Une ville a-t-elle le pouvoir d'interdire les pitbulls ? Absolument. Une province peut-elle les bannir de son territoire ? Tout à fait.

Les juges, jusqu'ici, ont renvoyé dans leur niche les propriétaires de pitbulls qui contestaient ces interdictions.

En 1988, après deux attaques graves, l'ancienne ville de Lachine a été la première à bannir les pitbulls. Plus précisément : « tout chien de race bull-terrier, Stafford bull-terrier, American bull-terrier... » ; « tout chien hybride » issu d'une de ces races et « tout chien de race croisée qui possède les caractéristiques substantielles » de ces chiens. La Ville a du même coup interdit « tout chien méchant, dangereux ou ayant la rage » et tout chien d'attaque.

Des propriétaires de pitbulls ont contesté devant la Cour supérieure du Québec la validité de ce règlement, abusif et trop vague à leur avis. Le juge John Hannan a rejeté leur requête en 1990.

Les villes ont le pouvoir de faire des règlements sur ce qu'on appelle des « nuisances » et de les définir. Une nuisance est ce qui « cause des inconvénients sérieux ».

La preuve a démontré que ces types de chien peuvent être « sauvages, incontrôlables et vicieux », a dit le juge.

Le demandeur lui-même a reconnu avoir dû abattre « 10 à 15 » des 25 pitbulls qu'il a possédés en sept ans parce qu'ils étaient « trop dangereux » !

On a beau dire que l'identification des chiens « hybrides » est difficile, le problème n'est pas insurmontable. Soit en remontant à l'origine du chien, soit par certaines caractéristiques. Cela ne rend pas le règlement vague au point d'être illégal. Le juge n'a pas non plus trouvé abusifs le pouvoir donné aux policiers d'entrer dans les propriétés et celui de la Ville de faire « détruire sommairement » le chien. Tout cela fait partie du pouvoir des villes pour limiter les nuisances.

Le règlement est toujours en vigueur.

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Le même type de débat judiciaire a eu lieu en Ontario, qui a banni les pitbulls de tout son territoire en 2005. Cette interdiction, qui est accompagnée de peines d'emprisonnement, va beaucoup trop loin, plaidait un propriétaire de chien.

La loi reprend à peu près les mêmes critères que le règlement de Lachine et pratiquement tous les règlements qu'on trouve en Amérique du Nord. Sont interdites les mêmes races et tout chien qui a « une apparence et des caractéristiques physiques substantiellement similaires ». Un certificat de vétérinaire est en principe requis avant de poursuivre un propriétaire.

Les mêmes arguments qu'on entend actuellement ont été plaidés : certains experts disent que les pitbulls ne sont pas « pires » que les autres chiens ; le procureur général a fait état de graves attaques et de statistiques américaines sur la surreprésentation de ces chiens dans les attaques graves en Amérique du Nord.

(Fait divertissant : la mâchoire d'un pitbull applique plus de pression par centimètre carré que celle d'un requin blanc ou d'un loup.)

La Cour d'appel ontarienne a refusé de trancher le débat zoologique.

Toutefois, il y a suffisamment de données sur l'imprévisibilité de ces chiens pour que le gouvernement ait des motifs raisonnables de les interdire. Ça n'a rien d'arbitraire.

Il peut y avoir des débats sur l'identité « raciale » d'un chien ; ça ne rend pas la loi « vague » et impossible à appliquer. Les chiens décrits ont des caractéristiques bien connues et identifiables par des experts, et en fait par les propriétaires aussi.

La Cour d'appel, dans cette décision de 2008, note que toutes les décisions canadiennes sur le sujet ont conclu à la validité des règlements anti-pitbulls. Il en est de même dans la « vaste majorité » des décisions américaines.

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Dans ce contexte, les règlements envisagés à Québec et à Montréal seraient valides, s'ils respectent un certain cadre.

L'Ontario a permis aux propriétaires de garder leurs pitbulls, mais en les obligeant à les faire stériliser et à les promener avec une muselière. Régis Labeaume veut les faire « disparaître » au 1er janvier - une « position de négociation », dit-il.

L'approche du maire Coderre semble plus proche de celle de l'Ontario : un encadrement très strict et un bannissement pour l'avenir qui vise tous les chiens dangereux, en respectant les droits acquis.

La France a adopté une loi très sévère en 1999, qui oblige la stérilisation des « chiens d'attaque », les bannit de plusieurs lieux publics et en interdit la possession pour des gens ayant été condamnés pour certains crimes. Tous les chiens doivent être « immatriculés », dangereux ou pas : soit par puce électronique, soit par tatouage. Les chiens « d'attaque » ne peuvent pas être « acquis » ou cédés. Les chiens « dangereux » de catégorie 2 sont ceux « de garde ou de défense » et soumis eux aussi à de nombreuses restrictions.

Bref, avant de dépenser trop d'argent dans un bureau d'avocat pour faire reconnaître le droit inaliénable de l'être humain à posséder un chien féroce aux yeux exorbités et fumant de rage, mieux vaut y penser à deux fois.

Les villes, les États ont parfaitement le droit de bannir certaines races de chien. Je dirais le devoir, en fait.