Pour combattre le terrorisme, faut-il vraiment donner autant de nouveaux pouvoirs à la police et, surtout, aux services de renseignement?

Les arrestations qui se multiplient pourraient nous le faire croire.

Il me semble au contraire qu'elles indiquent que les policiers ont déjà toute une panoplie de moyens juridiques à leur disposition. Et qu'on s'apprête à donner d'énormes pouvoirs aux services de sécurité sans la moindre surveillance sérieuse.

Posons la question autrement: quel acte terroriste, ou quel complot les lois actuelles nous ont-elles empêchés de détecter? Est-ce qu'avec le projet de loi C-51 des conservateurs, on aurait pu empêcher l'attentat d'Ottawa, ou celui de Saint-Jean-sur-Richelieu?

La loi doit s'adapter aux nouvelles menaces. Mais une nouvelle menace ne nous oblige pas pour autant à livrer une cargaison de nouveaux pouvoirs aux agents de l'État.

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Depuis un mois, quatre jeunes Montréalais soupçonnés de terrorisme ont été arrêtés préventivement.

Deux ont été emmenés devant le juge et soumis à diverses conditions, incluant un bracelet de surveillance GPS. Ils ne sont pourtant accusés d'aucun acte terroriste précis en ce moment.

Deux autres, ce jeune couple qui voulait apparemment partir en Syrie, sont détenus depuis une semaine. Ils sont maintenant accusés d'avoir planifié un attentat, mais le complot semble très préliminaire. Et au jour de leur arrestation, il s'agissait d'une arrestation purement préventive.

Pour la première fois, les policiers ont utilisé un article introduit dans le Code criminel après les attentats du 11 septembre 2001, qui permet l'arrestation préventive de gens au sujet desquels on a des motifs de croire qu'ils se livreront à une activité terroriste. On ignore quand, avec qui, où; mais certains faits donnent des motifs raisonnables de craindre qu'ils ne passent à l'acte. On leur impose des conditions comme on le fait parfois pour un conjoint violent ou une personne menaçante qui ne sont pas encore passés à l'acte.

Cette disposition existait l'automne dernier, mais n'a pas été utilisée contre Martin Couture-Rouleau ni Michael Zehaf Bibeau, deux individus pourtant fichés par le Service canadien du renseignement de sécurité.

Manquait-il de preuve contre eux? Il y en avait assez pour les empêcher de partir en Syrie, à tout le moins.

J'ai plutôt l'impression que la barrière psychologique n'avait pas été franchie et qu'on interprétait de manière très restrictive la notion de «motifs raisonnables».

Le projet de loi C-51 prévoit pourtant qu'on abaisse le critère d'application de ces arrestations préventives. Il suffirait d'un «soupçon raisonnable», au lieu d'un «motif raisonnable». Pas certain que cette subtilité juridique soit nécessaire du tout.

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Les arrestations des dernières semaines et les départs à l'étranger de jeunes Montréalais radicalisés nous le montrent assez clairement: il existe une menace d'un nouveau type.

J'attends toutefois du gouvernement un seul exemple concret qui justifie C-51, hormis la peur.

C'est le travail d'enquête des policiers, l'investissement dans les enquêtes, la vigilance des proches et la prévention qui sont la clé dans la lutte contre le terrorisme. C'est ainsi qu'on a déjoué le complot des «18 de Toronto», c'est ainsi qu'on a procédé aux récentes arrestations.

Criminaliser la «propagande terroriste», un concept vague à souhait, ne fera rien pour la sécurité publique. Est-ce que ça inclut les textes qui soutiennent intellectuellement les luttes armées dans le monde? Il n'en manque pas...

Donner aux agents du SCRS des pouvoirs de «perturbation», pour faire dérailler un complot, c'est s'engager sur une voie dangereuse.

On se retrouvera dans un modèle où les tribunaux devront avaliser des activités illégales au nom de la sécurité publique, ce qui promet de joyeux dérapages non contrôlés, si on se fie à l'histoire des services secrets ici comme ailleurs.

Quant à la collecte de données et aux autres pouvoirs donnés à l'État, si jamais cela était nécessaire, pourquoi le gouvernement refuse-t-il obstinément toute mesure de contrepoids? Les conservateurs ne veulent ni la formation de comités de surveillance, ni le financement sérieux d'organismes qui existent déjà, ni même une disposition crépusculaire (pour forcer à revoter un article controversé après cinq ans, afin de s'assurer qu'on en examine les effets et l'utilité). Le gouvernement réplique que les tribunaux sont là pour surveiller. Mais on voit mal comment les tribunaux peuvent surveiller des activités secrètes.

Les conservateurs sont devenus des spécialistes en la matière: vous êtes sympathiques aux criminels ou aux victimes; vous êtes pour la sécurité ou pour les droits des terroristes.

Il s'agit, au contraire, de faire vivre ensemble sécurité publique et libertés publiques.

Évidemment, ça manque de simplicité, ça se vend moins bien en campagne électorale. Tellement que les libéraux de Justin Trudeau dénoncent les abus de cette loi... Mais sont incapables politiquement de voter contre. Le NPD le fera à ses risques et périls politiques, ce qui est tout de même la seule chose cohérente à faire si on s'oppose à son contenu.

On aura compris que ce projet de loi a de moins en moins de lien avec la sécurité, et de plus en plus avec le positionnement politique.