Tout le monde est tellement contre l'intimidation, c'est à se demander comment il se fait que ça existe encore.

Demandez au député Guy Leclair, il est assurément contre. Mais quand est venu le temps d'adopter une recommandation de la commission Charbonneau pour contrer l'intimidation sur les chantiers de construction, il s'est énervé et nous a fait tout un spectacle.

Quelle recommandation ? D'interdire à une personne condamnée pour intimidation sur un chantier d'occuper une fonction de dirigeant syndical. Cette mesure aura des conséquences humaines terribles, a dit le député péquiste : des gens vont « perdre leur maison », il y aura des drames humains, selon ce que rapportait Le Journal de Québec.

Le député relaie en fait le discours catastrophe de la FTQ, et en particulier de la FTQ-Construction. Quelques dirigeants syndicaux ont une condamnation à leur dossier. Notamment le numéro 2 de la FTQ-Construction, le directeur général adjoint Éric Boisjoli. Pas de chance, M. Boisjoli est pressenti pour être le prochain directeur.

Va-t-il perdre son boulot à cause de la nouvelle loi ? Mais non, mais non. Mais revenons en arrière un petit peu pour commencer...

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Flash-back 1975. Rapport de la commission Cliche sur la « liberté syndicale » dans l'industrie de la construction - c'était plutôt une enquête sur la violence sur les chantiers. L'enquête avait mis en scène quelques sinistres personnages et une petite mafia syndicale qui n'a pas eu peur de saccager le chantier de la Baie-James, causant des millions de dollars de dommages. Des bandits en bonne et due forme avaient des postes de direction dans certains syndicats de la construction.

Le rapport recommandait qu'une personne déclarée coupable d'un crime sérieux ne puisse pas occuper un poste de dirigeant syndical. Ce qui fut adopté.

La commission Malouf, quelques années plus tard, a constaté des stratagèmes criminels sur les chantiers olympiques.

En 2005, la commission Lesage s'est penchée sur le désastre de la Gaspésia, une usine de papier où 200 millions d'argent public ont été engloutis... sans que l'usine ouvre un jour. Parmi les thèmes majeurs de l'enquête : l'intimidation systématique des employeurs et des syndiqués qui n'avaient pas la bonne carte - en l'occurrence celle de la FTQ.

Finalement, la commission Charbonneau sur la corruption et la collusion dans la construction a encore une fois mis en lumière l'intimidation et la violence exercées non seulement par des employeurs mafieux, mais aussi par des représentants syndicaux.

D'où cette recommandation d'étendre les motifs d'interdiction de diriger un syndicat. En plus de certains actes criminels, on a ajouté les condamnations pour intimidation en vertu de la Loi sur les relations de travail.

La preuve est plus facile à faire et la personne condamnée n'a pas un casier judiciaire : il s'agit d'une condamnation « pénale » et non criminelle. Mais la loi n'en sanctionne pas moins des gestes qui peuvent fort bien être qualifiés de criminels.

Dans le cas de M. Boisjoli, les faits remontent à 2010. Pendant un de ces classiques affrontements autour de la convention collective, la FTQ-Construction avait donné le mot d'ordre de ne pas faire d'heures supplémentaires. Le dirigeant d'une entreprise de grues qui travaillait sur un chantier en Gaspésie a reçu un appel du syndicaliste lui ordonnant de faire cesser le travail de son employé, sinon il s'arrangerait pour « coucher la grue » ou la « virer à l'envers ». Le grutier ne faisait pas d'heures supplémentaires mais travaillait sur un horaire comprimé, habitant en dehors de la région. Quoi qu'il en soit, l'entrepreneur a porté plainte, M. Boisjoli a été condamné en janvier 2014 et sa condamnation a été confirmée en appel en décembre 2014. Il s'en est tiré avec l'amende minimale.

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Que dit la loi, qui a finalement été adoptée malgré les protestations de la FTQ et du député Leclair ?

Qu'une telle condamnation vous rend inhabile à être officier syndical pour une période de cinq ans. Certains voient de « l'arbitraire » parce que la sanction n'est pas automatique. Il faut une requête de la Commission de la construction du Québec (CCQ). Préfère-t-on vraiment une sanction automatique ? Au contraire, cette souplesse permet à la CCQ d'exercer son jugement et précisément de tenir compte des facteurs personnels.

Au pire, la période d'inhabilité de M. Boisjoli se terminera en janvier prochain. Il y survivra. Mais dans la vraie vie, il est extrêmement douteux que la CCQ décide de faire suspendre le numéro 2 de la FTQ-Construction pour un incident survenu il y a huit ans ayant entraîné la sanction minimum, et qui depuis est irréprochable. Ce ne serait pas vraiment une application rétroactive, mais ce serait utiliser des faits anciens pour appliquer de nouvelles règles. Ça n'arrivera sans doute pas.

Il n'y a donc aucun drame à l'horizon.

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Sur le fond, de toute manière, on se demande sur la base de quels principes on peut défendre une telle position. Les condamnations entraînent souvent des conséquences personnelles désastreuses. Mais si c'était le critère, on ne condamnerait personne et il n'y aurait aucune conséquence à la commission d'infractions.

Si l'on veut des chantiers civilisés, si le problème se répète à périodes fixes depuis 40 ans, commission après commission, c'est bien la moindre des choses que d'exclure (temporairement !) les intimidateurs de la direction syndicale. D'envoyer ce message... minimum.

On peut s'étonner aussi de voir que le Parti québécois, qui a été si prompt et efficace à faire adopter toute une série de mesures musclées avant même la parution du rapport Charbonneau, fasse ce genre de combat rétrograde - et heureusement raté : la loi incorporant cette recommandation de Charbonneau a été adoptée.

photo fournie par le pq

Guy Leclair, porte-parole du Parti québécois en matière de travail