon

Marc Simard

Professeur d'histoire au collège François-Xavier-Garneau.



ÉTAT DE DROIT OU DE PRIVILÈGES



Une injonction est, selon le Code de procédure civile,  une «ordonnance de la Cour supérieure ou d'un de ses juges enjoignant à une personne (...) de ne pas faire ou de cesser de faire (...) un acte ou une opération déterminés..». Une personne qui ne respecte pas une injonction se rend coupable d'outrage au tribunal et peut être condamnée à une amende ou à une peine d'emprisonnement d'un maximum d'un an. Les étudiants, les enseignants et les citoyens qui se massent devant les portes de certaines institutions d'enseignement pour empêcher la tenue des cours alors que les tribunaux ordonnent qu'ils soient dispensés se rendent donc coupables d'outrage au tribunal. Cela ne doit pas être toléré dans une société de droit. Ne pas respecter une injonction est un geste lourd de conséquences, susceptible d'entraîner la société dans une dérive anarchique, qui n'a de sens que sous un régime dictatorial ou totalitaire et pour défendre des droits fondamentaux. S'y adonner pour préserver les privilèges corporatistes d'un groupe social est d'une inconséquence inqualifiable. Personne ne devrait s'y prêter sans être sanctionné, les professeurs plus que les autres. Pour ces raisons, et malgré les protestations que cela entrainerait, des opérations policières devraient être organisées pour encercler, arrêter, identifier et traduire en justice tous les individus qui défient sciemment ces ordres de cour. Nul ne peut se prétendre au-dessus de la loi.

Patrice Garant

Professeur émérite de droit public à l'Université Laval.



AU BORD DE L'ANARCHIE



Notre société vit depuis quelques décennies un phénomène de judiciarisation  poussée. L'avènement des chartes a eu pour effet de transférer devant les tribunaux la solution de problèmes à caractère largement politiques. Mais de tout temps, les citoyens ont saisi les cours pour faire respecter leurs droits ordinaires. Le Parlement et le gouvernement ont eu beau être contestés, mais le pouvoir judiciaire était respecté ; il s'agit du rempart ultime pour faire assurer  la primauté du droit et de la démocratie. En refusant d'obtempérer aux injonctions et en banalisant l'outrage au tribunal, les associations étudiantes et leurs leaders nous poussent au bord de l'anarchie. Certes, le pouvoir de la rue grise, surtout lors qu'il est adulé par certains médias ou autres groupes de pression. Mais les institutions publiques ont l'impérieux devoir de respecter et de faire respecter l'autorité des tribunaux. S'il y a menace à la sécurité des personnes dans ces institutions,  la police est là pour les protéger ; pourquoi ne le ferait-elle pas alors quelle se déploie pour empêcher la casse de vitrines en ville ? La désobéissance civile n'est pas un argument pour contester une politique gouvernementale, à moins que celle-ci constitue «une  torture ou peine cruelle et inusitée»; l 'augmentation de droits de scolarité n'est pas de cette gravité!

Patrice Garant.

François Bonnardel

Député de Shefford.



LA FAUTE DES VIEUX PARTIS



Le porte-parole de la Coalition avenir Québec en matière d'éducation, Éric Caire, a déposé hier une motion à l'Assemblée nationale exigeant le respect des injonctions prononcées par les tribunaux qui permettent aux étudiants qui le souhaitent d'assister à leurs cours. Malheureusement, cette motion a été bloquée par les autres partis. Ainsi, les 125 élus de l'Assemblée nationale n'ont pas pu envoyer un signal clair à l'égard du respect des décisions des tribunaux qui ont émis ces injonctions. L'incapacité du Parti québécois et du Parti libéral à être clairs sur cette question n'est pas sans danger, car elle  laisse entendre qu'il peut être acceptable de défier les décisions des tribunaux et de ne pas respecter nos lois. Il est très regrettable que ces deux vieux partis cultivent une telle ambiguïté, car ce sont les étudiants qui veulent obtenir leur diplôme qui en paient le prix. La position de la Coalition avenir Québec est claire : il faut faire respecter les injonctions prononcées par les tribunaux. Nous affirmons haut et fort que le droit à l'éducation ne doit pas être brimé et que les étudiants doivent être libres d'assister à leurs cours. Au lieu de tergiverser, les autres partis devraient joindre leur voix à la nôtre.

photo archives La Voix de l'Est

François Bonnardel