Commençons d'abord par ceci: ne vous fiez pas aux lamentations de certains médias. Du point de vue sportif, les Jeux de Rio ont été très réussis. L'organisation, très bonne. Les Cariocas, hyper sympathiques.

Mais que voulez-vous, vous avez 10 000 représentants des médias réunis dans une ville et qui cherchent des problèmes. Il y en a. Ben oui, une piscine verte. Dans une ville où il peut vous pousser un arbre dessus si vous restez trop longtemps sur un banc, la gestion de la flore présente des défis différents qu'à San Francisco, disons.

Certains ont fait grand cas de quelques pépins techniques, à l'athlétisme ou ailleurs. Il y en a toujours. Mais si ça arrive au Brésil, ah, ah! C'est un problème d'organisation. Sous-entendu: ils sont un peu approximatifs...

Dois-je rappeler de quoi avait l'air le stade de Montréal, sans mât, à l'ouverture des Jeux de 1976?

Aucune compétition à Rio n'a souffert de problèmes sérieux. Et tous les problèmes anticipés - l'eau, le Zika, les structures menaçant de s'effondrer - ont été ou bien exagérés grossièrement, ou simplement non existants.

Oui, le transport est compliqué. Mais va-t-on reprocher à Rio d'avoir utilisé comme stade olympique une installation de foot déjà existante (ce qui forçait les journalistes à se déplacer davantage)? Dans une ville où le transport en voiture est notoirement cauchemardesque, tout s'est plutôt bien passé. Les bus étaient à l'heure. Les horaires respectés. L'excellent métro de la ville, propre, sécuritaire, rapide, peu étendu mais efficace, ne demandait qu'à être utilisé.

On a été très sévères envers le Brésil avant même que les Jeux ne commencent. Les histoires de balles perdues, le moindre vol prenaient des dimensions énormes: on attendait ça, dans cette ville violente...

Quand on choisit ses endroits, pourtant, Rio est une cité magnifique, complexe, aux charmes innombrables, bien au-delà du cliché de la plage et de la réalité des écarts de richesse scandaleux. J'y ai circulé jour et nuit - souvent de nuit - sans m'y sentir menacé une seule fois.

Plusieurs ont déploré le manque de spectateurs, notamment au Stade olympique quand Bolt n'y était pas. À côté de Londres, c'est clair, l'ambiance laissait parfois à désirer. Mais d'abord, la tradition d'athlétisme n'est pas la même ici qu'en Angleterre. Et surtout, le coût des billets est élevé pour le citoyen moyen.

Au total, les Cariocas ont bien fait les choses pour les premiers Jeux tenus dans l'hémisphère Sud.

Des Jeux quand on a faim

Une fois qu'on a dit ça, on n'a pas réglé la question de fond. Fallait-il même les organiser?

En quoi des Jeux servent-ils une ville? C'est prouvé, ils ne créent pas une activité économique qui compense les coûts.

Faut-il alors réformer les Jeux ou les abolir? Est-il possible d'organiser des Jeux moralement et socialement acceptables?

À deux pas du Maracanã et des autres installations du secteur, l'Université publique de Rio est dans un état de délabrement avancé. Sous-financée, sous-équipée, avec des profs mal payés. Pour bien des employés, les Jeux ont contribué directement à l'appauvrissement de l'institution. Rappelons que l'État de Rio a déclaré un état de «calamité économique» ce printemps, incapable qu'il était de payer les employés du secteur public. Il y a là-dedans des stratégies de négociation avec le gouvernement fédéral. Il n'en demeure pas moins que la trésorerie est à sec, notamment à cause des impératifs budgétaires olympiques. Entre l'obtention des Jeux en 2009 et leur réalisation, la situation du Brésil s'est détériorée de manière catastrophique. 

Les Jeux ne sont pas à blâmer pour ça. Mais loin d'être un accélérateur, ils ont été une pompe à aspirer des fonds publics qui font cruellement défaut.

Dans plusieurs villes européennes et à Boston, pourtant bien équipées pour organiser des Jeux à coûts raisonnables, les citoyens ont exprimé leur opposition. Pas chez nous, non merci.

Une fois les Jeux obtenus, les choix urbains eux-mêmes deviennent objet de controverse. À Rio, les plans olympiques ont été l'objet de combats incessants. Il a fallu «relocaliser» des citoyens pour faire place au Parc olympique... et au développement immobilier qui suivra.

On lègue un nouveau bout de métro, c'est vrai. Mais faut-il des Jeux pour cela? Pas nécessairement. Sauf que la tenue de l'événement crée des conditions politiques nécessaires pour des dépenses publiques massives en infrastructures - pas forcément ce dont les gens ont le plus besoin, cependant.

Le génie olympique... et sa faiblesse

En plus de devoir conserver ou reconquérir un public désenchanté par le dopage et la corruption dans diverses fédérations, le Comité international olympique (CIO) doit plus que jamais convaincre le monde de la pertinence même de tenir un événement aussi... pharaonique.

La veille de la cérémonie d'ouverture, j'ai assisté à la projection d'un documentaire norvégien sur le rasage d'une petite favela - j'en ai parlé en arrivant. Quelques intellectuels participaient ensuite à une discussion où certains estimaient que les Jeux étaient devenus hors de contrôle et entraînaient nécessairement des abus.

Parmi eux, il y avait John Horne, un sociologue du sport britannique très critique des Jeux olympiques. Il en connaît tous les travers, dont le plus évident : les Jeux sont indissociables du commerce et de la consommation. Le CIO s'associe à des multinationales du fast-food. Etc.

«Je me pose la même question sur leur avenir. Mais il y a un génie dans le projet olympique. Quel autre événement dans le monde rassemble les gens de tous les pays autour d'un projet pacifique, sans égards aux horizons politiques de chacun? C'est une histoire merveilleuse. Ça produit quelque chose d'intangible dans une ville; ça change des conversations, ça fait se rencontrer des gens sous un nouveau jour, j'ai vécu ça à Londres. Il reste quelque chose de cela, ensuite, une inspiration, mais est-ce que ça vaut tous les coûts?

«Dans la force des Jeux olympiques réside aussi sa faiblesse: comme les athlètes se rencontrent en dépit des divergences politiques, ça donne des aberrations et une récupération politique. Comme les Jeux de l'Allemagne nazie à Berlin en 1936.»

Remarquez, il y a encore quatre candidatures pour les Jeux de 2024. Le rêve du vieux baron n'est pas mort, quoi qu'on en dise, même si les réformes sont à la traîne.