Intransigeant jusqu'au bout, Laurent Gbagbo aura finalement été capturé après une longue résistance. Cet entêtement aura coûté la vie à des milliers de personnes. Le principal acteur de ce drame sort de scène, mais la question ivoirienne reste entière. Il n'y a pas seulement l'économie à rebâtir, mais la confiance entre Ivoiriens à rétablir et les relations avec la France à revoir.

Laurent Gbagbo aura connu un destin tragique. De son propre aveu, il est arrivé au pouvoir en 2000 dans des conditions électorales et politiques «calamiteuses». Il le quitte pareillement. Au cours de son mandat de 10 ans, celui dont on disait qu'il roulait ses adversaires dans la farine pour mieux s'en débarrasser et rester au pouvoir n'aura finalement connu que des déboires: une première élection contestée; une tentative de coup d'État aboutissant à la partition du pays; un processus de paix avec les rebelles auquel il a toujours été opposé; le déploiement d'une force de l'ONU vue comme une contrainte à son pouvoir; l'hostilité croissante de la France; la tenue d'une élection l'automne dernier avec son ennemi Alassane Ouattara; la défaite et l'isolement international.

Gbagbo l'historien n'aura pas non plus retenu les leçons de l'Histoire. Il a été tout aussi aveugle à l'égard de ce qui se passait autour de lui que Slobodan Milosevic, le président serbe, auquel il reprochait d'avoir un problème parce qu'il croyait avoir raison contre tout le monde. Comme Saddam Hussein, il a fini extrait de son bunker, hagard et livré au regard de tous.

Le nouveau président, Alassane Ouattara, assume ses fonctions dans des conditions aussi calamiteuses que son prédécesseur. Elles ne sont pas toutes de sa responsabilité, mais les massacres dans l'ouest du pays, qui font l'objet d'une enquête, risquent de l'entacher si ses partisans sont impliqués. Il devra alors sévir contre ses alliés.

Ouattara a les moyens de rétablir la paix dans son pays. Il a gagné une première manche en limitant la violence au moment de chasser Gbagbo là où bien des observateurs prédisaient un deuxième Rwanda. Sur le plan politique, bien que vainqueur de l'élection, il ne doit pas oublier que Gbagbo a reçu près de la moitié des suffrages. Il faudra composer avec la situation et ouvrir le plus largement possible les portes afin de mettre en oeuvre un vrai processus de réconciliation nationale.

Sur le plan économique, il hérite d'une Côte d'Ivoire riche et industrieuse. Le pays est toujours le poumon économique de l'Afrique de l'Ouest, et les investisseurs ne le boudent pas. Le capital humain est sa force avec des élites éduquées et une population qui a démontré au cours des dernières années une résilience admirable face aux luttes politiques et aux violences.

Il reste une question à laquelle Ouattara devra s'attaquer: le rôle de la France. Depuis quelques années, sous Jacques Chirac, puis maintenant sous Nicolas Sarkozy, la France jure ne plus s'ingérer dans les affaires de ses anciennes colonies. Les actions prises par Paris en Côte d'Ivoire portent à croire le contraire. Paris se défend en soulignant qu'il se bat pour la démocratie dans le cadre de la légalité internationale. Noble dessein, repris en coeur par l'Occident et l'ONU, mais qui fait dire au célèbre écrivain guinéen Tierno Monénembo, au sujet de l'Afrique, qu'«hier, on lui imposait ses dictateurs, aujourd'hui, on lui choisit ses démocrates».

La formule est lapidaire et caricaturale. Elle n'en reste pas moins révélatrice d'un énorme malaise au sein des élites comme des peuples africains. La présence étrangère en Afrique ne peut s'effacer du jour au lendemain. Elle est un des moteurs du développement économique du continent. Il faudra pourtant en baliser les actions et en restreindre les empreintes militaires. La Côte d'Ivoire pourrait montrer le chemin.

L'auteur (j.coulon@umontreal.ca) est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, affilié au CERIUM.