Les gens, mesdames et messieurs, les gens prennent des vacances, mais la bêtise, moins souvent.

J'ai appris hier à la radio (Monic Néron, 98,5 FM) qu'un couple réclame 735 000 $ à son médecin et à un fabricant de contraceptifs pour avoir « subi », pour ainsi dire, la naissance d'un enfant. J'allais dire « un enfant non désiré », mais il va de soi que s'ils prenaient un contraceptif, ils ne désiraient pas d'enfant.

Le contraceptif a été prescrit en 2012. La femme est tombée enceinte en 2014. Le couple avait déjà huit enfants d'unions précédentes. Ils ont décidé de garder le bébé, qui est né en parfaite santé l'année suivante.

Plusieurs sont choqués de voir des parents déclarer devant la cour que leur petit dernier n'était « pas désiré » et réclamer de l'argent en guise de dédommagement pour le « préjudice » subi.

Pourtant, en matière de contraceptif comme en matière d'électroménagers, ce qu'on vous vend est censé fonctionner suivant les instructions du manufacturier.

S'agissant en plus d'un avis médical, encore faut-il que le médecin ait bien informé les patients des risques et limites du produit.

Après ça, si la pilule est défectueuse ou les instructions du médecin vraiment déficientes, ce n'est pas renier son enfant que de calculer les coûts imprévus que sa naissance a entraînés. Simple principe de responsabilité civile : une faute qui cause un dommage, et qu'on doit compenser.

Ne pas avoir désiré de neuvième enfant ne veut pas dire qu'ils ne l'aiment pas autant que les huit autres. En fait, ils ont fini par désirer l'avoir.

Sauf qu'on ne se défait pas d'une part de romantisme. On n'ose pas trop mettre dans la même phrase « bébé » et « argent ». Encore moins parler de « dommages » en regardant, la larme à l'oeil, un gamin qui fait ses premiers pas - vers le vaisselier qu'il va bientôt renverser, mais c'est une autre affaire.

J'avoue, ça fait désordre. Ça manque de tendresse, mettons.

N'empêche, en admettant qu'il y ait eu une faute de la société pharmaceutique ou du médecin, ça se calcule. Tout l'amour incommensurable de parents ayant cessé d'être récalcitrants n'est pas vraiment utile quand vient le temps d'aller payer ses escalopes - encore qu'à onze autour de la table, je suggère plutôt l'achat de veaux entiers.

***

Désolé, donc, sur le principe de la poursuite, pas de quoi déchiqueter du textile... Ce qui est vraiment étrange, comique, en fait, c'est le chemin avocassier pour se rendre au noeud du débat.

Voici la séquence : grossesse en 2014, bébé en 2015, poursuite en 2016. Le médecin visé dépose une expertise pour sa défense. Au lieu de riposter avec sa propre expertise médicale, l'avocate du couple dépose un « rapport d'entrevue polygraphique » en 2017.

La mère en effet a passé un test de « détecteur de mensonges » comportant... trois questions. Le technicien lui a demandé si elle avait menti dans sa poursuite et si elle avait caché des faits.

Eh bien, devinez quoi ? Elle a dit non. Et le gars du polygraphe, qui s'y connaît question menteries, dit que d'après sa machine, elle dit vrai.

Une juge a rejeté cette « expertise » rapidement l'an dernier. Le couple a porté l'affaire en appel, où trois juges viennent de confirmer que ce test bidon n'a pas sa place dans le débat.

En matière criminelle, les tests de polygraphe sont totalement et officiellement interdits devant les tribunaux. Leur fiabilité scientifique est mise en doute et les juges répugnent à confier à des « machines » le soin de décider qui dit vrai et qui ment. Ça n'empêche pas les policiers et les enquêteurs de s'en servir dans des interrogatoires. Mais les résultats ne seront pas présentés en cour.

Au civil, on a ouvert une porte. Ces tests ne sont pas bannis, mais presque systématiquement, les juges les écartent pour les mêmes raisons. La Cour d'appel a tout de même relevé 56 cas où des expertises avaient été déposées (surtout des affaires d'indemnités d'assurance refusées, mais aussi de protection de la jeunesse), pour être très généralement non considérées.

Dans l'affaire qui nous occupe, il est évident qu'une opinion pseudo-scientifique sur la crédibilité de la mère n'allait pas être admise. Une grande partie du débat porte sur son témoignage, sur les conseils qu'elle a reçus.

***

Ce qu'on devrait trouver « bizarre », ce qui devrait nous choquer ici, ce n'est pas que des parents réclament une compensation financière pour une naissance imprévue - faudra voir la preuve.

Ce qu'on ne devrait jamais cesser de trouver invraisemblable, c'est qu'on se batte jusque devant trois juges de la plus haute instance au Québec pour faire accepter une expertise bidon. On est loin du procès !

En rejetant cet appel, la juge Suzanne Gagné parle du « virage culturel nécessaire pour garantir l'accès à la justice civile », un virage qui suppose qu'on « simplifie les procédures afin de diminuer coûts et délais ».

Apparemment, y en a qui ont de la misère à virer...

On notera que les parents, à qui on souhaite bonne rentrée et bonne chance, sont eux-mêmes avocats. Mais ça n'a sûrement rien à voir...