L'histoire se déroule en partie au Congo et en partie dans un congélateur. Jules et Marie, immigrants congolais arrivés au Canada en 2007, sont infertiles. Ils se rendent à la clinique Procrea, qui congèle du sperme de Jules, puis des embryons du couple créés in vitro, en juillet 2011. Seize en tout.

À l'automne 2011, Marie n'est toujours pas enceinte. Jules est au Congo et, selon sa famille, le couple bat de l'aile. Il passe d'ailleurs l'automne dans son pays natal. Pendant son absence, Marie se fait implanter des embryons une première fois, le 8 décembre. Sans succès.

En janvier 2012, Jules est toujours au Congo. Il subit un AVC. Il meurt.

Huit mois plus tard, Marie décide de se faire implanter à nouveau des embryons. Un bébé naît au Québec le 23 mai 2013. Le père est mort 493 jours plus tôt.

Question simple : Jules est-il le père ?

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Bien sûr que oui, dit la mère : c'est son sperme qui a été utilisé. Et il a signé le formulaire de consentement de chez Procrea faisant de Marie la « propriétaire » des embryons en cas de décès.

Bien sûr que non, répond le Directeur de l'état civil du Québec : Jules n'a pas pu signer la Déclaration de naissance, étant mort depuis un an et demi. Qui plus est, au moment de sa mort, l'embryon n'était même pas implanté dans l'utérus de Marie.

La veuve s'est donc présentée en cour pour faire reconnaître Jules comme père. Un juge lui a donné raison.

La décision n'est pas que symbolique. En vertu du droit congolais, semble-t-il, le garçon du couple est un héritier de première catégorie. La mère est héritière de second ordre. Or, Jules a des frères et soeurs au Congo pour qui l'apparition de cet héritier venu du froid change le calcul des portions d'héritage.

La famille de Jules s'adresse donc à la Cour supérieure pour faire « rétracter » le premier jugement en reconnaissance de paternité. Marie, en effet, n'a avisé personne de la famille de Jules ; elle a prétendu que l'héritage était minuscule ; qu'il n'avait qu'un frère (il a quatre soeurs).

Une deuxième juge, Micheline Perrault, est saisie de l'affaire l'an dernier. Elle note les fausses déclarations de Marie. Mais le fait est que l'enfant est bien, biologiquement, celui de Jules. Un test d'ADN le démontre et personne ne le conteste. Et Jules a cédé ces embryons à sa femme en cas de décès... La juge Perrault a donc confirmé la paternité et toutes ses conséquences juridiques.

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Les soeurs et frère de Jules s'adressent maintenant à la Cour d'appel. Dans un mémoire déposé cette semaine, ils plaident que la paternité biologique n'est pas la même chose que la « filiation ».

Autrement dit, l'enfant a beau être né du matériel génétique de Jules, il ne peut pas être son fils juridiquement : il a été « créé », ou disons implanté, huit mois après sa mort. Conclure autrement, ce serait rendre le consentement à la paternité post-mortem illimité...

Vendredi, chez Procrea, un porte-parole me dit qu'une fois le consentement en cas de décès signé, la mère peut attendre un an, deux ans, cinq ans si elle le désire. Légalement, les embryons lui appartiennent.

Dans les circonstances, avec 16 embryons congelés, on peut théoriquement imaginer 16 héritiers potentiels, qui naîtraient au gré des décisions de la mère...

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Le Code civil ne parle pas précisément de ce genre de cas et aucun jugement n'a été rendu avant cette affaire. Il y a tout de même quelque chose de troublant à penser que des enfants puissent être créés en quantité des années après la mort du père... et qu'il soit légalement leur père.

Le Code civil prévoit dans sa langue poétique que « l'apport de forces génétiques » ne peut fonder de lien de filiation. On pense ici à un couple de lesbiennes : le donneur de sperme ne peut pas prétendre être le « père ». Le Code civil prévoit aussi que si un enfant naît par procréation assistée dans les 300 jours suivant la « dissolution » du couple « uni civilement », on présume qu'ils sont les deux parents.

Oui, mais cet enfant est né... 493 jours après la « dissolution » du mariage. Rien précisément ne répond à la question.

Que Marie se fasse implanter « ses » embryons, c'est une chose : ils lui appartiennent. Un peu comme une femme célibataire qui décide de se faire implanter des embryons - ils ne sont pas les enfants du donneur, cependant.

Mais créer à sa guise des fils et des filles à un mort ? Parce qu'il a signé un consentement à la propriété de matériel biologique ? Avec toutes les conséquences juridiques et financières, changeantes, imprévisibles, que tout ça entraînerait ?

La Cour d'appel du Québec devra se prononcer. En ce qui me concerne, je trouve simplement l'idée d'une paternité à retardement, post-mortem, à répétition, pas mal trop chaotique. C'est une chose de contrôler la porte du congélateur, c'en est une autre de fabriquer de la paternité.