Est-il acceptable que la Caisse de dépôt embauche parfois des hauts dirigeants unilingues anglais? Le fait que deux d'entre eux ne maîtrisent pas le français est-il un manque de respect à l'endroit des employés francophones de la Caisse?

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Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé du CIRANO

SUR UNE COURTE PÉRIODE

J'ai travaillé 30 ans à Ottawa dans une institution fédérale et officiellement bilingue. Dans les entités administratives qui avaient un superviseur unilingue anglais, les francophones devaient faire une grande partie de leur travail en anglais. Les rencontres individuelles ou en groupe avec ce superviseur se passaient presque exclusivement en anglais.  De plus, les francophones se sentaient obligés d'écrire en anglais pour s'assurer que leurs points de vue soient bien compris par ce dernier.  Finalement, ces gestionnaires unilingues anglais accomplissaient leurs tâches de supervision en anglais et discutaient des évaluations de rendement avec leurs employés en anglais.  Plus les francophones peuvent parler et écrire en anglais et moins les superviseurs ont une bonne maîtrise du français, plus le travail se faisait en anglais et plus les droits de francophones étaient piétinés. L'idée de tolérer une situation où un gestionnaire unilingue anglais supervise des personnes dont la langue de travail de préférence est le français est acceptable, sur une base exceptionnelle et sur une courte période (moins de six mois).  Par contre, la mise en application d'une telle approche a trop souvent ouvert la porte à des abus.  On a fait trop d'exceptions et la période de formation linguistique du superviseur prenait souvent plusieurs années, avant que ce dernier n'ait atteint un niveau minimal de maîtrise du français. Cette expérience me porte à croire que les hauts dirigeants de la Caisse qui agissent comme gestionnaire d'une entité administratives ou comme chef de projet doivent avoir une bonne maîtrise du français.  Par contre, la Caisse pourrait engager des conseillers ou experts unilingues anglais qui n'auraient pas à accomplir des tâches de gestionnaire/superviseur; dans un tel cas, le gestionnaire devrait s'assurer qu'il y ait un intermédiaire lors des rencontres entre ce conseiller/expert et les employés unilingues français.

Jean-Pierre Aubry

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec

UNE ABERRATION INEXCUSABLE

La Caisse de dépôt et placement est, dans le domaine financier, l'institution-phare du Québec moderne. Elle reflète le succès du Québec Inc., la montée des francophones dans la chasse gardée anglo-saxonne du monde de la finance et le pouvoir économique de la société québécoise. Elle est une source de fierté collective et ses succès, comme ses échecs, affectent la psyché de notre société. C'est, de plus, une institution qui appartient à tous les Québécois. Elle doit donc, dans sa gestion, donner le bon exemple, pas le mauvais. Comment convaincre les immigrants et les anglophones que la connaissance du français est obligatoire au Québec si elle ne l'est pas à la direction supérieure de la filiale la plus importante de la Caisse de dépôt? Que la connaissance du français ne soit pas une exigence absolue pour un directeur des ressources humaines ou un chef de l'exploitation est une aberration inexcusable. Il est temps que le conseil d'administration et la direction de la Caisse de dépôt prennent leurs responsabilités et adoptent et rendent publique une politique officielle sur l'usage de la langue française dans toutes les opérations et à tous les niveaux de la Caisse. Car il semble que le bon sens ne suffit pas.

Photo: André Tremblay, Archives La Presse

Louis Bernard

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien PDG de la SAQ et de Loto-Québec

DES NUANCES À FAIRE

Il faut ici faire une différence entre l'embauche d'un haut dirigeant unilingue anglais venant de l'extérieur et la promotion d'un dirigeant unilingue anglais issu d'une entreprise achetée par la Caisse de dépôt. Ivanhoé était à l'origine la filiale immobilière de Steinberg alors que Cambridge était une entreprise autonome opérant principalement à l'extérieur du Québec. Dans un cas comme dans l'autre, la majorité des dirigeants étaient anglophones et faisaient partie des actifs achetés par la Caisse. Il aurait été ridicule de tous les mettre dehors parce qu'ils ne parlaient pas le français. Kim McInnes venait de la filière Cambridge et a toujours été reconnu comme un des génies de l'immobilier au Canada et ailleurs dans le monde. Le problème est survenu lorsque la Caisse a fusionné la Société immobilière Trans-Québec (SITQ) avec Ivanhoé Cambridge. Comme les dirigeants de la SITQ étaient presque tous d'origine francophone, est-ce à dire qu'ils auraient dû être les seuls à avoir des promotions, indépendamment de leurs aptitudes? Pas nécessairement. Aujourd'hui, le plus haut dirigeant de la nouvelle société dûment fusionnée est un francophone, Daniel Fournier, alors que Kim McInnes a hérité du poste numéro 2, chargé de l'exploitation. Pour moi, cela n'est pas un manque de respect à l'endroit des employés francophones de la Caisse car il est le meilleur pour occuper ce poste. Mais il lui faut maintenant apprendre le français le plus rapidement possible étant donné que la donne a changé avec la fusion. Cependant, Ivanhoé Cambridge a erré en nommant David Smith, unilingue anglais, au poste de vice-président des ressources humaines. Il ne s'agit pas ici de l'exploitation de centres commerciaux ou d'immeubles locatifs mais de gestion de ressources humaines. Maîtriser la langue française devient alors la condition numéro 1 pour avoir l'emploi, même si le candidat francophone est moins compétent qu'un autre candidat unilingue anglais. C'est une règle du jeu incontournable au Québec.

Gaétan Frigon

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse

LA LANGUE DE L'ARGENT

«L'argent, l'argent, l'argent, il n'y a pas rien que ça dans la vie, l'argent!» C'est ainsi que commençait un célèbre monologue d'Yvon Deschamps. Pourtant, on semble oublier ce constat et l'on dirait, ces temps-ci, qu'il n'y a malheureusement qu'une seule langue qui compte : l'anglais pour faire des affaires. Que la Caisse de dépôt et placement, notre bas de laine collectif édifié par Jacques Parizeau, entre autres, pour défendre les intérêts des Québécois, soit dirigée en partie par quelques unilingues anglophones constitue certainement un affront. Ce n'est pas seulement manquer de respect envers les employés francophones de l'institution, mais renier les principes fondateurs de la Caisse et tout sacrifier à l'autel du nouveau dieu Dollar. Pour couronner le tout, on apprend qu'il y avait des Québécois francophones qualifiés pour ces emplois. Maître chez nous, disait un slogan d'un parti politique d'un autre temps. Ce n'est pas vers cet objectif que semble se diriger la Caisse. L'argent n'a pas d'odeur, mais il semble appartenir à une langue qui n'est pas de chez nous...

Caroline Moreno

Écrivain 

LE DEVOIR DE FRANÇAIS

Depuis la nomination contestée de Michael Sabia à la tête de la Caisse de dépôt et de placement du Québec, celle-ci a enregistré des pertes d'argent se chiffrant en milliards de dollars. Elle a également procédé à l'embauche de cadres supérieurs unilingues anglais. Ces décisions reflètent un manque total de respect, non seulement envers ses employés, mais à l'endroit de tous les Québécois. Le français est-il oui ou non la langue officielle du Québec? Pas question que les dirigeants de la Caisse se soustraient à leur devoir!