La semaine dernière, pour une rare fois, la Cour suprême avait à l'agenda une cause de droit maritime. Ça tombait bien: son tout nouveau juge, Marc Nadon, est un expert en la matière.

Sauf que le juge Nadon est en rade depuis le jour de sa nomination, le 3 octobre. Il n'a pas siégé et ne siégera pas avant le mois de janvier, au mieux. On l'a forcé à retourner à la maison en attendant que ses huit collègues décident de la légalité de sa nomination, contestée par un avocat torontois.

La situation est sans précédent et franchement embarrassante pour la Cour.

La Loi sur la Cour suprême garantit trois sièges sur neuf à des juges du Québec et précise qu'ils peuvent être choisis parmi le Barreau, la Cour supérieure ou la Cour d'appel. Or, le juge Nadon vient de la Cour fédérale. La loi sera changée pour régler ce problème technique. En attendant, les juges devront décider comment interpréter la loi.

Comme si ce n'était pas assez, le gouvernement du Québec a dénoncé cette nomination pas suffisamment québécoise à son goût: Marc Nadon a fait carrière comme avocat à Montréal, mais demeure à Ottawa depuis plusieurs années.

Tout cela n'est pas la faute de ce juge à peu près inconnu, qui était même «surnuméraire» au moment de sa nomination, c'est-à-dire semi-retraité.

La faute en revient évidemment au gouvernement conservateur, qui a cherché désespérément un candidat susceptible de faire pencher la Cour un peu plus à droite.

Il n'y a aucune autre explication possible à cette nomination d'un juge sur la route de la retraite. Le juge Nadon a eu une carrière parfaitement honorable à la Cour fédérale. Mais on en demande davantage aux candidats pour les postes judiciaires suprêmes. On demande une excellence reconnue par les pairs. Or, le juge Nadon ne s'est distingué ni par sa productivité, ni par ses publications, ni par la qualité exceptionnelle de ses jugements.

On sait par contre qu'il a été le seul juge dans les différentes affaires Khadr à ne voir aucune violation des droits du détenu canadien à Guantánamo. On le voit du côté de la retenue quand vient le temps de contester les décisions gouvernementales.

On se demande comment les représentants du Nouveau Parti démocratique et du Parti libéral du Canada ont pu approuver cette candidature sans relief, mais le comité de sélection finale est formé d'une majorité de conservateurs et ses délibérations sont secrètes.

On peut facilement nommer cinq ou six candidats de prestige mieux placés que le juge Nadon pour occuper le poste, en particulier à la Cour d'appel du Québec - et même à la Cour fédérale. Le système de sélection s'en trouve donc discrédité.

On comprend les conservateurs d'être agacés par la Cour suprême et les tribunaux majeurs du pays. Les exemples de jugements ayant contrecarré le programme conservateur ne manquent pas.

Au début du mois, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que la peine minimale automatique de trois ans pour possession d'une arme prohibée est inconstitutionnelle. Dans cette affaire, un homme sans passé criminel, arrêté par hasard dans une descente alors qu'il jouait avec l'arme de son cousin, faisait face à une peine de trois ans.

«Aucun système de justice criminelle ne peut espérer le respect des citoyens s'il a recours à des châtiments qui dépassent les normes de la décence au nom de la dissuasion et de la dénonciation», écrit la plus haute cour ontarienne.

La Cour ajoutait le fait que d'exposer des accusés à une peine draconienne, sans tenir compte des circonstances, c'est renoncer à la recherche de la vérité - rien de moins.

Des mots très durs, qui ne sont que l'écho d'un très vaste consensus dans le système de justice canadien. Au Québec, au Manitoba, en Colombie-Britannique, des juges ont déclaré de telles peines invalides. Le Barreau du Québec, dans un geste rare, a même entrepris un recours pour faire déclarer nulles toute une série de peines semblables inscrites dans le Code criminel sous les conservateurs.

Or, les peines minimales, importées des États-Unis, sont un des gadgets préférés des conservateurs pour prétendre améliorer la lutte contre le crime. Inutiles pour les cas sérieux parce que les tribunaux les auraient imposées de toute manière, elles sont injustes pour les cas les moins graves. On met sur le même pied un gangster avec une arme chargée à bloc dans sa poche et un citoyen qui a mal entreposé son chargeur.

On peut ajouter le rejet par la Cour suprême du projet de commission nationale des valeurs mobilières, la légalisation du site d'injection supervisée de Vancouver, les critiques très dures envers les agents du Service canadien du renseignement de sécurité dans le dossier Khadr...

Et voilà que la Cour suprême accepte d'entendre la cause du Québec dans le dossier du registre des armes à feu. On ne sait pas ce qu'elle en dira, mais le simple fait de considérer que le fédéral n'a «peut-être» pas le droit de détruire ce qu'il a créé irrite au plus haut point le bureau du premier ministre.

Le juge Nadon n'est donc qu'un pion dans cette guerre larvée entre le gouvernement Harper et le monde judiciaire tel qu'il le perçoit. Sans doute Marc Nadon ne méritait-il pas cela. Mais la Cour suprême non plus, qui se trouve indirectement et très inutilement discréditée par cet imbroglio.