Amis lecteurs, rassurez-vous. Si vous avez de la difficulté à vous y retrouver dans ces histoires de flics-qui-enquêtent-sur-des-flics-parce-qu'ils-enquêtent-sur-des-flics, vous n'êtes pas les seuls.

Paniquons, mais pas tout de suite.

J'a-dore les commissions d'enquête, une des grandes ressources naturelles du Québec. Nous produisons 50% de l'hydroélectricité du Canada, 91% de son sirop d'érable et probablement 95% de ses commissions d'enquête.

Soyons fiers, mais n'abusons pas.

Qu'avons-nous jusqu'ici dans le dossier de la «corruption» au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)?

Beaucoup de choses bizarres, inquiétantes, beaucoup d'allégations. Mais pas grand preuve solide.

Deux ex-enquêteurs congédiés qui se plaignent à J.E. de TVA d'avoir été piégés par les enquêtes internes parce qu'ils s'apprêtaient à dénoncer un ou des collègues corrompus. Un troisième ex-enquêteur, Pietro Poletti, qui dit à Paul Arcand avoir été l'objet d'un faux rapport l'associant à la mafia pour la même raison.

Disent-ils vrai? Peut-être. Faut-il enquêter? Assurément.

Mais quand M. Poletti dit à Paul Arcand que la police de Montréal, «c'est pire que la mafia», j'ai un léger problème.

Tous ces gens, visiblement aigris, ne nous éclairent pas beaucoup sur les terribles scandales de corruption qu'ils prétendent avoir voulu révéler.

Quand le très douteux Luigi Corretti nous dit que si les accusations ont été abandonnées contre lui, c'est qu'il entendait faire témoigner Jean Charest et d'autres politiciens, je ne suis pas très impressionné.

Mettons que le sympathique M. Corretti n'a pas la meilleure crédibilité en ville. Par ailleurs, les procureurs du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) sont censés être indépendants du politique - ce dont pourrait sans doute témoigner la nouvelle recrue de la Coalition avenir Québec, Sonia Lebel, ex-procureur-chef de la commission Charbonneau.

Il reste d'ailleurs la possibilité à M. Corretti et aux autres de nous révéler exactement ce qu'ils savent d'horrible, avec des noms, des dates, etc. Nul besoin d'un procès pour ça, toute la presse sera au rendez-vous.

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Une fois ces mises en garde faites, on est quand même devant plein d'allégations troublantes.

Il est question de plusieurs enquêteurs d'expérience qui affirment à visage découvert que d'autres enquêteurs : 

1) mentent dans des déclarations sous serment pour obtenir des mandats de perquisition contre des collègues ;

2) se vengent de collègues en déclenchant des enquêtes internes qui mènent à des accusations bidon et à des congédiements ;

3) détournent pour eux-mêmes des fonds occultes pour payer des sources.

Si (je dis bien «si») des enquêteurs sont capables de mentir sous serment pour neutraliser des collègues, on peut penser qu'ils le font encore plus allègrement contre des «bandits».

Par ailleurs, le monde un peu glauque des informateurs de police, où l'on rémunère des gens du milieu criminel pour obtenir des informations, a toujours donné lieu à des dérapages et à des abus au nom de la lutte contre le crime.

On sait aussi d'expérience que plusieurs enquêteurs, et pas forcément les moins bons, tournent des coins un peu rond pour obtenir des résultats. Et que les enquêteurs savent sur les autres enquêteurs tout un tas de petits secrets qui peuvent être utilisés en cas de nécessité ou de vengeance.

On sait aussi que la meilleure défense est souvent l'attaque. Les «ripoux» de la police ont souvent l'excuse toute faite : on m'a ciblé parce que je dérangeais.

Je prends avec une grosse poignée de sel tout ce qui s'est dit depuis deux jours. Sauf que c'est beaucoup trop sérieux pour être ignoré. Il faut donc une enquête.

Laquelle?

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Une commission d'enquête est un dernier recours. Pour l'instant, une enquête tout court suffira. Que la Sûreté du Québec (SQ) enquête là-dessus, en soi, n'est pas scandaleux. Rappelons qu'on est uniquement devant des allégations extrêmement floues.

Le problème, c'est que cette enquête a été demandée par le directeur du SPVM au directeur de la SQ, alors qu'elle touche directement, et au plus haut niveau, ses proches collaborateurs.

Deuxième problème : le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, ne s'est pas contenté de dire : une enquête de la SQ est en cours, attendons le résultat. Il a ni plus ni moins disqualifié le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), qui n'aurait pas l'expertise voulue. Il est vrai qu'on n'avait pas ce genre de problème à l'esprit quand on a créé le BEI. On pensait surtout à des cas d'abus de force. Mais comme l'a rappelé l'organisme lui-même, rien n'empêche le ministre de lui confier un dossier, quitte à lui adjoindre une expertise externe.

Il ne faut pas minimiser la complexité de ce genre de dossier. Plusieurs couches de vengeances et de contre-vengeances ont l'air d'être sédimentées dans certains secteurs des enquêtes du SPVM. On a affaire, manifestement, à quelques pommes pourries qui n'ont plus rien à perdre. On ne sait pas si ce sont les congédiés, ceux qui les ont congédiés, ou un peu des deux...

On a aussi affaire à des spécialistes de l'intoxication du contre-espionnage. Bref, ce ne sera pas une enquête pour débutants.

Mais le BEI pourrait très bien la faire.

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La bonne nouvelle, c'est que la commission Chamberland (ô joie, une autre commission!) sur les sources journalistiques d'enquête est sur le point de commencer. Comment a commencé l'affaire Lagacé et l'espionnage d'autres journalistes? Par des enquêtes internes sur des policiers. Il sera donc inévitablement question de la nature des enquêtes qui ont donné lieu à ces surveillances policières. Et même si ce n'est pas le sujet premier de la commission, il est difficile d'imaginer qu'on ne fasse pas témoigner des gens des enquêtes internes.

Il est donc fort probable que la commission nous permette d'en apprendre à ce sujet. Et, rendu là, peut-être verra-t-on qu'il faut... une autre commission d'enquête, sur le SPVM, celle-là...

Mais ne brûlons pas les étapes ni les chefs de police trop rapidement.