Quand on demande un délai pour remettre son devoir, il est préférable de ne pas le faire la veille de l'échéance.

Sinon, ça fait un peu désordre. Ça sent le prétexte et les excuses.

Or, pour la commission Charbonneau, c'est un peu la veille du jour J.

Le dernier témoin «factuel» a été entendu le 11 septembre. Après, on a eu droit à quelques experts. La suite est déjà scriptée. On envoie un préavis à tout acteur pouvant être l'objet d'un blâme; ceux-ci ont le droit de s'expliquer, de produire leur preuve, etc. Mais pas de rouvrir toute la Commission. Et puis, on a pu les identifier depuis un bail, tout de même. Pas très difficile de deviner qui allait en recevoir.

Si, devant l'ampleur incommensurable de la tâche, la Commission voulait un délai supplémentaire, elle devait le savoir l'automne dernier. Nous voici à moins de trois mois de l'échéance et la Commission demande non pas trois, mais sept mois de plus. Qui s'ajoutent aux 18 mois consentis en mars 2013.

Rappelons que la Commission a été créée par le gouvernement Charest sous la pression de l'opinion publique en novembre 2011. Les premiers témoins ont été entendus l'année suivante.

Ça fait beaucoup de temps, mais il est vrai que le mandat était gigantesque et se frottait aux travaux de l'Unité permanente anticorruption (UPAC).

Mais voir arriver la demande de prolongation de sept mois à la fin du mois de janvier est inquiétant. Cela nous laisse supposer une commission un peu dépassée par la tâche.

On ne peut pas s'empêcher de penser qu'elle a perdu son procureur-chef dès le début, puis ses avocats les plus expérimentés. L'expertise en matière de commission d'enquête - une bête très particulière - s'est en quelque sorte dissoute. Et le leadership s'en est clairement ressenti.

C'est un défenseur de la Commission qui vous le dit ici: on a senti des passages à vide après des moments forts. L'impression qu'on faisait du remplissage en attendant le prochain témoin majeur, qu'on s'éparpillait un peu. Les chemins tracés qui ne menaient nulle part. Les témoins douteux non testés. Autant d'indices d'un manque de direction.

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Faut-il donc refuser la demande de la Commission?

Évidemment non. D'abord, sur le fond, il serait assez stupide de forcer la Commission à accoucher d'un document insatisfaisant après avoir dépensé 30 millions de dollars. Il faut une conclusion, et une conclusion bien faite.

On entend beaucoup dire qu'on «n'apprendra rien de nouveau» dans le rapport, que tout le monde est «passé à autre chose» et que les futures recommandations sont de toute manière déjà appliquées.

Ce n'est pas exact. Même en suivant les travaux de la Commission de près, on demeure collé sur les arbres. On a besoin d'un portrait de la forêt. Le rapport factuel permettra de faire des liens et d'évaluer la preuve avec un éclairage que seule l'analyse permet.

Quant aux recommandations, on ne peut pas dire d'avance que tout est «réglé». Un homme comme Renaud Lachance, qui a épluché les livres des ministères depuis des années, est sûrement capable de contribuer à des réformes originales et pratiques.

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Sur la forme, ensuite, c'est-à-dire les apparences politiques, le gouvernement libéral est très mal placé pour paraître «limiter» la Commission. Même si les coûts sont élevés. Même si on peut en critiquer le fonctionnement. Le gouvernement Couillard doit montrer qu'il respecte l'indépendance de la Commission.

Respecter l'indépendance d'une commission ne signifie pas pour autant lui dire oui sans réserve. Les commissions finissent par avoir leur vie propre et la tentation de croître indéfiniment.

Le gouvernement de Jean Chrétien a créé un traumatisme en 1997 en mettant fin carrément à la commission d'enquête sur les agissements de l'armée canadienne en Somalie et en la forçant à remettre son rapport avant d'avoir interrogé tous ses témoins - dont des hauts dirigeants. Trop long, trop cher.

Une décision brutale, critiquée violemment à l'époque, mais qui a eu le mérite d'envoyer un message à toutes les commissions futures: les commissions doivent respecter leur agenda et leur budget. Elles doivent être exemplaires. Les prolongations ne sont pas automatiques. Il faut des motifs administratifs majeurs pour demander une deuxième prolongation. Quels sont-ils?

La commission Charbonneau est déjà la plus longue de l'histoire du Québec. C'est correct: le sujet était historique, le ménage à faire aussi.

Peut-on se permettre de prendre le risque d'un rapport médiocre?

Après tout ça, on se doit collectivement une conclusion à la hauteur du mandat. On n'a pas vraiment le choix.