Ce n'est pas un crime et il n'y a pas d'enquête de «corruption». Mais Denis Coderre a fait preuve d'un manque de rigueur et de prudence comme député fédéral, et ce n'est pas la seule fois.

En fait, du début, toute l'histoire illustre certains traits de caractère de celui qui est devenu maire de Montréal.

D'abord une impulsivité qui le rend parfois sympathique dans le public, car il sait saisir l'humeur du temps.

Mais la même impulsivité lui fait aussi commettre des gaffes. Du marteau-piqueur aux calèches, les exemples sont nombreux de coups tirés trop vite.

Après un match de hockey au Centre Bell en 2006, la rumeur veut que le joueur-vedette des Coyotes de Phoenix Shane Doan ait insulté les arbitres francophones. Les faits sont contestés, mais Denis Coderre saute dans la mêlée et traite Doan de francophobe, puis dit qu'il ne devrait pas jouer pour Équipe Canada. Doan demande des excuses, ne les reçoit pas, puis poursuit le député Coderre pour atteinte à sa réputation.

Deuxième trait : ce côté approximatif, grosso modo. On ne va pas chipoter sur des détails administratifs, hein? Encore là, dans l'univers archi-bureaucratique de Montréal, un peu de «gros bon sens» est bienvenu et donne un côté décontracté et «efficace» au maire.

Qu'est-ce qu'il peut y avoir de mal à ce que son mentor en politique, Jean Rizzuto, vienne l'aider à payer ses honoraires d'avocat six ans plus tard, quand la cause se règle?

Rizzuto, qui pour son malheur porte le même nom qu'un ancien mafieux célèbre, est un homme d'affaires au-dessus de tout soupçon. Il a été un des rares à s'opposer à Gilles Vaillancourt à Laval et il n'est pas étranger à la chute du roi de Laval. C'est tout à son honneur.

Il est vrai aussi qu'un joueur de hockey multimillionnaire peut facilement poursuivre un député de l'opposition pour le faire taire. Le comité de régie interne de la Chambre des communes a refusé de défrayer Coderre - comme ça se fait régulièrement à Québec.

En soi, donc, qu'un ami riche aide Denis Coderre le citoyen à payer sa dette, ce n'est ni un crime ni un scandale.

Le hic, c'est qu'un député est plus qu'un citoyen. Il est soumis à un Code sur les conflits d'intérêts. Il doit divulguer tout cadeau ou avantage de plus de 200 $ au Commissaire à l'éthique. Denis Coderre ne l'a pas fait.

Pourquoi? Bof, qu'est-ce que ça peut bien faire?

Ça fait que cinq ans plus tard, ça sort et ça paraît mal. Ce n'est pas tous les jours qu'un entrepreneur vous envoie un chèque de 25 000 $ par charité.

Et si c'est anodin, raison de plus pour en aviser le Commissaire à l'éthique.

Jean Rizzuto ne fait pas affaire avec la Ville de Montréal et au moment du chèque, Denis Coderre était encore « simple député ». Avec ce qu'on sait de M. Rizzuto, je suis convaincu qu'il ne l'a pas fait pour faveur future. Il l'a fait au nom des liens personnels qui les unissent depuis toujours.

Ça ne change rien au fait que Denis Coderre a fait fi des règles de la Chambre des communes à l'époque en ne divulguant pas cette aide somme toute extraordinaire. Ces règles s'appliquent même aux gens au-dessus de tout soupçon, justement pour qu'on n'ait pas de soupçon, et qu'on sache quelles sortes d'influences jouent en coulisses.

Pour en ajouter, M. Coderre a nié ce versement lorsque le journaliste du Journal de Montréal l'a contacté. C'est vrai, il était très malade, plus qu'il ne l'a jamais été sans doute. Mais comme par hasard, c'est une fois mis devant la preuve matérielle du versement que le maire a admis et reconnu son erreur de jugement. Trop tard.

Il n'y a pas eu de crime, il n'y a pas d'enquête de corruption, même si le Journal affirmait que «l'UPAC s'intéresse» au dossier, expression vague et mystérieuse pour rendre l'affaire plus piquante. L'UPAC n'a pas d'enquête là-dessus, elle l'a confirmé hier.

Ça n'en est pas moins un autre incident qui illustre le «style Coderre». Un style qui en a fait le succès. Mais un style qui pourrait bien le perdre un jour.