Ce que le rapport indépendant sur la mort de Nicholas Thorne-Bélance vient de faire, c'est simplement de replacer le policier au rang des citoyens ordinaires devant la justice.

On n'en demande pas vraiment plus. Pas une condamnation anticipée. Juste un processus normal. Banal. Tristement banal.

Je ne referai pas ma chronique de l'automne dernier, mais en quelques minutes, on peut retracer des dizaines d'affaires de conduite dangereuse causant la mort de partout au Canada. Elles nous enseignent assez clairement que si vous roulez à 122 km/h dans une zone de 50 un matin vers 8h, que vous causez un accident et qu'un enfant meurt, vous allez être accusé de conduite dangereuse.

Pas forcément condamné, c'est vrai. Il n'y a rien d'automatique là-dedans. Il faut voir «toutes les circonstances»: trafic, conditions routières, raisons de la vitesse, expérience du chauffeur, etc.

Pas forcément condamné. Mais presque certainement accusé.

Sauf, jusqu'à mardi, si vous étiez le policier Patrick Ouellet, de la Sûreté du Québec. Pas parce que la police de Montréal avait mal fait son travail: le rapport laissait place à une accusation; les expertises policières étaient clairement favorables à la thèse de l'accusation.

Ce sont les procureurs qui ont décidé de ne pas porter d'accusation.

Le porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a bien tenté l'automne dernier de nous expliquer que le père de l'enfant avait fait une manoeuvre dangereuse en tournant au feu vert et que l'acquittement était presque certain. La preuve d'expert, pourtant, pointe le grand excès de vitesse - si le policier n'avait roulé qu'à 70 km/h, il n'y aurait pas eu d'accident.

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Bref, ce n'est pas un cas de «policiers qui protègent des policiers». C'est un cas de procureurs qui se transforment en juges. Autrement dit, ils font le procès à l'avance et acquittent le policier.

Bien sûr, un procureur a une discrétion. Ce n'est pas un robot. Mais s'il voit une perspective raisonnable de condamnation, il porte normalement une accusation.

Ce que le résultat de l'enquête indépendante nous dit (même s'il n'est pas public), c'est que le travail des procureurs a été fait trop mollement - ou avec trop de scrupules envers le suspect.

Rappelons que ce comité a remis un rapport unanime. Il n'était pas composé de militants antipolice, mais de juristes respectés d'horizons très divers. L'ancien juge de la Cour d'appel Pierre Dalphond, tout ce qu'il y a de plus centriste; l'avocate de la défense Lucie Joncas et le procureur Guy Loisel. Pas des gens non plus qui étaient là pour faire plaisir au public. S'ils sont arrivés à cette conclusion, c'est qu'elle s'imposait juridiquement. Clairement.

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Cette révision est sans précédent. Elle n'aurait jamais eu lieu si La Presse n'avait pas révélé que la voiture impliquée dans ce malheureux accident mortel en février 2014 était une voiture de police. Et dans quelles circonstances l'accident a eu lieu.

Est-ce normal qu'il ait fallu un média pour le révéler? Évidemment non. C'est justement parce que le public ne tolère plus cette opacité dans les enquêtes de police sur la police que le gouvernement s'est senti obligé de former ce comité.

Ce qu'il faut pour l'avenir, c'est non seulement un système d'enquête sur la police rigoureux, transparent et crédible. C'est une obligation de divulgation. Divulgation de l'enquête. Mais surtout des raisons pour lesquelles il n'y a pas d'accusation quand la police cause la mort ou des blessures graves à un citoyen.

Un système parfait n'est pas un système où les policiers sont systématiquement accusés. C'est un système qui est capable de nous convaincre que quand ils ne le sont pas, c'est pour de très bonnes raisons.

C'est ce que notre système avait encore raté dans le cas de la mort de cet enfant. C'est ce qui vient d'être corrigé. Et c'est ce qu'on devrait réparer pour la suite, et sans délai.