Projet de loi, poursuites, saisies, menaces, manifs... On ne s'y retrouve plus très bien dans le dossier Uber, et c'est fait exprès.

Je veux dire : ça fait l'affaire des gens de cette multinationale d'entretenir la confusion.

Il y a en effet une sorte de flou dans l'air au sujet du statut juridique d'Uber. Je dis bien dans l'air. Parce que dans la loi, il n'y a aucune ambiguïté : recevoir de l'argent pour transporter des gens, c'est faire du taxi. Et pour faire du taxi, ça prend un permis et plein d'autres choses.

Jean-Nicolas Guillemette, le directeur d'Uber au Québec, torture les mots habilement, mais ça ne transforme pas son service de taxi en covoiturage. D'habitude, quand on fait du covoiturage, on n'est pas débité sur sa carte de crédit par une filiale néerlandaise d'une société américaine...

Les sympathiques fondateurs d'Uber ont en effet échafaudé un système complexe qui passe par les paradis fiscaux. Le fisc québécois est présentement en train d'enquêter sur la société. On se souviendra que Revenu Québec a fait une perquisition au mois de mai dernier dans les locaux montréalais d'Uber Canada. Nos bons covoitureurs ne perçoivent ni TPS, ni TVQ.

Dans cette économie du partage, voyez-vous, on partage, oui, mais entre actionnaires. 

On se fabrique des entourloupettes fiscales pour ne pas payer trop d'impôt. Et le plus beau, on trouve des légions de gogos pour applaudir : oh, Uber, quelle belle affaire ! Vive le progrès !

Les mêmes qui ragent, la main sur le coeur, contre les trucages panaméens et autres saloperies de fiscalistes, bien souvent...

Premier problème, donc : le fisc. On rapportait l'an dernier qu'au moment de la saisie, des données des ordinateurs d'Uber ont été zappées à distance par le bureau central de San Francisco. Ils sont mignons comme tout, vous trouvez pas ?

***

Deuxième problème, le problème de fond en fait : les chauffeurs qui n'ont pas de permis violent la « Loi concernant les services de transport par taxi » (ça manque de poésie, mais c'est clair).

Mais encore faut-il attraper les contrevenants. Le Bureau du taxi de Montréal et la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) à Québec ont saisi des dizaines de véhicules. Ça n'a apparemment aucun effet dissuasif. Voici pourquoi.

Quand il y a saisie, le véhicule est envoyé à la fourrière. Les frais d'entreposage sont à la charge du propriétaire de la voiture. Le chauffeur doit se présenter à la cour pour obtenir son véhicule en échange d'une caution. La caution est de 530 $, soit l'amende minimale prévue à la loi (350 $), plus les frais. Plus l'entreposage.

Uber paie mal ses chauffeurs, mais elle les défend bien. Des avocats des grands cabinets sont dépêchés à la Cour, aux frais d'Uber, pour verser les cautions - aux frais d'Uber aussi. Le temps que le véhicule soit récupéré, Uber loue à ses frais une voiture de remplacement pour le chauffeur saisi. Plus tard, un procès aura lieu, et le juge devra décider si le chauffeur a fait du taxi illégalement. Si oui, la caution servira d'amende ; sinon, il sera remboursé.

C'est-tu du partage ou c'en est pas, ça, mesdames et messieurs ? Moi, j'appelle ça du dumping juridique, mais j'ai mes préjugés, j'avoue.

Toujours est-il que... Il y a trois semaines, c'était au juge Pierre A. Gagnon, de la Cour du Québec, d'entendre une de ces causes de saisie avec offre de caution. Toujours la même maudite affaire, un truc routinier. Caution, remise du véhicule, la cause est reportée, etc.

Mais attendez donc une minute, a dit le juge Gagnon. Le dossier du même chauffeur était devant moi pas plus tard qu'il y a deux semaines... Et d'éplucher les autres dossiers du jour pour constater que deux chauffeurs en étaient à leur troisième saisie, un à cinq et un autre à six ! Et pourquoi pas ? C'est Uber qui ramasse la facture !

Le juge Gagnon a donc décidé de faire le tour de la question juridique. « On ne s'improvise pas chauffeur de taxi », a-t-il dit après un survol des lois. Le législateur a clairement manifesté la volonté « de ne permettre aucun transport rémunéré de personnes au Québec qui ne rencontre pas les exigences de sécurité prévues par la loi ». Les chauffeurs ne sont pas encore déclarés coupables, mais je ne parierais pas trop sur un acquittement.

En attendant, le juge a haussé le montant de la caution jusqu'à 1595 $ dans un cas.

***

Malgré ce signal clair, il n'y a encore aucun jugement au Québec déclarant l'évidence, c'est-à-dire qu'Uber agit hors la loi. La Cour supérieure doit entendre cet été une demande des chauffeurs de taxi pour faire rayer l'application Uber de la carte au Québec. Un autre juge doit se prononcer sur la légalité des saisies de Revenu Québec. Et les saisies de voitures se poursuivent...

Des villes canadiennes ont décidé de faire des ententes avec Uber, plutôt que de poursuivre un combat juridique interminable et ruineux. Au Québec, on ne sait pas encore quel genre d'arrangement nous concocte le ministre des Transports pour « encadrer Uber ».

En attendant, ça ne veut pas dire qu'il y a un vide juridique ou une confusion. Ça veut simplement dire qu'Uber est prêt à mettre des millions dans cette guerre d'usure. Et que le gouvernement ne semble pas penser la gagner, ou ne veut pas y mettre les ressources.

Mais la seule confusion, elle est dans le langage. Transporter quelqu'un sans permis contre de l'argent, c'est pas permis, c'est très, très clair.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Des chauffeurs de taxi manifestent contre le gouvernement Couillard, qu’ils accusent de plier l’échine devant la multinationale Uber, dont les chauffeurs transportent des clients sans permis de taxi.