À peine élu en 2014, le premier ministre Philippe Couillard avait promis «le gouvernement le plus transparent que les Québécois auront eu».

Quatre ans plus tard, sans le moindre débat public, le gouvernement libéral propose «la plus grave atteinte au droit d'accès à l'information qu'un gouvernement - tous partis confondus - a proposée à l'Assemblée nationale», dit l'avocat Raymond Doray, sans doute le meilleur expert en la matière au Québec.

De quoi s'agit-il? Il s'agit de rendre inaccessibles au public les mémoires présentés au Conseil des ministres au soutien de ses décisions. On parle des documents préparés par les fonctionnaires qui font état de l'enjeu, qui présentent une analyse de la situation et offrent des options.

Jusqu'à maintenant, sauf exception, cette partie «analytique» des mémoires était publique par définition.

La portion «politique» du mémoire, elle, doit demeurer confidentielle pendant 25 ans. Les recommandations du ministre, les discussions au Conseil : tout cela ne sera accessible qu'un quart de siècle plus tard. 

Il est normal qu'un cabinet discute le plus franchement possible à l'abri des regards. Mais avec ce projet de loi 164 présenté par Kathleen Weil, la partie analytique sera également confidentielle pendant 25 ans.

On peut difficilement imaginer un document de l'État d'un plus grand intérêt public qu'un texte expliquant les motifs d'une décision.

Pourquoi le gouvernement veut-il faire adopter telle loi? Telle mesure budgétaire? Faire construire une route? Autoriser le financement d'une université? Un état des lieux «objectif» et une analyse des options sont censés être le fondement même de l'action gouvernementale. En présumant que le gouvernement agit rationnellement, bien sûr...

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Quand René Lévesque a annoncé l'adoption d'un régime d'accès à l'information au Québec, il a chargé le journaliste Jean Paré de produire un mémoire sur la question, qui en traçait les grands principes. Et parmi ces principes, on trouvait précisément la publicité des analyses au soutien des décisions gouvernementales. La loi, adoptée en 1982, a retenu cette idée, même si ce n'est pas écrit dans ces mots-là. Le gouvernement a cependant adopté un décret à la même époque clarifiant que la partie analytique des mémoires devient publique quand une décision est prise ou un projet de loi présenté.

Mais voilà que deux décisions de la Commission d'accès à l'information (CAI) viennent embarrasser le gouvernement. La première vise les mémoires présentés au soutien de l'indemnisation des «orphelins de Duplessis». Un journaliste de Radio-Canada voulait comparer l'indemnisation de ces orphelins confiés aux communautés religieuses par le gouvernement du Québec, et très souvent maltraités, agressés. Ils ont reçu des compensations variant de 15 000 $ à 60 000 $. Les autochtones ayant vécu dans des pensionnats, et également victimes de sévices, ont quant à eux obtenu 250 000 $ dans certains cas. Le journaliste voulait comparer les deux situations.

La CAI a donné raison au journaliste. L'affaire a été confirmée jusqu'en Cour d'appel - Québec tente d'en appeler à la Cour suprême.

La deuxième affaire concerne le mémoire présenté devant le Conseil des ministres quand il a décidé de poursuivre les sociétés de tabac pour remboursement de soins de santé - où Me Doray était impliqué, soit dit en passant.

Ces décisions n'ont fait qu'appliquer ce que l'on croyait être une évidence : ces documents sont publics.

En commission parlementaire, la ministre Weil vient tout juste de parler de «renversement jurisprudentiel» pour justifier l'urgence d'agir. Il n'y a pas de renversement, que l'application d'une loi vieille de 36 ans.

La Cour suprême va probablement rejeter la permission d'en appeler tant le droit est clair là-dessus - les décisions de la Cour d'appel font quelques lignes.

Après une brève commission parlementaire où les trois principaux partis se sont mis d'accord, le projet de loi a été adopté hier. Seul Québec solidaire a émis une dissension.

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La ministre Weil, qui a tenu des consultations sur l'accès à l'information en 2015, promet toujours une vaste réforme dans les semaines qui viennent. Il n'en reste plus beaucoup avant les élections... et on a tous compris que rien ne sera adopté avant qu'un nouveau gouvernement n'arrive au pouvoir.

Le plus ridicule est que la loi comportait déjà un article d'exception pour rendre confidentiels certains documents. On comprend tous que certains dossiers sont délicats, en particulier quand des enjeux judiciaires, stratégiques ou financiers sont présents. 

La règle devrait être la transparence, et l'exception devrait être justifiée. Pas le contraire!

Mais pour régler deux causes embarrassantes, on a préféré changer un fondement de la transparence gouvernementale. On ne parle pas ici de notes de frais de députés ou du coût des rénovations des bureaux de députés. On parle du coeur même de l'action gouvernementale.

On a même eu droit à une lettre ouverte de Jean Paré (avec d'autres) pour dénoncer la manoeuvre. C'est comme si le monseigneur du rapport Parent écrivait au ministre de l'Éducation. Me semble que ça valait la peine d'écouter...

Mais non.

Et le plus beau de l'affaire, à l'exclusion de QS, l'opposition n'a pas levé le doigt, sauf pour voter avec le gouvernement libéral. Le Parti québécois avait la même ligne d'action à ce sujet.

Pas d'invitation, pas de mémoire, allez hop, bing bang, on règle ça.

Ah, ils l'aiment, la transparence, y a pas à dire, ils l'adorent, et ils nous le diront tous en campagne électorale.