C'était le soir du party de Noël et la juge Vadboncoeur était impatiente de rentrer chez elle. Il était environ 22 h, le 8 décembre. Elle attendait dans sa voiture, comme d'autres, que les policiers du palais finissent par réparer la foutue porte électrique du garage du palais de justice et les laisse enfin sortir.

D'après ce qu'ont dit les « constables spéciaux », la juge était « agitée » et « désorganisée ». Elle est sortie de sa voiture pour les engueuler, les traiter de « crisse de cons », d'incompétents, d'épais, etc.

La scène a été captée sur vidéo. Une plainte a été déposée contre la juge au Conseil de la magistrature du Québec. La principale intéressée reconnaît avoir été impatiente, mais nie la version des agents.

La plainte a quand même été jugée suffisamment sérieuse pour qu'un comité d'enquête soit formé afin d'entendre l'affaire. Et ce matin, la juge Vadboncoeur doit témoigner pour s'expliquer.

Le Conseil devra ensuite décider si la juge a manqué à son obligation de faire « preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité » dans son « comportement public ».

Un possible faux pas dans une carrière par ailleurs remarquable. Avant d'être nommée juge à la Cour du Québec, Suzanne Vadboncoeur a longtemps été responsable de la recherche au Barreau et, à ce titre, devait éplucher tous les projets de loi pour que l'ordre professionnel les commente sur la place publique.

Cette anecdote déontologique de garage judiciaire souterrain a été racontée publiquement par le collègue Michael Nguyen, du Journal de Montréal, au mois de juin.

Mercredi, la Sûreté du Québec est venue saisir son ordinateur, comme si la police était sur la piste d'un dangereux criminel.

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Le Conseil de la magistrature du Québec a en effet porté plainte à la police, alléguant que le journaliste aurait en quelque sorte piraté son site pour aller y découvrir cette information.

Les policiers ont ouvert une enquête. Ils se sont pointés devant un juge et ont obtenu un mandat de perquisition, qu'ils ont exécuté mercredi soir. L'ordinateur a été mis sous scellés, car le Journal va contester la saisie. Selon ce qu'on a pu comprendre, le journaliste n'a absolument rien fait d'illégal pour obtenir cette information.

Hier, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec a dénoncé cette saisie, et avec raison.

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Les salles de rédaction ne sont pas des sanctuaires inviolables. Il peut arriver que, pour résoudre un crime sérieux, les policiers en viennent à aller fouiller dans une salle de rédaction, comme dans le bureau d'un professionnel. Mais c'est un dernier recours.

Il y a des règles à suivre. Une salle de rédaction n'est pas un lieu comme un autre. « Les médias ont droit à cette attention particulière en raison de l'importance de leur rôle dans une société démocratique », disait la Cour suprême en 1991.

Si la police pouvait aller saisir les notes et les ordinateurs des journalistes sans retenue, il n'y aurait tout simplement plus de sources confidentielles. Aussi bien dire qu'il n'y aurait plus de journalisme véritable.

La cour a reconnu que les journalistes pouvaient publier des informations d'intérêt public qui sont confidentielles : si c'est la source qui viole son obligation de confidentialité, le journaliste n'est pas lié par cette obligation.

« L'histoire démontre que la préservation de la démocratie, incluant le respect de la règle de droit, n'est parfois possible que grâce à des fuites à un journaliste par des sources non autorisées à les communiquer », écrivait le juge Pierre Dalphond de la Cour d'appel en 2010.

Sans être absolue, la protection des sources est aussi reconnue par les tribunaux, au nom de l'intérêt public. Plusieurs scandales ayant donné lieu à des commissions d'enquête au Canada ont éclaté grâce à une source anonyme.

Pour toutes ces raisons, avant d'autoriser la police à aller saisir du matériel journalistique, les juges sont tenus de faire plusieurs vérifications : est-ce que le crime qu'on tente d'élucider est suffisamment sérieux pour justifier l'atteinte à la liberté de la presse ? Est-ce que les policiers ont utilisé tous les autres moyens d'enquête avant d'en arriver là ?

De toute évidence, ça n'a pas été fait. Sinon, on aurait appris qu'il n'y a jamais eu de crime. Et au fait, tout ce qu'a écrit le journaliste allait être, ou aurait dû être, du domaine public : la preuve serait étalée en public devant le comité du Conseil !

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Le Conseil est à blâmer là-dedans. Impossible, en consultant le site, de savoir de quoi cette juge est accusée. Aucun communiqué ne fait état des accusations déontologiques. Au fédéral, au contraire, un communiqué détaillé est publié dès qu'une plainte est retenue. Ce « bris de confidentialité » est donc doublement bidon, puisque la preuve aurait dû être accessible au public.

La police est encore davantage à blâmer. Après tous ces événements ridicules de chasse aux sources, s'il y avait un cas où la Sûreté du Québec aurait dû être prudente, c'était bien celui-là. On ne cherche pas à résoudre un meurtre ou un crime majeur, ici. Les policiers ne savent même pas s'il y a eu un crime !

Quant au juge qui a signé ce mandat de perquisition, il a manqué aux obligations de prudence que lui impose en détail la Cour suprême. Les causes sont connues, classiques. Mais quoi ? Il s'agissait d'une affaire impliquant une juge... oh... allez, hop, on signe !

Tout ça est grotesque et, léger détail, inconstitutionnel.