Il a soupé avec ses parents. Il a emprunté la voiture de son père. Il s'est rendu au club de tir. Le club était fermé. Il s'est rendu à la Grande Mosquée de Québec. Il a tué six hommes, en a blessé cinq autres.

Hier, Alexandre Bissonnette s'est avoué coupable de ces crimes. Il n'y aura pas de procès. Il n'y aura pas le défilé des témoins, les experts en scène de crime, ceux qui ont vu la mort devant eux, leurs amis assassinés froidement. Il n'y aura pas de querelles de psychiatres sur l'état mental de l'accusé ce dimanche de janvier 2017.

Il n'y aura pas de procès, mais il y a encore cette question : pourquoi? Qu'est-ce qui a motivé ce jeune homme de 28 ans ? Allait-il passer à l'acte de toute manière un autre jour, lui qui avait repéré les lieux déjà ?

«Je ne suis ni un terroriste ni un islamophobe», a-t-il déclaré au juge.

Lui-même dit ne pas comprendre ses gestes. Il se décrit comme «une personne qui a été hantée par la peur, la pensée négative et par une sorte horrible de désespoir».

Il ajoute qu'il avait des pensées suicidaires, qu'il était «obsédé par la mort» et qu'il se battait «contre un démon qui a fini par gagner» contre lui.

Des paroles qui font écho à bien d'autres tueries où l'auteur s'est suicidé sur place, ou a fait en sorte de se faire tuer par les policiers. Des paroles qui font aussi penser à des cas de rage paranoïaque, où le meurtrier se sentait persécuté, ou en danger de mort.

Mais des paroles trop limitées pour qu'on commence à comprendre un peu sérieusement ce qui s'est passé dans la tête du tueur, quels ont été ses influences, ses motivations, son état mental.

À certaines occasions, il a approuvé les idées de Donald Trump sur l'immigration musulmane. Aujourd'hui, il nous dit que son crime n'était ni politique ni haineux.

On ne peut pas se contenter de ces quelques lignes où il demande pardon pour ce qu'il admet être «impardonnable».

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Nous voici donc soulagés de savoir qu'on épargne aux familles des victimes l'exposé de cette rage meurtrière et le stress d'une issue incertaine. Il n'y a pas de doute que l'accusé allait présenter une défense « de folie », ou de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, selon les termes du Code criminel.

Contrairement à ce que beaucoup continuent à répéter depuis l'affaire Turcotte (condamné dans son deuxième procès, en passant), c'est une défense qui ne réussit pas souvent quand elle est contestée (le ministère public ne la conteste pas toujours, il arrive même souvent que les experts soient d'accord sur un diagnostic de trouble mental).

L'accusé doit lui-même présenter une preuve de ses troubles mentaux. Il ne suffit pas d'avoir des problèmes, ni d'être traité en psychiatrie ou d'être sous médication. Il faut prouver qu'au moment des actes, on n'était pas capable de distinguer le bien du mal, par exemple en étant dans un état de délire profond.

Bissonnette aurait donc eu beaucoup de difficulté à convaincre le jury et ses chances étaient minces d'être envoyé en établissement psychiatrique, plutôt qu'au pénitencier. Mais tant que dure le débat, rien n'est totalement certain. Les familles n'auront pas à vivre ça, et c'est tant mieux.

Dans les circonstances, au fait, quand Bissonnette a plaidé coupable lundi, le juge François Huot n'avait pas le choix de s'assurer de son état mental non pas au moment du crime, mais actuellement. Avec des indices de problèmes mentaux, il était du devoir du magistrat de s'assurer qu'il plaidait coupable de façon valide, libre et éclairée.

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Le procès n'aura donc pas lieu et tout le monde est soulagé. Mais aussi pénible que puisse être un procès, il a tout de même une valeur explicative. Le but du processus judiciaire pénal n'est pas de «comprendre» l'accusé, c'est de savoir si la preuve est suffisante pour le condamner. Sauf qu'inévitablement, on aborde le mobile du crime. En particulier dans un procès «psychiatrique». Tout ce matériau nous manque en ce moment.

L'affaire n'est pas terminée. Ces questions seront examinées au moment du débat sur la peine à infliger (la perpétuité est automatique, mais le juge peut augmenter la période d'inadmissibilité à une libération conditionnelle à 25 ans par victime de meurtre). Forcément, il sera question de la personnalité de l'accusé. Il sera également question de l'impact de ces crimes sur toutes ces familles.

Il faudra qu'on en apprenne plus sur ce jeune homme. Il faudra qu'on divulgue toute l'enquête de police.

Ce n'est pas par voyeurisme ou par curiosité morbide. Ce crime est un des plus graves de l'histoire du Québec contemporain. Il continue de bouleverser toute une communauté endeuillée. Il a eu un retentissement international. Il s'inscrit dans un climat social et politique tendu, où l'on voit éclore des groupuscules extrémistes et conspirationnistes.

Il faut avoir toutes les pièces du dossier. Il faut essayer de comprendre.