Les pharmaciens québécois réclament des pouvoirs accrus, notamment amorcer le traitement de problèmes de santé mineurs et administrer des vaccins et des médicaments pour des infections. Êtes-vous d'accord avec cette demande qui a été formulée au gouvernement Charest et qui, selon les pharmaciens, contribuerait à soulager le réseau de la santé?

Afin d'encourager un débat ouvert et respectueux, nous ne publions que des commentaires signés. Merci de votre collaboration.

Alain Vadeboncoeur

Urgentologue

JUGE ET PARTIE

La pratique de la médecine repose notamment sur deux piliers: la formation poussée et l'éthique, afin que les décisions thérapeutiques adéquates soient prises dans le meilleur intérêt des patients. Dans un système de santé idéal, tout professionnel de la santé compétent devrait pouvoir soigner les problèmes variés pour lesquels sa qualification est reconnue et sa pratique, balisée. Certes, les médecins ne sont pas seuls: dans l'intérêt des patients et du réseau de la santé, certaines tâches actuellement réalisées par les médecins devraient effectivement être confiées à d'autres professionnels, afin d'accroître la disponibilité des médecins pour soigner... des malades. C'est ce qu'on appelle la hiérarchisation des soins, que nous pratiquons hélas! plutôt mal. On pense aux enfants et adultes en bonne santé, aux problèmes mineurs ou au suivi interdisciplinaire de maladies chroniques, par exemple. En plus d'une formation clinique plus poussée, il faudrait donc s'assurer que le pharmacien, actuellement juge et partie pour la vente des médicaments (comme autrefois les médecins), agisse en tout temps dans le meilleur intérêt des patients. Certes, il y a aussi des zones grises en médecine, mais quand on voit sur les étalages des pharmacies tous ces produits dont l'impact clinique réel est à tout le moins douteux, on peut s'interroger.

Diane Lamarre

Présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec

LE DROIT D'AIDER LES PATIENTS

Tout d'abord, les pharmaciens ne veulent pas de pouvoirs accrus comme la question le laisse entendre, mais plutôt une plus grande autonomie professionnelle afin de mieux soutenir la population. Tous les jours, les pharmaciens rencontrent des dizaines de patients qu'ils seraient en mesure d'aider, mais ils n'ont pas l'autorisation légale de le faire. La population reconnaît déjà les compétences des pharmaciens puisque les gens s'adressent déjà à eux lorsqu'ils ont des problèmes de santé mineurs comme un feu sauvage ou de l'eczéma. S'ils en avaient la possibilité, de façon encadrée, les pharmaciens pourraient éviter à certains patients de se rendre à la clinique sans rendez-vous ou à l'urgence, mais actuellement, ils n'en ont pas le droit. Concernant la vaccination, les pharmaciens ne veulent pas remplacer les infirmières qui jouent très bien leur rôle à cet effet. Mais les pharmaciens pourraient offrir une offre complémentaire pour contribuer à rehausser le niveau d'atteinte des cibles de vaccination (particulièrement basses dans certains domaines), notamment en région où l'accès est plus limité. Actuellement, deux millions de Québécois n'ont pas de médecin de famille. L'attente aux urgences est de 17 heures. Est-ce normal que nos pharmaciens doivent y diriger des patients pour des renouvellements d'ordonnance, des changements de dose ou pour une infection urinaire? Notre réponse: non. Il est possible de faire mieux.





Jana Havrankova

Endocrinologue

CONFLITS D'INTÉRÊTS POTENTIELS

Le pharmacien devrait pouvoir vendre le médicament approprié à une personne qui se présente à son comptoir avec un feu sauvage ou un rhume des foins. Par contre, d'autres diagnostics sont plus délicats. Le patient recevra-t-il un antibiotique à chaque grattouillement à la gorge? Je comprends aussi le désir du pharmacien de renouveler la prescription d'un médicament que le patient utilise à dose stable depuis des années. Prolonger une prescription peut sembler anodin. Toutefois, si le patient ne possède pas de nouvelle prescription, il n'a pas bénéficié de suivi médical non plus. Un rajustement de la médication aurait pu s'avérer opportun. Par ailleurs, si le pharmacien est un professionnel de la santé, il est aussi un commerçant. Comment éviter les conflits d'intérêts potentiels menant à l'utilisation de médicaments plus ou moins utiles? Ce n'est pas pour rien qu'il est interdit aux médecins de vendre les médicaments. La solution: former un groupe de réflexion, composé de pharmaciens et de médecins, pour déterminer quels gestes pourraient sans problèmes relever de la compétence du pharmacien. On dit souvent que le diable est dans le détail. C'est manifestement le cas ici.

Francine Laplante

Femme d'affaires, mère de cinq enfants, présidente de la fondation des Gouverneurs de l'Espoir

LES PLUS DISPONIBLES



Les pharmaciens sont les seuls professionnels disponibles sept jours sur sept presque 18 heures par jour, ils se trouvent près de nous, à quelques pas, ou encore au bout du fil. Nous pouvons les consulter en faisant la file durant quelques minutes seulement. Nous avons généralement besoin d'être conseillés et rassurés sans pour autant avoir à débourser des frais de 75$ par consultation urgente (comme le ferait le privé) quand nous sommes inquiets que notre petit dernier fasse 39,5 de fièvre et que cette fièvre cache probablement une otite. Ces professionnels soucieux du bien-être des patients sauront, j'en suis convaincue, établir les limites de leur champ de connaissances. Après tout, ne font-ils pas partie de l'élite? Le gouvernement ne peut se permettre de refuser une telle demande, Jean Charest a le devoir d'accepter. Dites-moi pourquoi ce qui est bon pour les autres provinces, pour les autres Canadiens, ne le serait pas pour nous, Québécois? Nous n'avons pas les moyens, surtout lorsque nous parlons de santé d'être une société distincte.

Yves Robert

Secrétaire du Collège des médecins du Québec

L'ENGORGEMENT DU RÉSEAU PERSISTERA

Les demandes de l'Ordre des pharmaciens sont de deux niveaux. Le premier niveau concerne la gestion des ordonnances (renouveler les ordonnances avec plus de souplesse pour les patients stables, ajuster les ordonnances en fonction de paramètre particulier, informer et éduquer le patient sur les façons d'utiliser les médicaments). Sur ce volet, le Collège est prêt à mettre en application très rapidement ces recommandations qui rejoignent à plusieurs égards des demandes que les médecins souhaiteraient eux-mêmes. Le deuxième niveau concerne le diagnostic et l'investigation de conditions dites mineures. Si à première vue le concept semble intéressant, il implique: une formation appropriée pour le pharmacien; une organisation du service et une clarification du processus diagnostic; la distinction entre le rôle du pharmacien en première ligne avec d'autres acteurs comme l'infirmière praticienne spécialisée en première ligne. Ce deuxième niveau de demande est plus complexe et nécessitera des discussions futures. Il est peu probable, même en admettant un rôle accru du pharmacien dans la composante diagnostique et d'investigation, que d'élargir ainsi le rôle du pharmacien ait un effet significatif sur l'engorgement du système de santé en première ligne, comme cela est démontré dans les provinces ayant choisi cette voie. Avant d'aller dans cette voie, il est nécessaire d'investir dans une meilleure liaison technologique entre les médecins et les pharmaciens, et de combler la pénurie aiguë de pharmaciens en établissement.