À la tribune, le directeur général du marathon de Boston, Thomas Grilk, était de très bonne humeur en cette avant-veille de l'événement, le 16 avril.

Depuis les événements tragiques de 2013, les choses sont revenues presque à la normale au plus vieux marathon du monde. L'organisation contrôle tous les détails, son discours est reçu avec une bienveillance unanime, l'autopromotion et l'autosatisfaction sont ici élevées au rang d'art.

C'était une conférence de presse pour célébrer les six « marathons majeurs », tous plus gros que Boston, mais tous des petits frères (Chicago, New York, Berlin, Tokyo, Londres). Commandités, ne souriez pas, par la société pharmaceutique Abbott.

M. Grilk n'a donc pas aimé que ma première question porte sur le dopage.

- Je vous cite dans le Boston Globe, M. Grilk, après la suspension pour dopage de Rita Jeptoo, championne 2013 et 2014 de Chicago et de Boston : vous prenez très au sérieux le dopage et vous êtes prêt à prendre des sanctions qui vont au-delà de la période de suspension (octobre 2014 à octobre 2016). Et pourtant, dans vos documents, il n'y a même pas d'astérisque à côté de son nom comme détentrice du record du marathon de Boston...

Le directeur, manifestement agacé, a dit que l'affaire est en processus d'appel et qu'on verra après. Un collègue a posé une autre question sur le dopage et M. Grilk commençait à en avoir marre. « Prochaine question sur un autre sujet, S.V.P. ? »

Euh, voulez-vous écrire les questions pour nous ? Le malaise est évident : ce qui, dans le cyclisme, est une vieille histoire frappe l'athlétisme comme un raz-de-marée - et plus seulement les sprinters. Comme si personne ne s'en doutait. Pourtant, ce qui est bon pour un grimpeur au Tour de France est excellent pour un marathonien aussi...

Ça tombait bien, il y avait à la tribune Wesley Korir, champion du marathon de Boston en 2012 (qui allait finir quatrième deux jours plus tard).

« Mon souhait principal pour lundi, c'est que le gagnant soit propre », a-t-il dit.

M. Korir n'est pas seulement un coureur d'élite, c'est aussi le député indépendant de la circonscription de Cherangani au Parlement kényan. Et c'est lui qui a parrainé le projet de loi kényan sur le dopage, qui vient tout juste d'être adopté, et qui criminalise le dopage.

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Depuis les Jeux de Londres, une quarantaine d'athlètes kényans ont été suspendus pour dopage. Un scandale de corruption a impliqué les dirigeants de la fédération kényane, qui ont masqué des tests positifs. La Fédération internationale d'athlétisme menaçait de suspendre le Kenya si des mesures n'étaient pas prises avant le 11 février, afin de satisfaire aux exigences de l'Agence mondiale antidopage (AMA). Le délai a été reporté au 5 avril. Et maintenant au 5 mai. Finalement, vendredi dernier, la loi a été promulguée par le président du Kenya, Uhuru Kenyatta. Elle prévoit une amende de 1000 $ et jusqu'à un an de prison pour un athlète, et 30 000 $ d'amende et trois ans de prison pour un fournisseur.

« J'ai dû expliquer aux politiciens ce que c'est que le dopage. Quand un athlète se dope, il me vole. Il me vole surtout la joie de gagner, qui est plus grande encore que le prix. Cette personne doit aller en prison », a raconté M. Korir

En entrevue après la conférence de presse, Korir a confié recevoir régulièrement des menaces de mort. « Pour des médecins, c'est une business importante. Je me suis fait dire : "On va s'occuper de toi" ; au Kenya, on sait ce que ça veut dire. Rita Jeptoo, je suis son député, c'est une honte pour le pays. »

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Le meilleur marathonien canadien, Reid Coolsaet, passe souvent l'hiver en entraînement au Kenya. Il a raconté ce printemps à Canadian Running avoir été avisé la veille au soir d'un contrôle antidopage pour le lendemain matin. « Au Canada, on frappe à votre porte à 6 h du matin sans avertissement... »

Korir, qui s'est déjà entraîné avec Coolsaet, reconnaît bien cette pratique. Et le fait que le seul labo en Afrique est en Afrique du Sud complique les tests. Mais avec les fonds prévus dans la loi pour les contrôles et le passeport sanguin, le Kenya se mettra à niveau, dit-il.

Aux Jeux de Londres, en 2012, le Kenya a remporté sept médailles d'or, six d'argent et trois de bronze en athlétisme. L'absence des Kényans, en plus de celle possible des Russes, viendrait baisser le niveau considérablement.

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L'enjeu dépasse les Jeux olympiques. Comme dit Korir, les meilleurs marathoniens ne vont pas à Rio. Mieux vaut courir sur le circuit des grands marathons. « Aux Jeux, il n'y a pas de cachet de présence ; ici [Boston], oui. Les bourses sont très élevées dans les grands marathons, aussi. » Les bourses sont de plusieurs centaines de milliers de dollars et les champions féminin et masculin des « majeurs », qui ont accumulé le plus de points (généralement en courant deux des six courses), se partagent 1 million de dollars.

Les enjeux financiers sont donc énormes pour les athlètes professionnels de haut niveau. Mais on a rapporté au cours de l'hiver qu'un circuit de courses secondaires (donc peu surveillé) aux États-Unis était victime d'athlètes kényans B ou C qui allaient empocher des bourses... aidés par un dopage systématique. L'agence américaine est allée y mettre le nez.

Pour l'instant, le Kenya a adopté sa loi et déclaré ses bonnes intentions. Les athlètes auront sans doute leur sauf-conduit. Bien hâte aussi de voir si, à la dernière minute, on maintiendra l'expulsion de la Russie. The show must go on...

Comme dit le coureur-député Korir : « Une loi, un code à eux seuls ne changent rien, il faut les appliquer. »