Charlie Hebdo. Hyper Cacher. Bataclan. Boulevard Voltaire. Stade de France. Dans la salle bondée, les 250 dirigeants des corps de police québécois écoutaient hier religieusement leur collègue français revenir sur la sombre année 2015.

Les attentats de janvier et novembre ont fait 150 morts et 263 blessés en région parisienne. Ils ont aussi forcé la police française à « modifier la doctrine d'intervention », a dit le lieutenant-colonel David Drouaud, responsable de la coordination des forces d'intervention en cas d'attaque terroriste (UCOFI).

À part la complexité étourdissante de l'organisation policière française et le fait que tout se coordonne et se centralise encore davantage à Paris, on retient cette leçon fondamentale : l'importance d'une réponse policière de première ligne rapide.

C'est l'évidence, direz-vous : personne ne plaidera pour une réponse lente.

Le changement d'approche est tout de même profond. 

Ce que ça veut dire, concrètement, c'est que le gendarme qui fait de banals contrôles routiers doit maintenant être prêt à intervenir personnellement. Immédiatement.

Autrefois, le policier qui se retrouvait devant un événement majeur se contentait de boucler un périmètre, de se retrancher et d'attendre des renforts spécialisés.

« On ne peut plus travailler comme ça. Y faut y aller. Faire face à la menace immédiatement pour sauver des vies », dit l'officier supérieur.

La nature du terrorisme djihadiste impose cet ajustement : les terroristes veulent faire le plus de morts possible, mourir « dans le combat » et obtenir de la médiatisation. Un simple bouclage quand la tuerie se poursuit n'a plus de sens.

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Quand les frères Kouachi sont ressortis de l'édifice de Charlie Hebdo, le 7 janvier, ils ont fait face à une voiture de police. Les gendarmes, n'ayant pas l'équipement pour répondre aux kalachnikovs, ont reculé. La traque a duré deux autres jours.

Quand, le 9 janvier, à Dammartin, un gendarme les a reconnus, il est sorti de son véhicule et a engagé le combat armé. L'un des terroristes a été touché à la gorge ; les deux se sont réfugiés dans une imprimerie.

Le schéma terroriste était le même en janvier et en novembre : tuerie de masse, confrontation avec la police, assaut-suicide. La riposte armée rapide force les terroristes à se retrancher et sauve des vies.

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Au Bataclan, le 13 novembre, c'est un policier de passage par hasard qui est entré avec son pistolet. Depuis sept minutes, les trois terroristes tiraient sur les spectateurs. L'agent a tué l'un des trois. Les deux autres se sont réfugiés à l'étage avec des otages, et pendant ce temps, les forces spéciales sont arrivées.

Encore fallait-il que ce policier ait le courage d'entrer, même s'il n'était nullement préparé à une opération antiterroriste, même s'il n'était pas membre de l'une de ces unités d'élite. 

S'il avait attendu, le carnage aurait été encore plus tragique. C'est lui qui a mis fin à la tuerie, pas les groupes d'intervention.

« C'est l'engagement de la patrouille qui va déterminer la suite ; la pierre angulaire, c'est la réponse du gendarme. »

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Il faut en conséquence changer les mentalités policières, bien cloisonnées. Le « père de famille » gendarme qui n'a aucune aspiration paramilitaire doit être rééduqué, en quelque sorte. Formé. Équipé.

Pas si simple : « On leur demande de passer de la police communautaire à l'armement lourd. »

Casques anti-balles, armes militaires, viseurs de nuit, boucliers... L'énumération des nouveaux outils de certains policiers français a fait rire l'audience et rendu nerveux les responsables des budgets, dans ce congrès de l'Association des directeurs de police du Québec. M. Drouaud a tenu à les rassurer : « Pas tous les policiers ! »

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On note bien sûr un certain degré d'amateurisme des terroristes : le kamikaze du stade de France n'avait pas de billet, il a été repéré par une « physionomiste » de la police ; un des Kouachi avait oublié sa carte d'identité ; la voiture des assassins du Bataclan était garée toutes portières ouvertes.

Il faut peut-être noter surtout leur détermination d'acier. À Saint-Denis, quand l'assaut final a été donné, le 18 novembre, les trois terroristes se sont fait exploser. Ils allaient sans doute faire d'autres victimes. Ils s'en allaient tous mourir.

Il y a bien sûr des réponses en matière de renseignement, de prévention. Mais s'adapter au nouveau terrorisme, cela a voulu dire une forme de militarisation de l'espace public. Et des mesures « liberticides », dit-il.

« Le climat social est perturbé, mais les gens acceptent les contrôles et les mesures de sécurité, estime-t-il. Ce n'est pas liberticide au point de rendre la population hostile aux forces de l'ordre » (du moins en matière d'antiterrorisme !).

« Il faut s'attendre à d'autres événements malheureux. » D'où la nécessité de développer « une culture de la vigilance et de la réponse rapide ».

Huit mois après les pires attentats de son histoire, la France accueille ce mois-ci l'Euro, championnat européen de soccer. Un des plus importants événements sportifs de la planète. Des matchs auront lieu pendant deux semaines sur 18 sites.

Les forces de l'ordre sont prêtes, bien sûr, pour peu qu'on puisse l'être. Nombre de complots ont été déjoués depuis un an. Les terroristes aussi ont leurs cellules « retour sur l'expérience », dit-il, et s'adaptent à leur tour... Ce qui fait à nouveau changer la « doctrine » policière, dans ce combat dont on ne voit pas la fin.