Une nouvelle race de voitures d'eau vient d'accoster à l'Isle-aux-Coudres. Quand le vent du suroît se lève, comme hier, on voit quelques voiles comme des oriflammes filer sur l'eau.

Certains jours, ils sont une centaine à zigzaguer dans la même anse où Pierre Perrault a filmé cette fameuse « pêche au marsouin », dans Pour la suite du monde.

Et entre toutes ces voiles, on distingue celle de Catherine Dufour, championne canadienne de kitesurf, cinquième de la Coupe du monde en 2017.

« Mon cousin m'a initiée il y a 10 ans, et depuis ce jour-là, je ne pense qu'à ça, jour et nuit. »

Il y a la vitesse, bien sûr : jusqu'à 70 km/h certains jours. Un kitesurf bien mené concentre l'énergie du vent et va trois fois plus vite que lui.

Il y a le sentiment unique d'être connecté aux éléments, avec pour seul bruit la vibration de la lame qui perce la surface de l'eau.

« Il faut être en contact avec le vent, avec le fleuve, les vagues et les courants... C'est comme une méditation. »

Il y a enfin ce lien profond avec l'Isle, terre de navigateurs et de chantiers maritimes - on en compte encore trois. Les « voitures d'eau » ou les goélettes étaient les transporteurs de marchandises avant de disparaître progressivement au profit des camions.

« Je regarde en boucle les films de Pierre Perrault. Quand ça fait trois mois que je les ai pas vus, je suis en manque... Je les connais par coeur, je veux m'en imprégner. J'en apprends chaque fois sur notre monde, nos traditions. On a tous un grand-père, un arrière-grand-père dans ces films. Et le fleuve est partout, l'appel du fleuve...

« Le fleuve avant était associé au travail, mais c'est frappant dans ces films d'entendre les vieux dire comme le fleuve est enivrant... C'est le mot qui revient : enivrant. Ils étaient contents quand la saison était finie, mais ils s'ennuyaient du fleuve quand ils étaient trop loin, ou à la fin de l'hiver. On voit aussi comme c'est une société multigénérationnelle, et c'est encore comme ça. Tu vas au bar - LE bar, la Fascine - et ton voisin peut avoir 18 ans, et l'autre 75, tout le monde se parle. »

La femme de 31 ans a fondé une boutique de kitesurf, Suroît Aventures. On y donne des cours, on y vend de l'équipement dernier cri, et des gens de cette petite mais fervente communauté de partout au Québec s'y retrouvent au gré du vent.

Et puisque le kitesurf sera une des épreuves de voile aux Jeux olympiques de 2024, devinez vers où se porte le regard de la femme la plus rapide de l'Isle...

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Les rues s'appellent chemin du Bout d'en bas, chemin de la Baleine, chemin du Mouillage, côte à Picotte...

Comme toutes les campagnes, l'Isle vieillit - elle compte un peu moins de 1300 personnes. Mais les jeunes ne partent pas tous. « J'en connais plusieurs qui reviennent, et autour de moi, il y a un petit baby boom », dit-elle en se flattant le ventre. La championne ne surfera pas cet été... « Je vois plein de jeunes qui démarrent des projets, il y a une nouvelle énergie. »

Thomas Harvey, étudiant en administration à l'Université Laval, est un des instructeurs de kitesurf. « Quatre-vingt-quinze pour cent des gens de l'Isle ne le savent pas, mais à marée basse, il y a des dunes de sable à 500 m au large... Ça fait une barrière qui coupe les vagues, et c'est un endroit idéal. En plus, de l'île d'Orléans jusqu'ici, il n'y a presque aucun obstacle. Ça nous fait un vent constant. »

L'étudiant de 24 ans a obtenu un permis de pêche à l'esturgeon et a ouvert un fumoir. Ils ont droit à 500 esturgeons, ni trop petits ni trop gros. Il a plein d'idées dans la tête, et l'ouverture d'un Club Med au Massif en 2021 lui en donne d'autres.

Son frère travaille avec leur père Félix sur l'unique ferme de l'Isle. Ils élèvent des veaux, mais produisent sur une centaine de parcelles louées des céréales - blé, seigle, sarrasin, avoine - moulues ici même au vieux moulin. Le seigle ira à La Malbaie, où on ouvre une distillerie qui fera du whisky.

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Félix Harvey me montre les grains noirs et durs du sarrasin qui n'a pas encore été « criblé » pour en éliminer les impuretés. Comme tous les agriculteurs de la région, il s'est fait demander par le ministère de l'Agriculture de ne pas épandre de fumier pendant le G7, pour ne pas troubler les narines des dignitaires. « Je l'avais déjà mis, alors... »

Son père était marin mais à l'époque, tout le monde avec quelques bêtes et un bout de terre pour subsister. Son grand-père est un des personnages principaux de Perrault, Grand Louis, un homme « ben chouenneux ».

- Chouenneux ?

- Il aimait parler...

Il est soudeur de son métier. Je lui demande pourquoi il bâtit cette ferme quand tout le monde cède ses terres. Il m'emmène sur les hauteurs de sa terre, je vais mieux comprendre...

« Le matin, tu t'en vas sur le chemin, le soleil se lève, t'es tranquille. Regarde ça. La sainte paix. Pas de voisins. En haut à l'étable, tu vois le Massif, tu vois le fleuve jusqu'à Montmagny... »

Et son aîné est avec lui à l'aube pour semer.

« Les jeunes qui reviennent, ils ne veulent plus repartir... Ça fait plaisir à voir qu'il y a de la continuité. »

Ce monde a donc eu une suite. Une suite tournée vers de nouvelles pêches, de nouvelles navigations. Mais une suite enracinée solidement dans cette terre de 23 kilomètres de tour.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Certains jours, ils sont une centaine d'adeptes de kitesurf à zigzaguer dans l'anse même où Pierre Perrault a filmé le célèbre documentaire Pour la suite du monde, il y a plus de 50 ans.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Thomas Harvey, étudiant en administration à l'Université Laval et instructeur de kitesurf, est en train de mettre sur pied une entreprise pour fumer de l'esturgeon à l'Isle-aux-Coudres.