Ce n'est peut-être pas «du terrorisme», a dit la police. Comme si tout d'un coup, ça semblait moins grave.

Mais ça change quoi, exactement? Ça change l'enquête, ça change les discours, ça change les explications, sans doute. Mais ce matin, ça ne change rien à l'horrible, à la terreur.

Toronto, lundi midi de printemps, trottoirs bondés... Une camionnette fonce exprès sur les piétons... Dix (10!) personnes meurent. Cinq autres sont aux soins intensifs, on ne sait pas si elles vivront.

Le suspect a un nom à consonance arménienne. Ça n'entre pas dans les cases habituelles. Il n'a pas été question d'islam radical ni du groupe État islamique (EI).

Mais est-ce moins tragique? Est-ce moins inquiétant? Alexandre Bissonnette a dit à un psychologue qu'il avait pensé attaquer des étudiants à l'université ou des gens au hasard dans un centre commercial. Est-ce que ça rend l'attentat de la mosquée de Québec moins haineux, moins terrible, moins «terrifiant»?

L'absence de motivation politique ou idéologique de l'auteur, en fait, rendrait ces actes encore plus imprévisibles. Si ce n'est pas le fait d'une cellule terroriste, d'un «loup» plus ou moins solitaire mais nourri à la propagande, c'est d'autant plus indétectable.

Daech et Al-Qaïda ont propagé des techniques d'assassinat très précises avec des camions. On en a vu les résultats depuis deux ans à Barcelone (14 morts), à Nice (84 morts), à Londres (8 morts), à Stockholm (5 morts), à Berlin (12 morts), etc. Souvent, l'auteur avait été fiché par les services de renseignement.

Ici? Aux premières nouvelles... rien.

Si un «esprit déréglé» imite les actes et les techniques terroristes inspirés de l'EI, on ne le classera pas comme un acte «terroriste». C'en est peut-être cependant une excroissance, un sous-produit dû à une sorte de contagion.

Et à la fin, 10 personnes sont mortes de manière tout aussi absurde et révoltante.

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Aux yeux du Code criminel, un acte terroriste doit être commis «au nom d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique». Un acte qui doit aussi viser à «intimider» la population quant à sa sécurité. Un acte qui peut viser à «contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale» à accomplir un acte - ou à s'en abstenir.

Un acte qui cause des blessures graves ou la mort, qui met en danger, qui compromet la santé, ou qui cause des dommages matériels importants.

À côté d'un terrorisme idéologique, structuré, ou de «cause», s'est développé une sorte de terrorisme nihiliste qui ne réclame rien, mais qui prétend tuer et détruire pour venger des agressions occidentales en attaquant des «infidèles».

Il ne contient pas de programme politique, mais il se nourrit d'idées politico-religieuses islamistes.

Et ce terrorisme-là, à la Al-Qaïda, en a peut-être enfanté une version pathologique, dans laquelle la rage, le désespoir et les idées suicidaires peuvent s'engouffrer. De la même manière que les «tueries de masse» font des imitateurs.

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Plus tard, on en reviendra aux définitions. On ne sait pas encore comment on «classera» l'événement. Mais ce matin, ça ne doit pas empêcher d'encaisser l'événement, de mesurer l'ampleur du carnage. La plus grande ville canadienne a été frappée en plein coeur. Après tant d'autres, on sait tous que cela peut arriver dans toutes les grandes villes, ici aussi. Comme si, tristement, on s'y attendait sans vouloir y penser. La mort qui vous ramasse sur une place, sur un trottoir. Comme à Nice un soir de fête, comme à Barcelone sur la promenade, comme à Berlin au marché de Noël, comme partout. Un beau jour de printemps tardif, en marchant tranquillement à Toronto...

Plus tard, on dira pourquoi, plus tard encore, on marchera comme ils ont remarché sur Las Ramblas, en sachant que «ça», quelle que soit sa définition, ça peut arriver.

Ce matin, ça ne change rien à la tristesse.