Depuis lundi soir, un Français de 33 ans est détenu en attendant d'être retourné dans son pays. On lui reproche d'avoir par le passé été associé à un groupe terroriste.

L'absurde de l'affaire, c'est que Mourad Benchellali est devenu célèbre en France... en tant que champion de l'antiradicalisation.

Et s'il venait au Canada, c'était précisément pour participer à des conférences, des réunions, rencontrer des jeunes, en plus de participer à un documentaire pour CBC, A Jihadi in the Family.

Benchellali avait été invité en juin à Montréal pour des événements semblables, mais Air Canada l'avait empêché de monter à bord de l'avion. On prétextait que l'avion devait survoler l'espace aérien américain et qu'il était sur la liste d'interdiction de vol américaine.

Cette fois-ci, la productrice du documentaire, Eileen Thalenberg, avait pris toutes les précautions. Elle avait eu des contacts avec des responsables de haut niveau à la GRC à Ottawa et à Montréal. On lui avait assuré qu'il n'y avait aucun obstacle de sécurité à son entrée en territoire canadien.

Benchellali est passé par l'Islande. L'avion d'Icelandair s'est posé à 18 h lundi. Benchellali a aussitôt été intercepté par les services frontaliers. Il est détenu pour 48 heures avant d'être expulsé, sauf décision judiciaire contraire. Le fonctionnaire a le pouvoir de déterminer si une personne est un danger pour la sécurité nationale.

Or il se trouve que Benchellali a été condamné, en 2004, à un an de prison pour association avec un groupe terroriste, et pas n'importe lequel : Al-Qaïda.

***

L'histoire de Benchellali, que j'ai interviewé l'hiver dernier, est à la fois troublante et exemplaire.

On est en juin 2001. Il a 18 ans, est vaguement désoeuvré. Il habite en banlieue de Lyon. Son père est un imam radical. Son frère de 27 ans le convainc de se rendre en Afghanistan. Il se retrouve dans un camp d'entraînement terroriste d'Al-Qaïda. Il verra même Oussama Ben Laden - on est avant le 11-Septembre. Il est soumis à des prêches quotidiens. Il est question d'attentats suicides et de martyrs.

Selon sa version, il n'est pas du tout intéressé et quitte le camp après deux mois. Mais survient le 11-Septembre. Le pays est bouclé. Il est arrêté, non armé, et remis aux Américains. Puis envoyé à Guantánamo. Il en ressort 30 mois plus tard sans procès. En France, en 2004, on le condamne pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Aucun complot, aucune action particulière ne lui sont reprochés.

Ses parents ont été déportés en Algérie. Il n'a plus de contacts avec son frère. Il travaille dans la construction.

Le reste du temps, il raconte son histoire à qui veut l'entendre. Dans un livre - Voyage vers l'enfer. Dans des écoles. Des clubs sportifs.

Et justement, de plus en plus de gens en Europe veulent l'entendre. Sa voix porte auprès des jeunes musulmans des banlieues, il en est issu.

***

A-t-il donné un visage naïf à son aventure ? C'est possible. Mais les policiers français le croient sincère. Et son message est fort. Plus que ceux des experts, des politiciens ou des policiers qui tentent d'empêcher la radicalisation.

Ce qu'il leur dit ?

« Moi, je ne voulais pas devenir un terroriste, mais j'avais le sentiment de ne pas avoir ma place dans la société, m'a-t-il dit en janvier. Les groupes politisés extrémistes instrumentalisent cette sensibilité, ce ressentiment de la jeunesse musulmane. Ils embrigadent les jeunes en leur faisant miroiter une mission humanitaire, un combat juste, ils leur disent de venir aider les musulmans en Syrie ou en Irak. C'est comme ça qu'ils les attirent. Mais sur place, c'est l'enfer, la guerre, la violence, la mort... »

Il ne fait pas la morale. Il raconte son histoire. Lui a vu les camps, la guerre, les idéologues du djihad. C'est un des rares qui en témoignent de première main.

Son message est donc précieux, au moment où toutes les polices en Occident se demandent comment prévenir et endiguer la radicalisation.

Mais nos douaniers le foutent en prison et le retournent chez lui...

« Très peu de gens parlent, même les parents ont peur de dire que leur enfant est parti en Syrie, il y a une crainte d'être stigmatisé, il y a un silence incroyable, c'est pour ça que je suis révoltée », dit Eileen Thalenberg, qui a rencontré plusieurs parents.

Malgré l'accord de la GRC, nos services frontaliers ont décidé d'ajouter à ce silence. C'est radicalement bête.