De toute évidence, le courant passe entre ces deux-là. Denis Coderre venait à peine d'être élu, en novembre 2013, qu'il lorgnait la scène internationale. Et comme tout Québécois qui veut conquérir le monde, il a commencé par regarder ce qui se passait à Paris.

Il se passait qu'Anne Hidalgo, héritière spirituelle de Bertrand Delanoë, allait être élue au printemps de 2014. De tous les maires du monde entier, quel fut le premier à sonner à la mairie de Paris ?

Denis Coderre, évidemment.

Les deux ont connecté assez vite. Elle, l'immigrée espagnole élevée dans un HLM en banlieue de Lyon, issue des rangs socialistes et à qui on prête des ambitions présidentielles. Lui, le fils d'ouvrier de Montréal-Nord, pas moins dénué qu'elle d'ambitions politiques depuis un âge tendre... La maire de Paris (comme elle se fait appeler) a sans doute vu rapidement que ce maire bien portant est une machine à se faire des contacts. On ne sait jamais ce que l'avenir vous réserve, et on ne sait pas qui peut ouvrir des portes à qui...

Denis Coderre est devenu président de l'association des grandes métropoles appelée Metropolis ; elle est devenue présidente du C40, qui, comme son nom ne l'indique pas, regroupe 85 grandes villes - et où comme par hasard Montréal vient d'être admis.

Denis Coderre est aussi copain avec Gérard Collomb, maire de Lyon (les Entretiens Jacques-Cartier doivent bien servir à quelque chose), partisan fervent d'Emmanuel Macron. Ça tombe bien, vu que Mme Hidalgo a été plutôt en froid avec le futur président, se rangeant avec les camarades socialistes. Elle a tout de même appelé à le soutenir massivement après le premier tour et lui a fait un joli discours de bienvenue, comme le veut la tradition, au lendemain de son élection, en appuyant fort sur leurs points de convergence : l'environnement et l'Europe.

Après les attentats de Paris, le 13 novembre 2015, Anne Hidalgo roulait dans la nuit vers le Bataclan, tétanisée. Paris se relevait à peine des attentats djihadistes de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher de janvier.

« Denis m'a envoyé un message sur mon téléphone. »

Le maire de Montréal a organisé des marches de soutien. Ils se sont revus à la COP21, deux semaines après les attentats, en décembre 2015.

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Les deux maires sont devant moi dans une salle du Palais des congrès, après la conclusion de Metropolis, ce congrès des grandes villes du monde que Denis Coderre n'est pas peu fier d'avoir présidé.

Je demande à chacun ce qu'il envie de la ville de l'autre.

« Il y a une douceur de vivre ici. Montréal a peut-être un peu moins de stress que Paris », dit la maire en souriant.

« Il y a une culture différente, où la médiation, la conciliation sont présentes. On vous envie ça beaucoup en France. On essaie de vous emprunter des idées. Avant même que je sois maire, on venait beaucoup voir ce qui se passait ici sur des questions de droit du travail [sa carrière précédente]. En devenant maire, je me suis rendu compte qu'on venait chercher à Montréal des inspirations pour savoir comment faire vivre ensemble des gens très, très différents. En matière de droit de la famille, d'acceptation de toutes les évolutions des familles, familles recomposées, homoparentales, etc., Montréal était aussi une source d'inspiration. »

Denis Coderre envie la culture du « centre » et d'une ville qui se marche bien.

« À Paris, on ne parle pas d'étalement urbain, on parle d'une périphérie et il y a une cohérence avec un centre fort. »

Je leur demande ce qu'ils reprochent à la ville de l'autre. Anne Hidalgo ne trouve rien à redire. « Mais je n'ai pas été confrontée à l'hiver... »

Denis Coderre, on vient de le dire, est diplomate...

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L'entrevue commune entre les deux maires-amis allait inévitablement nous mener à leurs deux grands thèmes : les « villes-monde ».

Ils partagent évidemment un discours commun sur le « vivre-ensemble » et l'importance politique croissante des villes.

Les villes, dit Anne Hidalgo, s'imposent comme un « centre de gravité des politiques publiques ».

Denis Coderre parle du phénomène de « métropolisation ». Selon ce discours, « on ne définit plus le monde en termes de pays ou de continents, mais en termes de villes. Regarde le mouvement démographique : 70 % des gens vont vivre dans les villes d'ici 20 ans. C'est là que se vivent les principaux problèmes, mais c'est aussi un formidable laboratoire de solutions ».

Pour lui, la nomination de Michael Bloomberg comme envoyé spécial de l'ONU sur les questions urbaines a « complètement changé la donne ».

« À Paris, on était 1000 maires. On n'était pas certains que les gouvernements allaient embarquer. Mais on a signé une déclaration commune qui disait : "Si vous n'embarquez pas, nous, on le fait pareil !" Rahm Emanuel [maire de Chicago] qui lutte contre les compressions sur les initiatives de restauration des berges des Grands Lacs », c'est un effet concret de ces liens entre villes qui dépassent les États, dit Denis Coderre.

« C'est ça, l'incontournabilité. Je sais que tu n'aimes pas ce mot-là, je vais demander à Dany Laferrière de le faire adopter par l'Académie française, mais c'est ce que les villes ont développé. »

Anne Hidalgo en rajoute : « Le pouvoir d'agir, il est entre nos mains. Nous sommes un pouvoir à échelle humaine. Nous avons une capacité de fédérer le public et le privé et une agilité dans la capacité à faire bouger les choses. »

Ce pouvoir accru attire dans la fonction de maire « des personnalités qui ont le goût de l'action et qui sont assez pionniers et visionnaires et très, très libres et indépendants. Ce qui me frappe beaucoup, c'est que sans se forcer, on a un langage commun. »

Ils exagèrent, bien sûr, ils s'encouragent, c'est sûr aussi. Le pouvoir n'a pas encore coulé autant dans les villes, malgré une gravité qu'on sent bouger.

Ils exagèrent, sauf pour un truc : ils parlent vraiment la même langue politique.