On dirait qu'on a passé l'hiver à chercher des adolescentes qui avaient fugué de leur maison, d'un centre jeunesse... Et qu'elles disparaissent comme ça, pour rien.

Enfin, on sait à peu près comment ça se passe. La séduction d'un « ami » lié à un gang de rue ; le party pendant quelques jours... Puis, les choses qui basculent... Le viol... La manipulation, l'introduction dans un réseau de prostitution...

Mais c'est comme si les clients étaient invisibles. Et que les proxénètes étaient insaisissables.

Il y a pourtant des gens qui organisent ça. Et une incroyable quantité de clients.

C'est un business énorme sur lequel les gangs de rue ont mis la main. Ça veut dire beaucoup, beaucoup de gens prêts à payer pour coucher avec des mineures.

Le mois dernier, la police de Laval a arrêté 10 clients sans trop de difficulté. Je ne minimise pas la qualité de l'enquête ; simplement, ce n'est pas un coup de filet suivant une enquête complexe de deux ans et demi. Il a suffi de placer une annonce sur un site où l'on voit des adolescentes. L'annonce laissait clairement savoir qu'il s'agissait de prostituées mineures. Et hop, les clients sont arrivés en trombe. Le porte-parole de la police de Laval a trouvé « frappant » que la plupart des clients, dont l'âge variait de 37 à 72 ans, n'aient pas eu le moindre antécédent criminel.

Ce n'est pas si étonnant : on n'en arrête pratiquement jamais.

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Les chiffres que révélait ma collègue Katia Gagnon cette semaine au sujet des proxénètes sont ahurissants. En comparaison de l'Ontario, le Québec a accusé 13 fois moins de proxénètes dans les 10 dernières années : 3264 en Ontario contre 253 au Québec.

En ce qui concerne les clients, c'est à peu près la même disproportion. On a accusé... trois personnes à Montréal l'an dernier. Les données ne sont pas totalement fiables, car la Cour municipale de Montréal n'est pas comprise dans ces statistiques et la loi a dû être changée après le jugement de la Cour suprême.

Mais même à la police de Montréal, on ne fournit pas d'explications sur cet écart.

L'explication n'est pas très mystérieuse. C'est une question de ressources.

Ainsi vont les budgets de police, ainsi vont les statistiques. Comme les budgets sont limités, on concentre les ressources sur les priorités. Tantôt, c'est le crime organisé italien, tantôt les motards, tantôt les crimes économiques, tantôt les agressions sexuelles, tantôt le trafic de stupéfiants ou les vols de banque, selon les époques.

La semaine dernière, un officier de la GRC déplorait publiquement l'assèchement des budgets contre la lutte au crime organisé : tout va à la lutte contre le terrorisme, disait-il.

Plusieurs autres escouades se plaignent exactement de la même chose.

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On n'a jamais vu un corps de police déclarer qu'il avait suffisamment d'argent, c'est entendu. Il n'y a pas de limite à la lutte contre le crime.

Dans le cas des fugues des centres jeunesse, un rapport commandé par le gouvernement cet hiver indique une augmentation des cas. Ce n'est pas anecdotique. Il y a un réel état de crise, et des réseaux criminels en profitent.

Les écarts statistiques entre le Québec et l'Ontario ne s'expliquent que par une chose : le sous-investissement dans les enquêtes sur la prostitution juvénile au Québec.

On a beaucoup attaqué les gangs de rue sous l'angle du trafic de drogue et pour des actes de violence. Il y a lieu de mettre l'accent sur la traite des mineures, qui prend des proportions inquiétantes.

Afficher les photos des fugueuses, envoyer les auto-patrouilles à leur recherche, les chercher sur les sites web... Tout ça n'a de sens que si on s'attaque à ceux qui exploitent ces sites-là, à ceux qui vendent les filles, à ceux qui les achètent.