Selon un sondage réalisé par l'Institut Fraser auprès des principales entreprises pétrolières et gazières, le Québec est perçu comme un des pires endroits au monde pour investir dans l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures. À votre avis, faut-il s'inquiéter ou au contraire se réjouir de cette perception? Que devrait faire le gouvernement du Québec pour réagir à ce résultat?

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Pierre-Olivier Pineau

Professeur agrégé à HEC Montréal

PAS ÉTONNANT, ET RIEN NE PRESSE

Pas étonnant que le Québec soit perçu comme un des pires endroits au monde pour investir dans les hydrocarbures: il ne s'en trouve que peu par rapport à des régions comme l'Alberta ou le Moyen-Orient, et celui qui existe n'est pas facilement accessible. Les compagnies vont donc légitimement investir dans les régions où l'abondance est plus grande. Malgré cela, il se trouve un grand nombre de compagnies qui se sont procurées des permis d'exploration au Québec, autant pour le pétrole que pour le gaz naturel. C'est donc dire qu'elles considèrent le Québec comme une région propice au développement. La perception des compagnies se mesure à leurs actes, pas à leurs paroles dans des sondages. Il ne faut donc pas du tout s'inquiéter de ce sondage, d'autant plus que si les hydrocarbures québécois doivent être exploités, autant le faire plus tard que plus tôt: ils n'auront que davantage de valeur.

Philippe Faucher

Professeur au département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal

LOIN DES DICTATURES PÉTROLIÈRES

Les industries du pétrole et du gaz sont spécialistes de la prise de risque, y compris le risque politique. Le sondage de l'Institut Fraser porte sur les obstacles, fiscaux, réglementaires et sécuritaires qui influent sur les décisions d'investissements. L'incertitude politique peut être le principal obstacle comme aujourd'hui en Libye, en Iran ou au Venezuela. Ce qui n'empêche pas les grandes pétrolières d'être très présentes dans ces pays. L'essentiel est le profit escompté. Il peut paraître absurde de comparer le Québec avec l'Uzbekistan, mais puisque les ressources naturelles sont de juridiction provinciale, il nous faut assumer la responsabilité qui accompagne notre autonomie juridique et la réputation qui vient avec. Les turbulences entourant la non-exploitation du gaz de schiste au Québec ne pèsent par lourd dans la balance. Le Québec perd des points à propos de l'incertitude concernant la protection environnementale, la taxation, la réglementation et les coûts qu'elle entraîne, la disponibilité de la main-d'oeuvre et les lois du travail, ainsi que les délais provoqués par le zèle de nos administrations. C'est l'expression du point de vue du patronat. C'est involontaire, mais dans ce cas, je considère que c'est un compliment que nous nous retrouvions loin derrière les dictatures pétrolières.

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital inc., société d'investissement privée

DE NOMBREUSES RAISONS DE S'EN RÉJOUIR

Ceux qui vont se réjouir sont, notamment, ceux qui (1) veulent fonder les politiques environnementales sur des croyances ou mythes ou sur des programmes politiques opposés à l'amélioration du niveau de vie des êtres humains ou menés par des groupes d'intérêt (2) sont propriétaires d'un terrain de surface dont le sous-sol a été nationalisé et qui ne peuvent faire sanctionner leurs droits de propriétaire de surface devant les tribunaux (3) n'acceptent pas que toute activité humaine comporte un risque, mais également bien souvent des bénéfices réels et mesurables (4) acceptent le principe de précaution fondé sur l'idée qu'il est nécessaire de démontrer en l'absence de tout doute qu'une action ne puisse causer aucun tort pour être socialement acceptable, plutôt qu'une approche équilibrée, où l'on compare les risques et les bénéfices potentiels d'une action avec les risques et les bénéfices d'une inaction, et enfin (5) ceux qui pensent que l'État peut mieux gérer les ressources que les individus et qui ne croient pas que, puisque la richesse du propriétaire dépend de sa bonne gestion de la ressource lorsqu'il voudra la vendre, il aura un incitatif beaucoup plus important que le gouvernement d'en préserver et d'en améliorer sa valeur et son utilité.

Pierre-Yves McSween

Chargé de cours à HEC Montréal

DE L'EAU DANS LE GAZ?

Je ne suis pas un opposant au développement économique. Toutefois, la fracturation hydraulique (terme français utilisé pour «fracking») n'a pas encore démontré son efficacité. Quand on se lance dans une exploitation risquée, il ne faut pas regarder seulement le pourcentage de risque, aussi minime soit-il, mais bien le coût de la conséquence d'un désastre éventuel. La principale crainte de la population au niveau de l'exploitation des gaz de schiste est la contamination des sources d'eau potable naturelles. La réelle question à se poser est la suivante: est-ce que l'eau potable vaudra un jour plus cher à nos yeux que le gaz de schiste? Si oui, doit-on prendre un risque indu maintenant? Indépendamment de tout cela, le 25 juin dernier, un article du New York Times remettait en doute la rentabilité de l'exploration et de l'exploitation des gaz de schiste. Donc, avant de se lancer comme des poules sans tête dans ce type d'activité, prenons le temps de réfléchir. Les Québécois ont le droit d'être entendus et écoutés. L'industrie trouve que nous posons trop de questions? Aucun problème, le gaz ne disparaîtra pas. L'avantage avec l'énergie fossile, c'est qu'il n'y a pas d'urgence à l'exploiter, ce sont des ressources qui dorment depuis fort longtemps. Ainsi, avant de commencer à dédommager l'industrie pour les «pertes de profits» à la suite d'un moratoire, il faudrait s'assurer que ces pertes sont réelles. Le gouvernement du Québec doit-il réagir fasse à la mauvaise réputation de la province dans cette industrie? Je propose deux actions à nos élus. La première, lire le texte «Gaz de schiste, une perspective comptable» rédigé par Jacques Fortin: un texte synonyme de logique et de sagesse. La deuxième, contacter Dominic Champagne: ses réflexions sur le sujet redonnent espoir à la démocratie et à l'action citoyenne.

Pierre Simard

Professeur, École Nationale d'Administration publique

RIEN D'ÉTONNANT

Ainsi, la province de Québec serait considérée comme un des pires endroits pour investir dans l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures. Faut-il s'en surprendre? On aurait tort de n'y voir qu'une conséquence du débat folklorique entourant l'exploitation des gaz de schiste. Il ne faut pas oublier que cette enquête sondait les entreprises sur plusieurs aspects de leur environnement d'affaires. Or, le gouvernement du Québec est le champion nord-américain de la coercition des entreprises. Non seulement à cause de sa fiscalité défavorable, mais aussi par ce qu'il contrôle à peu près toutes les activités d'une entreprise. Investir au Québec, c'est accepter de se conformer à une panoplie de lois et de règlements édictés par une quelconque régie, un ministère, la CSST, l'Office québécois de la langue française et au moins une dizaine d'autres bureaucraties. Avez-vous déjà compté le nombre de rapports à produire et les demandes d'autorisation à obtenir avant même de commencer à exploiter une ressource? Pas surprenant que les investisseurs préfèrent aller creuser leur trou ailleurs. Rien pour se réjouir!

Jean Gouin

Directeur général, Fédération des médecins résidents du Québec

L'IMPACT DU MANQUE D'INFORMATION

Il y a beaucoup de non-dits et d'informations qui ne nous sont pas transmises lorsqu'il est question de l'exploitation pétrolière et gazière. Que les Québécois soient très frileux à l'exploitation et à l'exploration des hydrocarbures se conçoit très bien. On leur a fait valoir la richesse potentielle que pourrait receler le sous-sol québécois, notamment le long du fleuve Saint-Laurent et de sa plaine environnante. Mais on ne les a toujours pas convaincus du bien-fondé d'aller de l'avant. Les exemples de désastres environnementaux abondent. L'exploitation des sables bitumineux en Alberta et ses conséquences sur l'environnement, tout comme les déversements du puits de pétrole dans le golfe du Mexique, sont des exemples qui nous rappellent constamment qu'il faut agir avec prudence et respect pour l'environnement lorsqu'on parle de l'exploitation de nos ressources. Nous ne connaissons pas le potentiel de notre sous-sol. Nous n'avons aucune idée de ce que pourraient en être les retombées économiques pour le Québec. Mais nous n'avons pas non plus de garanties suffisantes en cas de désastre. Ni d'information sur le montant des redevances que devrait exiger le Québec. Ces questions pour la très grande majorité des Québécois demeurent sans réponse. Le Saint-Laurent est un fleuve majestueux qui fait notre fierté. Personne ne veut que le fleuve, son littoral et sa plaine soient un jour défigurés, et encore moins l'objet d'un désastre environnemental. C'est à ça que pensent les Québécois lorsqu'il s'agit d'exploration et d'exploitation des ressources gazières. Informer adéquatement la population québécoise aurait dû, et devrait toujours être le premier geste du gouvernement.

Martin Coiteux

Professeur au service de l'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal

UNE PAUSE NÉCESSAIRE

Que le Québec soit considéré aujourd'hui comme l'un des pires endroits pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures ne constitue pas une bonne nouvelle. Néanmoins, le débat était tellement mal engagé que la pause actuelle était non seulement inévitable, mais nécessaire. Nous devons profiter de cette pause pour définir correctement les paramètres qui permettront au Québec de rester compétitif tout en s'assurant que l'exploitation du secteur des hydrocarbures se fasse de manière responsable. L'exploitation des hydrocarbures passera par la réglementation environnementale la plus stricte ainsi que par un partage des bénéfices, entre intérêts publics et privés ainsi qu'entre générations actuelle et future, afin qu'elle soit jugée plus acceptable sur le plan social. Il est d'ailleurs intéressant de noter que la Coalition pour l'avenir du Québec, présidée par François Legault et Charles Sirois, a fait de cet enjeu de l'acceptabilité sociale du développement des ressources naturelles du Québec l'un des thèmes centraux de ses propositions économiques. Le débat est donc lancé. Souhaitons donc que le Québec trouve au terme de la pause actuelle la formule qui lui permettra d'attirer l'investissement privé responsable tout en réconciliant les Québécois avec l'idée même du développement de ce nouveau pôle de création de richesse.

Frédéric Mayer

Doctorant en administration des relations internationales de l'ENAP

ET QUE PENSE L'INDUSTRIE D'ELLE-MÊME?

Il s'agit à la fois d'une excellente nouvelle et d'un des pires constats qu'une industrie internationale pouvait rendre. L'industrie pétrolière et gazière sait maintenant que les citoyens québécois les observent et ne sont pas prêts à accepter une exploitation vulgaire et sans retenue de leurs richesses naturelles. Le but n'est pas d'interdire l'exploitation à tout prix, mais de s'assurer que le travail sera fait en respectant les autres richesses naturelles québécoises, l'eau et les forêts. De l'autre côté, il y a ce constat d'une gestion aléatoire de la part de notre gouvernement. Celui-ci doit être responsable, éclairé et solide dans sa gestion, ce qu'il n'a indéniablement pas démontré en prolongeant inutilement sa réflexion sur une industrie qui a encore beaucoup de choses à prouver. Toutefois, si l'industrie veut véritablement comprendre la réaction des citoyens, elle doit se regarder elle-même. La sélection de ses dirigeants et de ses porte-parole démontre une arrogance particulièrement insultante. Les liens mainte fois démontrés entre l'industrie et la classe politique font perdre toute crédibilité, tant au gouvernement qu'à l'industrie elle-même. De plus, le comité chargé de l'étude environnementale commandée par le BAPE semble noyauté. Il n'est donc pas surprenant que les citoyens se méfient. Au final, il reste que les politiques internes et les valeurs du gouvernement québécois ont mis à mal l'image du Québec sur le plan international. Ce n'est pas une si mauvaise chose que cette industrie bien précise prenne un pas de recul; lorsque les technologies se seront améliorées, le gaz et le pétrole seront toujours là. Le véritable danger c'est qu'elle entraîne d'autres industries avec elle et une détérioration de la bonne réputation du Québec à l'international.

Françoise Bertrand

Présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec

UNE RÉPUTATION QUI NOUS APPAUVRIT

Il est inquiétant de constater que le Québec est considéré comme l'un des endroits les moins attrayants au Canada pour investir dans les activités d'exploration et d'exploitation pétrolières.

Cette opinion, recueillie par l'Institut Fraser auprès de 478 sociétés pétrolières et gazières actives dans le monde, rejoint mes préoccupations face à notre avenir énergétique. Le Québec recèle de richesses, mais notre réputation internationale met en péril nos possibilités de croissance. La polémique autour du gaz de schiste a certainement renvoyé une image négative aux sociétés pétrolières mondiales. Cependant, le flou réglementaire, la lenteur administrative dans l'émission de permis et le dédoublement des autorités et les lois du travail, crée beaucoup d'incertitude et d'imprévisibilité, sont perçus eux comme étant des irritants majeurs. De plus, l'enquête confirme que l'hystérie, les demi-vérités et les vidéos sensationnalistes remplacent dorénavant de solides données scientifiques sur l'environnement. Il y a là une tendance inquiétante si la désinformation l'emporte au détriment de nos projets de développement économique. L'avenir sera sombre tant que le gouvernement n'adoptera pas un cadre simple, cohérent et prévisible pour les projets qui enrichissent le Québec.

François Bonnardel

Député pour l'ADQ dans Shefford

UNE IMPROVISATION COÛTEUSE

À la base, le fait que le Québec ne soit pas attirant pour des compagnies désirant investir est déplorable et on ne peut pas se réjouir de cette nouvelle. C'est de l'argent frais qui sera investi ailleurs. Ce sondage est la preuve même de l'improvisation du gouvernement en matière d'exploitation des richesses naturelles et démontre que les libéraux ont mis la «charrue devant les boeufs». Les raisons de l'impopularité du Québec auprès des investisseurs sont reliées à trois principaux facteurs: les dédoublements et les chevauchements administratifs, l'incertitude en matière de conformité et la non-acceptabilité sociale relative au développement de cette industrie. Le gouvernement avait le devoir de rechercher un consensus social avant de délivrer des permis d'exploration d'hydrocarbure. Il se trouve aujourd'hui piégé. Le gouvernement doit cesser d'être réactif et établir des règles de conformité et des procédures claires pour l'industrie et les citoyens. Ces règles doivent entre autres énumérer chacune des étapes à franchir avant de procéder à l'exploitation ainsi que des normes spécifiques à respecter. De cette façon, on diminuerait l'incertitude et l'ensemble des intervenants - entrepreneurs et citoyens - saurait à quoi s'attendre.

Jean-Pierre Aubry

Économiste

PRUDENCE VERSUS TÉMÉRITÉ

Si c'est vrai que le Québec est le pire endroit au monde pour investir dans l'industrie pétrolière et gazière, les entreprises de ce secteur, qui pensent ainsi devraient à court et à moyen terme investir ailleurs. Elles peuvent à plus long terne tenter de démontrer au gouvernement du Québec et aux Québécois qu'il est dans leur intérêt d'améliorer les conditions d'investissement dans ce secteur au Québec. Compte tenu du fait (1) que les prix de l'énergie fossile seront relativement élevés à long terme; (2) que les ressources ne disparaîtront pas à long terme; (3) que le gouvernement du Québec n'a pas à court terme un urgent besoin de revenus; et (4) que l'économie du Québec se porte relativement bien, cela fait énormément de sens pour le Québec de prendre le temps de bien peser le pour et le contre de tels investissements. Dans ce domaine, on commence à peine à avoir des données fiables et de l'expertise. «Y a pas de presse.» Dans ce cas-ci, la prudence me semble préférable à la témérité, d'autant plus que des coûts importants risquent de surgir à long terme. En passant, ces coûts, s'ils se matérialisent, ne seront pas défrayés en grande partie par ces entreprises.