Tout le monde cherche une solution pour aider le Canadien. Arrêtez-moi ces folies. Il n'y a plus rien à faire. En fait, oui, il y a une chose à faire : se débarrasser de tout espoir au plus vite.

Essayez, vous verrez, ça libère.

Annulez vos échanges à cinq clubs et tous ces congédiements intempestifs que vous fomentez.

On n'en est plus là du tout. On est au-delà des réformes. L'avion a pété en plein ciel, très, très haut. Quand bien même vous congédieriez le pilote et échangeriez le troisième agent de bord, il continuera de descendre en vrille avec de la fumée pour tout panache.

Et comme personne n'en mourra, profitons-en.

Il faut apprendre à jouir du spectacle fascinant de l'échec, mesdames et messieurs. Un aussi splendide échec, c'est comme une éclipse solaire, tu vois pas ça souvent dans une vie.

On dira que je ne suis pas un vrai partisan, et c'est sans doute vrai. Toujours est-il qu'il vient un moment dans ce genre de saison où je suis affranchi de cet optimisme couillon qui saoule l'amateur de hockey et le rend semblable à Donald Trump. Ce qui devient intéressant à partir de maintenant, ce n'est pas : on va-tu gagner ? C'est la manière de perdre.

Je me cale dans un fauteuil, la main sur la bouche, et je murmure intérieurement « hoooon ! ».

À partir de ce moment de non-retour, quand c'est vraiment foutu, je ne suis pas fier de ça, croyez-moi, ça ne se dit presque pas... mais il y a un plaisir sadique qui remonte à la surface.

Comment et jusqu'où les choses iront-elles mal ?

On parle trop des joies de la victoire et pas assez de la jubilation de l'échec. L'échec est aussi enivrant que la victoire, quand on sait l'apprécier.

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Ça fait du bien que ça aille vraiment mal de temps en temps. Ça agit comme une purge sociale. Je veux dire : mal pour « eux ». Tout d'un coup, vous aurez remarqué, ce n'est plus « nous ». C'est eux, le problème. Nous, on n'a rien à voir là-dedans. Nous, on gagnait tout le temps, au mois d'octobre. Mais eux ! Ils n'arrêtent pas de perdre !

La preuve qu'ils ne sont plus nous : on veut tous les foutre dehors, les punir ou les réformer.

Pour vivre cette libération, par contre, il faut que les choses aillent extraordinairement mal. Dans l'entre-deux de la médiocrité, l'amateur est comme englué. Gagne un peu, perd un peu... Toujours cette tension, ce maudit espoir, le fan est comme coincé, il n'a nulle porte pour fuir l'aréna.

Quand l'équipe atteint les bas-fonds, au contraire, l'amateur n'a plus aucun scrupule. Il est dédouané. Il peut déchaîner son mépris et sa haine, ranger son fanion et reprendre part à la vie démocratique. (Je m'en voudrais d'ailleurs de ne pas rappeler aux gens de Saint-Ligori que la prochaine séance du conseil municipal a lieu lundi.)

« I'm good at love, I'm good at hate, it's in between I freeze... » C'est Cohen qui chantait ça, non ?

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Des sociologues nous disent que le sport unit la cité, riches et pauvres, Anglais et Français, catholiques, protestants, Juifs, Arabes, sikhs... Tous derrière le même club. Et on a l'image de cette foule bigarrée en liesse qui crie sa joie après la Coupe...

On oublie de dire que la défaite aussi cimente la société. Tous, d'où qu'ils viennent, veulent garrocher les mêmes tomates dans la même direction. Tous ensemble dans la défaite !

Pas la défaite à la petite semaine. Pas la défaite-déception qui vous donne le goût de vous refaire. Non, la défaite terminale, bien juteuse, historique. La retraite de Russie, les chevaux gelés dur qu'on mange dans la tempête...

A-t-on jamais vécu pareil désastre dans l'histoire de notre club chéri ?

On interroge les vieux, on fouille dans les archives, on trouve la fois où le gardien Georges Vézina avait eu la tuberculose...

Et une seule conclusion s'impose : ce club n'avait jamais été aussi magnifiquement perdant. On n'a jamais vu ça. Surtout pas après avoir été aussi incroyablement « les meilleurs »... C'est pire que la tuberculose ! C'est quoi, alors, la peste bubonique du mollet ? Le choléra du genou ?

Il faut donc savourer secrètement cet instant magique. Profitons-en : l'an prochain déjà, ce foutu espoir renaîtra et nous aspirera. Là, tout de suite, il y a un suspense sublime dans l'air. Le drame est là qui n'attend que le moment d'éclater... Qui va rester, qui va partir, qui va dire quoi... ? Les couteaux partout...

C'est aussi à ça que sert le sport : décharger dans un sujet sans conséquence toutes ses déceptions. Ne nous en privons pas. Pratiquons le défaitisme jubilatoire.