Deux faces d'un même rejet politique. Deux visages de l'écoeurement politicien. C'est ce qui s'offre aux Français dans deux semaines.

Les deux candidats à la présidence que «tout oppose» ont en effet ceci en commun : ils ne promettent pas seulement le classique «changement». Ils prétendent rompre avec le vieux système qui régit la vie politique française depuis un demi-siècle.

Il était assez frappant d'entendre Emmanuel Macron et Marine Le Pen utiliser presque les mêmes mots pour appeler les Français à se rallier à leur camp, hier.

Les deux ont souligné le moment historique évident : pour la première fois, ni la droite héritière du général de Gaulle ni la gauche officielle ne seront de la partie. Les vieux partis qui alternaient au pouvoir sont passés à la trappe.

Marine Le Pen a dit que le temps de la «vraie» alternance était venu. La «grande alternance», l'alternance «fondamentale». C'est-à-dire non pas entre deux nuances du même régime dirigé par d'autres diplômés des mêmes écoles. Mais, ni plus ni moins, entre la survie et la mort de la nation, mondialisation contre protectionnisme, immigration contre affirmation nationale, etc.

Emmanuel Macron, un peu plus tard, a parlé de «l'alternance véritable». Celle qui permettra de «rompre avec le système» qui a été incapable de régler les problèmes de la France.

Le Pen propose une alternative partisane radicale. Macron, qui veut fédérer tous les modérés, lui qui parle de «l'exigence de l'optimisme», veut se situer hors de la logique partisane.

Il a quitté le Parti socialiste juste à temps, comme en témoignent les calamiteux 6% de suffrages recueillis par le candidat de son ancien parti, Benoît Hamon. Mais ce n'était pas pour aboutir sous une autre bannière. C'était pour être hors-parti, dans un «mouvement», «En Marche!», au-dessus des partis, ces partis dont les électeurs sont écoeurés, et pas seulement en France...

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Un sondeur français a inventé l'acronyme «PRAF» pour parler de ce tiers de la population, dans les démocraties constitutionnelles, pour qui il n'y a «plus rien à faire» avec la politique ou qui n'en ont «plus rien à foutre».

C'est un discours qu'on entend où que l'on soit, aux États-Unis, au Canada ou en France. Mais tout de même : le taux de participation hier a atteint plus de 77%. Il est possible de voter en se disant : ça ne changera rien, ou si peu. Mais quatre Français sur cinq ont jugé l'acte de voter suffisamment important pour l'accomplir - c'était 54,6% aux États-Unis en novembre. Ils l'ont fait parfois par dépit, souvent en râlant, sans grande illusion non plus, mais ils l'ont fait.

Voilà bien 40 ans en France qu'on parle de l'essoufflement de la Ve République...

Pourtant, la désaffection envers la classe politique n'a pas - encore - mené à la désertion des bureaux de vote. Peut-être n'y a-t-il «rien à faire», mais on peut au moins éviter le pire... Choisir un moindre mal... S'exprimer...

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On peut prétendre que c'est une sorte d'accident de parcours qui a fait dérailler la campagne de la droite traditionnelle. Sans «l'affaire» qui l'a suivi tout le printemps, François Fillon serait probablement candidat au deuxième tour, et peut-être président dans deux semaines.

En ce sens, il serait exagéré de parler de rejet des vieux partis : si on n'avait pas déclenché des enquêtes sur des emplois fictifs de sa femme et de certains proches, cette droite-là n'aurait pas été laminée. Fillon a d'ailleurs fait près de 20%, pas tellement moins que les deux finalistes.

Mais justement, ce genre d'affaire symbolise parfaitement cette vieille classe politique, qui s'invente toutes sortes de privilèges, qui se protège, qui se coopte et qui se reproduit à l'infini. Le noyau conservateur, libéral, catholique, vieille France n'a peut-être pas lâché Fillon. Mais cette corruption ordinaire, banale de la politique française ne passe plus comme une sorte de péché mignon ou de droit acquis.

La défaite de Fillon n'est donc pas un accident de parcours. C'est l'expression claire d'une des nombreuses versions de l'écoeurement politique français.

Un écoeurement qui mène à un choix sans précédent : ou bien élire un président «centriste», à la fois libéral et social-démocrate, sans parti, à la recherche d'une coalition; ou bien tourner le dos à l'Europe en étant le premier pays important du continent à élire une dirigeante d'extrême droite depuis la fin de la Guerre.