Le second procès de Guy Turcotte a donné lieu à un autre festival d'experts encore plus troublant (j'allais dire fou) que le premier.

Je veux bien croire que la psychiatrie soit une science inexacte, mais comment peut-on arriver à des conclusions aussi radicalement opposées... à partir du même diagnostic ?

Tous les psychiatres entendus ont conclu que Turcotte avait souffert d'un « trouble d'adaptation ». Ceux de la défense disent que c'était suffisant pour lui faire perdre la capacité de raisonner et lui faire tuer ses enfants sans savoir que c'était « mal ».

Ceux de la poursuite nous disent que c'est une pathologie psychiatrique mineure, passagère, qui ne fait pas perdre le contact avec la réalité. C'est le « rhume de la psychiatrie », a dit superbement le professeur Pierre Bleau.

Ma foi, ce diagnostic est-il si flou qu'il peut vous mener au meurtre ou à faire un voyage au Mexique pour vous remonter le moral ?

Je veux dire : il n'y a pas désaccord sur la maladie. On n'a pas un psy qui parle de délire profond et l'autre de vague à l'âme. On a des gens qui s'entendent sur le trouble du patient.

Dans une lettre ouverte publiée il y a deux semaines, la Dre Marie-Ève Cotton, prof de psychiatrie, en appelait au Collège des médecins, se disant carrément gênée par ce charriage scientifique : 

« [...] rien dans ce diagnostic ne peut conduire à une altération du jugement au point de ne plus distinguer le bien du mal. Rien. Alors, pour un psychiatre, il est inquiétant qu'un tel raisonnement puisse constituer la défense de non-responsabilité criminelle dans un cas de double infanticide particulièrement violent. Parmi les collègues avec qui j'ai pu en discuter, tous critiquent là le manque flagrant de rigueur scientifique. »

Merci, docteure... Mais on dirait bien qu'on peut dire toutes sortes de choses à la cour sans conséquence...

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Il est intéressant de noter comment a évolué l'opinion de la psychiatre Dominique Bourget d'un procès à l'autre. Un point majeur de son expertise de 2011 était l'intoxication au liquide lave-glace (méthanol), qui s'ajoutait au trouble d'adaptation.

« La nature même des gestes reprochés, considérant la désorganisation du comportement, la violence exprimée, et la mémoire partielle des événements, supporte un état d'intoxication », écrivait-elle en 2011. Plus : « il est clair que même à elle seule, l'intoxication au méthanol est susceptible de causer la perturbation du jugement et une altération de la conscience ».

Vraiment ?

Bref, si Turcotte ne savait pas ce qu'il faisait, c'était dû à l'addition du trouble, plus la pulsion suicidaire et l'intoxication.

Malheureusement, la Cour d'appel est venue dire qu'en cas d'intoxication volontaire qui vous fait perdre la carte, on ne peut pas plaider la folie. Il semble en plus que si le méthanol est dangereux, il « soûle » très peu. 

Oups. Le ballon du méthanol a été pour ainsi dire pété par la science...

Nous voici donc en 2015. Dans son nouveau rapport, la Dre Bourget écrit qu'elle « maintient » le premier rapport. Mais elle le résume en ne parlant plus des effets du méthanol sur son état de conscience - seulement comme d'un outil pour se suicider.

Est-ce un cas d'évaporation scientifique ?

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Que dire du Dr Louis Morissette, autre psychiatre de la défense, qui a détruit toutes ses notes dans le dossier Turcotte ? C'est que, voyez-vous, il agissait comme expert, et non comme médecin traitant - auquel cas il aurait gardé le dossier de Turcotte, a-t-il dit. Il détruit toutes ses notes comme expert.

Le Code de déontologie ne prévoit pourtant pas deux sortes de médecins. Tous sont tenus de conserver leurs notes dans le dossier pendant cinq ans.

Quand, au surplus, on agit comme futur témoin-expert, comment justifier qu'on se débarrasse de son dossier ? Un policier qui aurait détruit ses notes se ferait sermonner salement.

Le Dr Morissette, en outre, a dévoilé à la cour qu'il avait retrouvé une facturation laissant croire qu'il avait été un temps médecin traitant de Guy Turcotte. Or, un médecin traitant ne peut pas agir comme expert dans le dossier de son patient. Une bête erreur de facturation, a-t-il dit à la cour : il entend rembourser les honoraires perçus comme médecin traitant.

Dans son rapport, il dit que Turcotte n'a pas tué ses enfants parce qu'il avait bu du méthanol. Mais dans une entrevue à Dutrizac en janvier, il mettait le méthanol au rang des trois causes. C'est « marginal », dit-il maintenant.

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Tout ceci est assez soûlant, non ?

Pauvre jury...

En attendant le prochain congrès des psychiatres, il me semble aussi que le Collège des médecins devrait se pencher sur l'élasticité des opinions scientifiques de ses membres z'experts.

Le débat déborde largement le corps médical, on peut dire qu'il infecte tout le système judiciaire.