En franchissant la ligne d'arrivée ce matin (heure de l'Est), Denny Morrison s'est dit: ça y est, je l'ai fait, j'y suis parvenu. Il a pensé aux événements à peine croyables qu'il avait surmontés pour en arriver là, à la ligne d'arrivée d'une épreuve de patinage de vitesse longue piste de 1500 m, en Corée du Sud.

Il a pensé aux semaines passées alité après un accident de moto en 2015, où il a failli mourir. Aux mois passés à récupérer. Et, quand il avait enfin retrouvé la forme, à cette veine qui a pété dans son cerveau, cet AVC d'avril 2016... Et au long et pénible chemin du retour. Toutes ces choses impossibles qu'il avait surmontées.

«Mais ça n'a pas duré longtemps et quand j'ai regardé mon chrono, j'ai vu que j'étais cinquième, je savais qu'il restait huit des meilleurs au monde et j'ai goûté à l'amertume de la défaite.» Résultat final: 13e place. Son coéquipier Vincent De Haître a fini 21e de cette course remportée par le Néerlandais Kjeld Nuis.

On aurait pu croire que le simple fait d'être vivant, debout devant une ligne de départ, aurait été une conquête pour Denny Morrison.

Pas vraiment. «Je n'ai plus le départ que j'avais, mais je me sentais vraiment bien et j'y croyais. Sauf qu'au dernier tour, j'ai commencé à perdre de la vitesse, et dans un 1500 m, quand tu perds de la vitesse, tu ne la retrouves plus... Bon, j'ai battu plusieurs bons patineurs aujourd'hui, mais j'ai le goût de la défaite en bouche en ce moment. Sauf que j'ai goûté à la défaite auparavant, à la suite de mon accident de moto et de mon AVC. J'ai appris à l'accepter. Mais j'ai appris surtout que la défaite est temporaire.

«Là, je suis triste. Mais je n'ai pas de problème, je ne suis pas blessé, dans une heure ça ira mieux...»

Il arrivait de la patinoire, il était dans ce corridor qu'on appelle la «zone mixte», où les journalistes de tous les pays attendent que passent obligatoirement les athlètes. Encore un peu engourdi par la superposition des événements hallucinants des dernières années et de cette course de moins de deux minutes.

Morrison, maintenant âgé de 32 ans, en est à ses quatrièmes Jeux. Il avait remporté l'argent, puis l'or avec l'équipe de poursuite à Turin et à Vancouver. Il est devenu l'une des vedettes canadiennes à Sotchi, en récoltant deux médailles individuelles, le bronze au 1500 m, mais surtout l'argent au 1000 m, où il n'était que substitut, mais où il a pu concourir après que son coéquipier Gilmore Junio lui a cédé sa place.

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Comment revient-on de si loin, deux fois?

«Après mon accident de moto, je visualisais mes courses, je me disais: "Je vais faire ça et ça, puis boum! Ça va marcher comme avant!" Mais ce n'était jamais aussi simple. C'était tellement difficile. Mon genou a été sérieusement amoché. Mais ça allait de mieux en mieux... et finalement j'y étais, un an plus tard.

«Et j'ai eu mon AVC. Alors après, j'ai encore visualisé, en me disant que ça irait, mais ce n'était vraiment pas facile. Mais enfin, un an plus tard, j'avais vaincu tous ces démons, tout allait de mieux en mieux, à tel point que j'étais maintenant aux Jeux cette année, et je croyais vraiment que je pouvais y arriver - au podium. Mais ce n'est jamais facile, ce n'est pas un sport facile.»

Est-ce que les médecins l'ont découragé de continuer, après son AVC? Il y a quand même des risques...

«Je ne dirais pas "découragé"... D'abord, ils me l'ont tout simplement interdit. Je n'ai pas pu faire d'entraînement à haute intensité. Ni faire des poids. Tout ce qui augmente la pression sanguine m'était strictement interdit. On a élaboré un plan de cinq mois de récupération avec une équipe médicale. Tout l'été, je devais m'entraîner à une intensité moindre que celle des entraînements "faciles" d'avant. Tant qu'ils ne m'avaient pas installé les stents [extenseurs vasculaires] dans l'artère, ce qui a pris six mois.»

L'AVC semble avoir été causé par l'obstruction d'une artère dans le cou. Déjà, quand il a fait son voyage en moto où il a eu cet accident, il lui arrivait d'en perdre des bouts. «Je me retrouvais sur la moto et je ne me rappelais pas ce qui s'était passé avant», a-t-il dit à un journaliste du Toronto Star cet hiver. Les stents sont censés avoir réglé le problème. Mais tout de même...

Qu'est-ce qui l'a fait persister?

«C'est qu'en fait, le plus dur était de ne pas m'entraîner. J'avais l'impression d'avoir perdu l'objet de ma vie. J'avais perdu ma routine quotidienne, ce qui me faisait aller de l'avant. J'étais juste là, étendu, sans pouvoir faire quoi que ce soit... Je m'entraînais depuis 15 ans. Je voulais retrouver ma vie, et pour moi, ç'avait toujours été l'entraînement et le patinage de vitesse, voir jusqu'où je pourrais me pousser.»

Comprenez que certains athlètes de haut niveau sont non seulement des passionnés, mais des drogués de leur sport, leur sport qui les définit. Tout le monde dans la famille de Morrison est impliqué dans le patinage de vitesse. Son grand frère en a fait avant lui, son père faisait de la compétition adulte, sa mère est arbitre... et il a épousé une athlète de l'équipe canadienne, bien entendu (Josie Spence Morrison).

«Quand l'entraînement t'a été interdit, y revenir devient un privilège. Jusque-là, l'entraînement était la partie que je détestais. J'adore la compétition, pas l'entraînement. L'été, je faisais du squash, du badminton, du soccer, du volleyball, mais là, je n'avais plus le droit de pivoter avec mes genoux à cause de mon accident de moto. Et après l'AVC, c'était tout ce qui faisait augmenter mes battements cardiaques. Même faire du vélo.

«Donc, la question n'est pas de savoir ce qui m'a incité à m'y remettre, c'est plutôt: comment aurais-je pu ne pas le faire?»

Reste pour lui la poursuite par équipes, où le Canada a des espoirs. Puis, une lune de miel retardée pour cause olympique.

«Nous allons au mont Chimborazo, en Équateur, qui selon certaines interprétations serait le point le plus élevé sur Terre et le plus près du soleil.»

La montagne en effet a beau n'être qu'un sommet de 6263 m (contre 8848 m pour l'Everest), comme ce volcan est situé sur la ligne de l'équateur, et que la Terre est légèrement aplatie... enfin, ce sera pour une autre chronique.

«Je suis un peu un nerd de science et d'astronomie... Et on cherchait un truc cool, quelque chose d'un peu épique, on aime faire des choses épiques, vous voyez. Après tout, mon retour, c'était un projet épique. Et juste d'avoir fait la course aujourd'hui, c'était un peu épique...»

Un peu, oui. Me semble que ça vaut quelques ascensions de volcans, même fumants...