Sa belle-mère l'a embrassée si tendrement qu'on aurait dit des adieux.

C'était lundi, deux jours avant l'incendie. Ginette Pelletier était allée visiter sa belle-mère de 95 ans, Juliette Saindon. Elle était de bonne humeur. Elle a remercié Ginette d'avoir changé la terre de ses plantes vertes, vu qu'avec ses doigts, c'était devenu difficile.

Elles ont sorti des albums de photos. Elles n'avaient pas fait ça depuis longtemps. Elles ont revisité de grands bouts de la vie de cette mère de sept enfants, fermière.

Et en partant, il y a eu cette accolade inouïe, tellement chargée d'émotion qu'elle en a parlé à son mari: on dirait que ta mère me dit adieu...

Elle n'est jamais ressortie de la Résidence du Havre.

«Est-ce que je peux vous dire que je suis contente d'avoir emmené mes enfants la voir à Noël? À 95 ans, je leur ai dit: «C'est peut-être son dernier...» Elle avait fait un cipâte et ils s'étaient tous rendus la visiter.

Un lecteur ami m'a écrit vendredi qu'après avoir lu tout ça, ces coeurs partis sans préavis, il a appelé sa mère pour lui dire ce qu'il n'avait jamais dit au téléphone: je t'aime.

C'est une sacrée bonne idée, lecteur ami. (Hé, m'man, je t'aime.)

Il y a eu des fleurs, déposées à l'église, pour personne, par un inconnu.

D'où venez-vous, monsieur? «Laissez faire...» Mais votre nom, au moins? «Vous direz que c'est des Tremblay...» Pourquoi? Pour qui? «Vous direz que c'est des gens qui ont vécu des choses semblables au Québec...»

Il m'a tourné le dos. Il est remonté avec son mystère dans sa voiture d'ambassadeur anonyme de la peine nationale.

Les trouveurs de solutions se sont manifestés, vendredi.

Ah, les gicleurs! Vite, les gicleurs! Dans un pays où l'on construit plus de CHSLD que d'écoles, qui est contre des gicleurs dans les maisons de vieux? Et des surveillants? Et des exercices d'évacuation? Et des escaliers de secours?

Je n'ai rien contre. C'est juste qu'on n'a pas encore fini de compter les morts. C'est juste qu'on n'a pas encore compris ce qui est arrivé.

Il a eu beau mettre ses plus petits sabots politiques, ça faisait quand même un léger cloc-cloc quand François Legault est venu nous dire que «les gens en deuil veulent des réponses». Ah bon? Curieux, les gens à qui j'ai parlé ne s'interrogeaient pas vraiment sur la rapidité des pompiers volontaires, ou des ambulances, ou des alarmes, ou des veilleurs de nuit - toutes objectivement d'excellentes questions.

Entendez par là qu'une des grandes différences avec Mégantic, c'est que la mort n'est pas arrivée de l'extérieur. Elle n'est pas arrivée à la faveur de la négligence de gens qui n'ont jamais mis les pieds au village. Elle n'avait pas été annoncée. Le deuil ne se double pas de la révolte. Encore moins de la quête d'un responsable.

C'est au contraire une affaire de famille. N'allez pas faire ici le procès de Roch Bernier, le propriétaire de la Résidence du Havre. Les repas, les planchers astiqués, le service: on n'a que de bonnes choses à en dire. N'allez pas critiquer les pompiers volontaires, qui ont fait ce qu'ils pouvaient avec un équipement minimal, par -20°C, avec le vent du nord.

Le chef Yvan Charon, un homme qui en a trop vu en une seule nuit, écoutait la mairesse donner son point de presse sans rien dire, tandis que sa fille lui frottait le dos doucement.

Il y a eu la solidarité. L'argent pour la Croix-Rouge. Et ces visiteurs des îles de la Madeleine, venus voir leur ami Gérald Pelletier, le bedeau. Il se trouve que les vaches des îles viennent de L'Isle-Verte et que c'est M. Pelletier qui les a vendues. Ça crée des liens.

M. Pelletier a perdu sa tante et sa belle-soeur dans l'incendie. La place me manque pour vous expliquer comment, mais sa tante et sa belle-soeur, c'est une seule et même personne, Mme Lauréa Dubé, 82 ans, qui a élevé neuf enfants au Coteau des Érables, juste ici, et qui tissait comme pas deux.

Arnaud Côté, ce veuf de 84 ans qui a sauvé trois voisines de palier, a perdu tous ses amis et tous ses biens. Il mangeait au Barillet, vendredi midi. Trois nièces étaient venues l'embrasser, de Sorel et de Drummondville. Elles ne le lâchaient pas. Où il couchera lundi, ça, par contre...

Mais déjà on discute des plans de reconstruction.

Marielle Marquis a été enseignante à l'école primaire du village pendant 35 ans. «Tous ceux qui sont morts, j'ai enseigné à leurs enfants, leurs petits-enfants, ils sont venus chercher leurs bulletins...»

Dans le temps, il y avait trois classes par niveau. Il y avait même trois années de secondaire. L'an dernier, ils ont fermé le secondaire. Il n'y a pas plus qu'une classe par niveau. L'école se vide tranquillement, pas vite.

L'ancien maire de L'Isle-Verte, Vital Caron, me disait jeudi qu'à son arrivée à la mairie, en 1991, il n'y avait aucune résidence pour personnes âgées à L'Isle-Verte. On a transformé l'ancien couvent en 1994. Puis on a construit la Résidence du Havre en 1997. Qu'on a agrandie en 2000.

On rapetisse l'école. On construit des résidences. La même histoire se répète dans la plupart des villages du Québec. Dans tout le Québec, en fait.

Tout d'un coup, le Québec se découvre tel qu'il est: un pays qui vieillit. Et demain, un pays de vieux.

Va nous falloir plus que des gicleurs, mesdames et messieurs.