Ah, les enfants, quel joli sport que la boxe!

Les gens qui ne s'y connaissent pas pensent que cela consiste à envoyer deux personnes se donner des coups jusqu'à ce que l'une des deux s'écroule sous les effets d'une commotion cérébrale.

Faux! Archifaux!

Pour peu qu'un match de boxe soit bien organisé, la boxe consiste à envoyer une personne se faire enfoncer le lobe frontal.

Ainsi, samedi, une des vedettes locales, Jean Pascal, a assommé son adversaire au deuxième round. Comme son coup est parti pendant un arrêt de l'arbitre, le match est annulé. Il était certain de gagner, le pauvre n'a pas pu se retenir, le coup est parti trop vite.

Car à la boxe, même à la radio, on voit tout de suite qui va gagner. Une des choses les plus drôles à écouter dans le monde du sport, d'ailleurs, est une analyse d'avant-match de boxe. On s'emploie à convaincre l'auditeur-spectateur-client qu'il subsiste un suspense. Parfois, un analyste s'échappe et dit des choses comme: «Il ne suffit pas qu'il gagne; Jean Pascal a besoin d'un knock-out!»

On sait qui va gagner, car à la boxe, voyez-vous, on peut choisir son adversaire. C'est ainsi qu'on monte un champion régional, puis national, puis plus ou moins mondial et plus ou moins bidon.

Songez qu'il y a quatre associations internationales de boxe. Alors on a le choix! Dans plusieurs catégories, il y a deux, trois ou quatre «champions du monde».

C'est le côté socialiste du sport: on redistribue les championnats au plus grand nombre.

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Quoi, me direz-vous, la boxe serait donc... arrangée? Bien sûr qu'elle l'est! Attention! La boxe n'est pas «arrangée» dans le sens de «croche». Je ne parle pas des antiques méthodes mafieuses. Non, non. Rien à voir avec ces misérables tricheries qui infectent le football européen, où des joueurs sont soudoyés. La boxe est ouvertement et honnêtement arrangée!

Tout l'art de l'arrangement à la boxe consiste à bien choisir ce qu'on appelle «un jambon». Celui-là est désigné pour faire bien paraître le champion.

Il existe une très grande variété de jambons sur le marché. Le public consommateur étant maintenant éduqué et très exigeant, il convient de bien l'emballer.

«Le jambon ordinaire, découenné ou non, de fabrication industrielle, préparé avec une saumure additionnée de polyphosphates qui lui donnent souvent une apparence humide, est parfois vendu prétranché en sachets; il est souvent de qualité médiocre, même accompagné de la mention «premier choix»», nous prévient d'ailleurs le Larousse gastronomique.

Une fois champion avec ceinture et tout, il faudra au boxeur sacrifier à un combat vraiment risqué où l'on ne sait plus qui est le jambon et qui est le cuisinier. Mais autrement, c'est tout fumé, y a qu'à ajouter les tranches d'ananas.

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À Montréal, pour remonter le moral de Lucian Bute, on avait trouvé un adversaire argentin pour lui faire face, Roberto Bolonti. Jean Pascal devait lui aussi se battre le même soir. Cela ferait un gros gala de boxe locale.

Pas de chance, Bute s'est blessé. Pendant ce temps, l'adversaire prévu pour Jean Pascal s'est désisté. Pas de problème! On a transbahuté Bolonti dans le combat de Pascal.

Le pauvre Bolonti est sorti sur une civière vers minuit. Des spectateurs huaient avec raison. Normalement, quand l'artiste est malade, on annule.

Certains prétendent que Bolonti faisait «semblant». D'autres, plus compatissants, s'inquiétaient de son état de santé.

Arrêtez-moi ça: Bolonti était là pour perdre, seul lui l'ignorait, il a juste mal perdu. Il était là pour se faire évanouir, pour ainsi dire. Il est juste tombé au mauvais moment, le bougre.

D'où la question: est-ce qu'une commotion cérébrale qui résulte d'un coup illégal est plus grave qu'une commotion cérébrale qui résulte d'un uppercut? Faudrait demander aux neurones.

Autre question franchement plate: peut-on s'émouvoir le lundi des commotions cérébrales au football et au hockey, dénoncer les ligues professionnelles qui ne protègent pas les athlètes... et applaudir à un knock-out le samedi?

On dirait que oui!

Faut-il continuer à «construire» des athlètes de très haut niveau, comme le sont assurément les boxeurs, dans le but ultime de leur faire détruire leur cerveau? Le K.-O., n'est-ce pas en effet l'aboutissement athlétique le plus exquis du combat de boxe? Le tour du chapeau, le grand chelem?

«Oh oui, oh oui, on en veut du jambon et des commotions!», répondent par milliers les amateurs de sport. Et ils paient!

C'est si joli, la boxe! Et ça forme la jeunesse!