Pierre Karl Péladeau a quitté son poste de chef du PQ pour redevenir PDG de Québecor, mais il n'a pas quitté la politique pour autant.

Considérez quelques-uns des thèmes de ses interventions sur Twitter et Facebook seulement depuis Noël: ça va des transports en commun et de « l'engorgement de nos autoroutes » aux problèmes du réseau de la santé, en passant par l'inefficacité de l'UPAC et l'aide gouvernement libérale à Bombardier (un de ses sujets préférés), de l'ineptie des politiques de Justin Trudeau dans le domaine de la « justice fiscale » à la nécessaire modernisation d'Hydro-Québec.

Le champ de ses interventions est vaste, comme on voit, et le ton accusateur face au gouvernement libéral, on le devine.

À le lire, on est bien forcé de se demander si le plus important propriétaire de médias au Québec n'est pas une sorte de chef de l'opposition en réserve de la république du Québec.

On le sait par ses déclarations sur Facebook : c'est à regret qu'il a quitté la politique pour des raisons familiales, en mai 2016, un an à peine après avoir été chef du Parti québécois - il en a tenu responsable son ex-conjointe Julie Snyder.

Veut-il revenir un jour ? À cette question des journalistes, quand il s'est présenté au congrès du PQ l'an dernier, il a répondu par un mystérieux « Dieu seul le sait ».

Plus mystérieux encore, personne n'a semblé s'étonner de voir un propriétaire de journaux assister au congrès politique du parti qu'il avait dirigé.

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L'entente est en apparence cordiale entre son successeur Jean-François Lisée et M. Péladeau, même s'il n'a pas pu oublier ce jour où M. Lisée avait allumé la mèche de son conflit d'intérêts permanent de chef politique/baron de la presse.

Mais la suractivité de M. Péladeau sur les réseaux sociaux fait un peu pâlir chaque jour la couleur de M. Lisée.

Sur Twitter, son style est incisif, agressif même, et il ne ménage aucun punch : « Que ce soit le duo Charest-Couillard ou le gouv. de docteurs du PLQ Couillard-Bolduc-Barrette, pris dans un conflit d'intérêts perpétuel, ça reste 15 ans d'incapacité à penser la santé autrement que par les préoccupations des médecins. Et les patients ? »

Au sujet de l'Escouade permanente anticorruption, il ne se gêne pas pour l'accuser de s'occuper de broutilles et de ne pas faire le travail dans les gros dossiers - comprendre : l'ancien gouvernement libéral de Jean Charest.

Quant à l'aide du gouvernement libéral à Bombardier - un de ses sujets préférés -, il en dénonce la manière à répétition.

Bref, il ne se contente pas de « tweeter » sur le monde des communications et des affaires. Il est carrément et joyeusement dans la mêlée politique.

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De nos jours, les cas de propriétaires de médias nationaux qui interviennent dans le débat politique en dehors des questions touchant leur industrie sont assez rares en Amérique du Nord.

Conrad Black est une exception notable. Historien de formation, auteur à la plume efficace, il a fait publier régulièrement des commentaires dans les pages de « son » National Post, qu'il a fondé pour offrir une voix aux idées conservatrices. Il lui est arrivé aussi de signer des articles dans d'autres journaux. Il n'a toutefois jamais dirigé de formation politique ni donné l'impression d'avoir cette ambition. Ses sorties n'en provoquaient pas moins des remous.

PKP ? L'idée qu'un propriétaire de médias majeurs et ex-chef de parti devrait faire preuve d'une réserve dans ses commentaires politiques est sans doute devenue antique et presque romantique. Personne, en tout cas, ne semble s'émouvoir des élans de M. Péladeau.

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Les journalistes des médias concurrents sont dans une position inconfortable pour aborder le sujet. Tout ça va pourtant bien plus loin que les interrogations sur la nostalgie politique ou les projets de M. Péladeau. Il devrait y avoir une sorte de malaise à voir celui qui détient des organes d'information parmi les plus importants dans son marché se transformer en acteur politique et donner l'impression de sonner la charge sur tous les sujets imaginables. On ne parle pas d'un chroniqueur, ici. Ni de ses opinions, largement partagées. Il ne manque pas de commentateurs dans tous les médias pour lancer des flèches à Gaétan Barrette, Philippe Couillard ou l'UPAC. La question est celle du mélange des genres.

Prenons un exemple tout chaud. Depuis plusieurs semaines, M. Péladeau se plaint du prêt de 10 millions accordé par Québec à Capitales Média, qui regroupe Le Soleil et les journaux régionaux autrefois propriété de Gesca, de la famille Desmarais - toujours propriétaire de La Presse. M. Péladeau soulève ici une excellente question : selon quels critères ce groupe a-t-il reçu cette aide ? Pourquoi eux et Le Devoir (526 000 $), et pas Québecor ?

Il ne se contente évidemment pas de critiquer ou de soulever la question. Il donne la réponse. C'est parce que Martin Cauchon est un ancien ministre libéral (fédéral), et donc un « ami » du pouvoir à Québec.

Le commentaire est cinglant, mais il est légitime, compte tenu des apparences.

Mais PKP n'arrête pas là non plus. Il interpelle directement des journalistes, dont le chroniqueur Gilbert Lavoie du Soleil, qui avait dénoncé sa visite au bureau des journalistes de Québecor à l'Assemblée nationale l'an dernier.

Imagine-t-on que le propriétaire du Toronto Star soit un ancien chef de l'opposition en Ontario et s'en aille visiter « ses » journalistes dans l'enceinte du Parlement ?

M. Péladeau s'en est également pris à un autre journaliste, Konrad Yakabuski du Globe and Mail, pour un article prétendument de « mauvaise foi » à son sujet.

Le journaliste a répliqué : « Merci @PKP_Qc pour la plogue. Mais je vous assure que moi et mes collègues sommes de bonne foi. D'ailleurs il est très malsain pour la démocratie quand les gens puissants s'attaquent à l'intégrité des vrais journalistes comme le fait @realDonaldTrump. »

Ça n'a pas impressionné le PDG de Québecor. Hier, dans un autre tweet, il s'en prenait au Soleil, qui avait dévoilé en « exclusivité » une décision du gouvernement libéral : « après avoir reçu 10 000 000 $ de la part du gouvernement du chef du PLQ @phcouillard, bien normal que de se faire le messager de ses politiques et le véhicule médiatique privilégié. Voilà la démocratie du @LiberalQuebec ».

Bref, il accuse carrément le journaliste, qui a sorti un scoop comme il s'en sort à la pelle à Québec, d'être à la solde du gouvernement. Ce propriétaire de médias professionnels, il avance ça de manière totalement gratuite et s'attaque à l'intégrité d'un journaliste qui n'a fait que rapporter avant d'autres une information.

Qu'il critique le régime de soutien à la presse écrite, c'est parfait. Mais qu'il commence à viser des journalistes professionnels pour mieux attaquer ses concurrents ou le gouvernement, cela dépasse les bornes.

Tout ça est malsain, étant donné les fonctions actuelles et passées de M. Péladeau.

Pour l'instant, il est PDG d'une très grande entreprise de communication et devrait montrer un peu mieux qu'il comprend la différence entre son ancienne job de politicien, même s'il s'en ennuie, et sa nouvelle, même si elle n'est que temporaire.