Ce matin, Gilbert Delorme animera son émission sportive en direct du Playground Poker Club de Kahnawake.

Delorme, ancien joueur du Canadien et des Nordiques notamment, est une des têtes d'affiche de la radio « tout sport » de Montréal, le 91,9 FM.

Dans sa grande opération de blanchiment de réputation, le poker nord-américain a en effet réussi à se présenter ces dernières années comme un « sport », et même à être diffusé sur des chaînes de télé sportives. Ce qui est doublement intéressant dans ce cas-ci, c'est que le Playground est considéré comme un salon de jeu illégal depuis sa fondation.

Vérification faite, ni M. Delorme, bien sûr, ni même la station ne sont au courant de la légalité douteuse de cette maison de jeu. Le Playground Poker Club est un annonceur et, comme cela se fait régulièrement, une entente commerciale amène les animateurs de la station à présenter une de ses émissions depuis les locaux de son client. Cela se fait avec des concessionnaires, des brasseries, etc.

Où est le problème ?

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Le problème est que le Code criminel autorise uniquement les gouvernements des provinces à offrir des « jeux de hasard et d'argent ». Or, cette maison de poker ne détient aucune autorisation des autorités québécoises. La société d'État est prudente à l'extrême et se contente de rappeler la disposition du Code criminel, ajoutant que « Loto-Québec n'a pas le mandat de contrôler ou d'intervenir lorsque ces types de jeux sont offerts par d'autres entités ».

Mais en 2013, Loto-Québec avait un tout autre ton. Elle avait dénoncé avec véhémence un tournoi « illégal » de poker dans ce même endroit.

Pour les Mohawks, il n'y a rien d'illégal là-dedans. Le jeu est une activité ancestrale, régie par les règles de la réserve, qui a sa propre commission des jeux. Le conseil de bande ne reconnaît pas la compétence de Loto-Québec sur son territoire.

Juridiquement parlant, ça ne tient pas la route, à moins de faire reconnaître ce statut par les tribunaux.

Mais de un, en vertu des ententes, la Sûreté du Québec estime que c'est aux Peacekeepers de faire respecter les lois sur le territoire de la réserve. De deux, nous dit une source haut placée au gouvernement, « on n'a pas l'intention d'envoyer la police faire une descente. On veut négocier et faire en sorte que ces activités migrent dans un cadre légal ».

En coulisse, Loto-Québec se plaint au gouvernement de cette stratégie, estimant que des millions de dollars lui échappent. Parce qu'elle roule, cette maison de poker, ouverte 24 heures sur 24, sept jours sur sept, 365 jours et un quart par année. Cela s'ajoute au dossier des dizaines de « casinos en ligne » hébergés dans la réserve qui irritent les dirigeants de la société d'État. En plus du contexte de négociation avec une nation autochtone, la question juridique ici est plus nébuleuse, les joueurs étant littéralement partout dans le monde.

Mais quant à une maison de jeu physiquement implantée en banlieue de Montréal, la loi est on ne peut plus claire...

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On est bien obligé d'admirer l'efficacité de la stratégie commerciale des gens de Playground Poker. On y fait venir des vedettes du sport et du jeu régulièrement. Après les hockeyeurs Carey Price et Max Pacioretty, dans leurs jeunes années (2011-2012), on a invité l'athlète olympique le plus médaillé de l'histoire, Michael Phelps. Des gloires du hockey comme Guy Lafleur, Mike Bossy ou Roberto Luongo y ont été invitées. Cette semaine, l'ancien capitaine du Canadien Vincent Damphousse sera présent, tout comme Steve Bégin.

Simon Arsenault, de l'agence de placement publicitaire MVP, s'étonnait que je lui pose des questions sur la légalité des activités de son client. « Ce n'est pas dans mon mandat de vérifier sa légalité, mais il a sûrement un permis, il a pignon sur rue depuis 10 ans ! »

Tout le monde tombe des nues. Comment est-ce que ça peut être illégal, c'est annoncé partout ?

Il a un permis, certes, mais un permis local que ne reconnaît pas le gouvernement.

Chez le Canadien, on indique que ces choses-là « se font à notre insu » et qu'on « ne cautionne pas ça ». Les joueurs sont libres de leurs activités, mais des messages se passent et ce n'est pas un hasard si les joueurs actifs du Canadien ne sont plus des têtes d'affiche de l'endroit depuis plusieurs années...

Jeu de hasard, paris et sport professionnel formaient un cocktail historiquement apeurant...

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Non seulement des vedettes du sport viennent cautionner l'endroit, mais on y fait étalage d'activités de bienfaisance.

Et c'est un membre du Temple de la renommée du hockey, Larry Robinson, qui est responsable des collectes de fonds caritatives.

« Plus de 500 000 $ ont été amassés pour la Fondation Starlight pour l'enfance et le cancer du sein », dit Phil Sabbah, un des responsables de Playground.

Le tournoi de poker en cours en ce moment attire plus de 8000 personnes ; les bourses atteindront 2 millions ; le gagnant peut remporter autour de 400 000 $ - tout dépend du prix d'entrée qu'on peut payer, qui s'élève parfois à plusieurs milliers de dollars. C'est bien sûr au vainqueur de déclarer ses gains. Quant à savoir quels sont les revenus annuels de Playground, ou si Playground paie des redevances ou des taxes, M. Sabbah dit qu'il n'est pas autorisé à parler de ces questions. Le propriétaire, Bobby Delaronde, n'était pas joignable.

Les gains de loterie ne sont pas imposables au Québec... dans la mesure où ils sont légaux.

La logique étant que le gouvernement encaisse les profits de cette « taxe volontaire ». Quand un entrepreneur privé les empoche, cette logique ne tient évidemment plus.

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Peut-être la stratégie gouvernementale des petits pas est-elle préférable à l'affrontement stérile. Ça se défend.

Mais en attendant, les gens du Playground ont magnifiquement joué leur jeu. Ils ont réussi à légitimer et même à glamouriser ce qui autrement serait du jeu illégal dans un contexte fiscal, disons, douteux...

C'est une sorte de flush royale politique et commerciale.