Il n'y a pas de grande surprise ici: Luka Rocco Magnotta a filmé une partie du crime. Il n'allait quand même pas prétendre qu'il y a eu erreur sur le tueur.

Tout consistera donc à déterminer l'état mental de l'accusé. Pas au sens psychiatrique, mais au sens juridique: on peut être atteint d'un trouble mental sans pour autant être déclaré «non responsable». Il faut un tel degré de trouble que l'accusé n'ait pas été capable de savoir ce qu'il faisait, ou de savoir que c'était «mal».

Hier, presque en même temps, un certain Tartamella annonçait la même défense dans son procès pour double meurtre à Longueuil.

Quoi, c'est «l'effet Turcotte» ?

Pas du tout. Rien ne permet de croire qu'il y a plus de personnes accusées qui présentent cette défense. Rien, surtout, ne permet de penser qu'elle réussit davantage, même à notre époque de psycho-pop.

S'il y a un «effet Turcotte», c'est au contraire de mettre en garde tous les jurés au Québec. Comme si elle était devenue suspecte.

Tellement que la défense au procès de Longueuil a cru bon de s'en distinguer, en disant que le cas Tartamella est «à des années-lumière du cas qui vous brûle les lèvres», une référence évidente à l'ex-cardiologue. Comme si un fardeau supplémentaire pesait sur les accusés qui veulent s'aventurer sur ce terrain réputé glissant.

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L'autre effet Turcotte, c'est la prolifération de commentaires médiatiques nous laissant croire que la défense de troubles mentaux est une sorte de truc, un tour de passe-passe avocassier qui sert à mystifier le premier jury venu.

Ce n'est pas le cas. Même Turcotte le sait: un deuxième procès a été ordonné.

Quant à l'effet de mode, il n'a jamais existé. Les annales, au Canada, aux États-Unis et ailleurs, sont parsemées de verdicts fondés sur la folie de l'accusé, et qui ont scandalisé l'opinion.

Bien avant Freud, bien avant la reconnaissance de la psychiatrie, la défense de folie a été reconnue en Angleterre. En 1843, Daniel M'Naghten, un homme atteint de délires religieux, a été acquitté pour cause de folie à Londres après avoir tué à bout portant un homme qu'il avait pris pour le premier ministre britannique.

Le fondement de cette défense n'a rien de mystérieux: on ne condamne pas une personne qui ne sait pas ce qu'elle fait. Cela, même un jury de l'époque victorienne, sans aucune notion scolaire ou médiatique de psychologie, mais armé de son simple bon sens, l'a reconnu chez l'accusé par la description de son comportement et divers témoignages.

La psychiatrie a beau être une science inexacte, sujette à des querelles d'écoles et d'opinions, ce n'est pas pour autant du charlatanisme organisé. Des gens ordinaires sont tout à fait capables d'évaluer la crédibilité d'une thèse bien présentée, et de voir si elle colle au comportement de l'accusé, à ses faits et gestes, à ses paroles.

Chaque accusé est présumé sain d'esprit, en passant. Et les jurés, pris à même la population générale, n'ont pas plus d'intérêt que vous et moi à décharger un accusé de sa responsabilité criminelle.

Il ne faudrait pas, à cause de l'affaire Turcotte, qu'on en vienne à bannir cette défense, qui vise non pas à disculper des criminels, mais à distinguer entre les cas de pénitencier et les cas d'institut psychiatrique.

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Entre 2005 et 2012, le nombre de verdicts de non-responsabilité pour troubles mentaux est demeuré remarquablement stable au Canada. Il a varié de 0,075% à 0,091%.

Les statistiques pour le Québec sont étonnantes, puisqu'on y a enregistré 45% de tous les verdicts canadiens. Mais ces chiffres sont trompeurs et semblent tenir davantage à la manière de compiler les statistiques et à certaines pratiques qu'à un trait sociologique distinctif. Ils incluent une grande variété de crimes mineurs, pour lesquels il n'y a eu aucun débat, tant le diagnostic était évident: patient psychiatrique reconnu, etc.

Au fait, c'est une minorité de cas qui font l'objet d'un débat entre la poursuite et la défense. La psychiatrie n'est pas toujours un champ de bataille. Et quand il y a querelle, elle est très souvent résolue contre l'accusé, même dans des cas psychiatriques, comme Francis Proulx - l'assassin de Nancy Michaud.

Une étude de 2013 qui examine les verdicts de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux pour les crimes les plus graves (meurtre, tentative de meurtre, agression sexuelle) dans les trois principales provinces canadiennes laisse voir un écart beaucoup moins significatif. Entre 2000 et 2005, il y a eu un peu plus de cinq cas d'homicides par année en Ontario, et un peu plus de six par année au Québec. Les deux tiers avaient des antécédents psychiatriques très lourds et documentés.

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Tout ça pour dire ceci: la défense de troubles mentaux n'est ni nouvelle, ni facile, ni illégitime - malgré notre empressement à en finir.

Juger de la capacité des jurés à décider des troubles mentaux sur la base de l'affaire Turcotte, c'est comme juger de la sécurité du transport aérien sur la base d'un accident d'avion.