Le problème n'est pas la juge. C'est la manière de la trouver.

On ne trouvera pas beaucoup de membres du Barreau mieux qualifiés que Suzanne Côté pour occuper un poste à la Cour suprême.

L'avocate est sur toutes les courtes listes des meilleurs de la profession. Elle a plaidé devant toutes les cours, représenté toutes sortes de clients - enfin des clients ayant les moyens de s'offrir les services aux coûts faramineux d'un grand bureau du centre-ville.

Certains critiquent son style «agressif», dont on a eu un échantillon pendant la commission Bastarache, où elle a pu interroger Marc Bellemare au nom du gouvernement. Mais c'est un trait assez répandu dans le milieu et quand il s'agit d'un homme, on se contente de louer sa «pugnacité».

Ce n'est pas la première fois qu'un membre du Barreau est nommé directement à la Cour suprême. Règle générale, toutefois, les candidats sont choisis parmi les juges des cours d'appel des provinces. Pour la très simple raison qu'on est censé y retrouver la crème de la magistrature et que les juges ont déjà acquis une expérience d'appel. On les a «testés». Choisir quelqu'un n'ayant jamais rédigé un jugement est toujours risqué. Tous les juristes du Québec nommés à la Cour suprême depuis 35 ans étaient issus de la magistrature.

On cite souvent les cas des avocats torontois John Sopinka et Ian Binnie, qui ont fait de grands juges à la Cour suprême. Mais les cas de Louis-Philippe de Grandpré et Yves Pratte, qui ont démissionné respectivement après trois et deux ans, montrent que les meilleurs avocats n'arrivent pas toujours à s'adapter à la vie semi-monastique de la Cour suprême.

Suites de l'affaire Nadon

Le premier ministre n'a pas trouvé de candidate à la Cour d'appel, pas même celle qui est désignée depuis plusieurs années: Marie-France Bich. Ancienne prof de droit à l'Université de Montréal, c'est une des meilleures juristes de la Cour. Le monde universitaire est particulièrement déçu qu'on ait ignoré une candidate taillée sur mesure pour ce travail.

Son nom était sur la liste de trois noms fournis au premier ministre par le comité de députés qui devait trouver un remplaçant au juge Morris Fish en 2013, a révélé le Globe and Mail.

Les deux autres noms étaient ceux de juges de la Cour fédérale: Marc Nadon et Johanne Trudel.

On connaît la suite désastreuse: Stephen Harper a nommé le juge Nadon; la Cour suprême a déclaré cette nomination illégale, les juges de la Cour fédérale n'étant pas admissibles aux trois postes québécois de la Cour suprême; plutôt que de nommer la seule candidate «légale» des trois, il a nommé le juge Clément Gascon, de la Cour d'appel.

Il était clair que cette fois, ce serait le tour d'une femme. Il était assez clair aussi qu'après n'avoir pas choisi cette candidate deux fois, Stephen Harper allait regarder ailleurs.

Pourquoi? De toute évidence, quand ils sont allés recruter le juge semi-retraité Marc Nadon, les conservateurs étaient à la recherche effrénée d'un juriste plus conciliant avec le pouvoir du Parlement.

Le plan n'a pas fonctionné. Résultat? Le gouvernement a décidé d'annuler totalement le processus de sélection des juges à la Cour suprême.

Comment nommer?

Le plus ironique de la situation actuelle est que les conservateurs, dans l'opposition, ont critiqué sans relâche le processus «secret» de nomination à la plus haute cour au pays.

Il fallait qu'on sache comment on nomme ces juges et qui ils sont. Il fallait un processus dépolitisé.

Les libéraux ont réformé le système, établi une liste de gens à consulter et établi un mode tamisage des candidatures qui aboutit à la création d'une liste de trois noms consensuels - en principe.

Les conservateurs ont commencé par mettre de côté tous les membres non parlementaires du comité de sélection; ils se sont assurés d'en contrôler la majorité. Et maintenant que ce processus se révèle incapable de faire apparaître le candidat de leur choix... Ils l'annulent!

On est donc revenu à la bonne vieille époque des consultations informelles du milieu juridique et à une recommandation faite par le ministre de la Justice au premier ministre, sans la moindre transparence.

Exactement ce que dénonçaient avec raison les conservateurs il y a 10 ans: un mode de sélection dépassé et opaque pour un pivot de la démocratie.

Ça ne veut pas dire que Suzanne Côté n'est pas un bon choix. Peut-être même sera-t-elle excellente, même si on ne sait pas par quel chemin est passée sa candidature.

Ça veut dire que le processus n'offre pas pour le présent et l'avenir les garanties d'indépendance, d'excellence et de transparence nécessaires.

Ça veut dire qu'on s'en remet au bon vouloir du premier ministre.

Ça veut dire qu'on recule de 25 ans et que ça n'a pas de bon sens.