Le président du Collège des médecins a eu beau dénoncer lui-même la légèreté des sanctions infligées aux médecins en matière d'inconduite sexuelle, ça n'a pas eu l'air de changer grand-chose.

Dans une décision rendue le 17 octobre, le conseil de discipline du Collège a dû multiplier par deux la sanction que suggérait le syndic des médecins à l'encontre d'un médecin de Québec qui avait abusé d'une patiente dépressive.

Des gestes répétés et prémédités, parmi «les plus graves que puisse commettre un professionnel médecin», a dit l'avocate représentant le syndic du Collège - la police déontologique, en quelque sorte.

Le médecin avait lui-même amorcé la relation, il inondait la patiente de compliments, lui faisait l'amour au téléphone pendant une heure, lui écrivait des courriels érotiques, et l'a caressée quand elle venait le consulter. Pas de relation sexuelle, par contre.

Le médecin savait pertinemment que cette femme avait été victime d'inceste et était fragile. Elle est d'ailleurs maintenant en profonde dépression.

Bien entendu, en pareil cas, le principe cardinal est «la protection publique», de dire l'avocate du syndic.

Mais voilà, le médecin en question, Georges Boivin, a 73 ans et a fermé sa clinique. Il est à la retraite. À quoi bon l'accabler d'une longue radiation? Trois mois bien théoriques feront l'affaire, plus une amende de 5000$, plaide le syndic, d'accord évidemment avec l'avocat du médecin.

On pourrait renverser l'argument: si l'homme n'exerce plus la profession, et qu'on veut une sanction «dissuasive» pour lancer un message à tous les autres, pourquoi se priver? L'exercice d'une profession est un privilège, pas un droit fondamental, après tout.

Le conseil de discipline a conclu que trois mois, c'était nettement insuffisant. Le médecin avait d'abord nié catégoriquement cette histoire. Cela lui a permis de terminer son bail et de liquider ses affaires, tout en exerçant sa profession. Devant la preuve électronique, il a finalement avoué.

Depuis le temps qu'on parle de «tolérance zéro dans le cas d'inconduite sexuelle», il faut bien constater que «cela n'a pas freiné de façon significative ce genre d'infraction qui non seulement entache la profession médicale, mais porte atteinte inexorablement à la relation patient-médecin», dit le conseil.

Le médecin est donc radié pour six mois, et devra payer une amende de 10 000$.

L'important n'est pas tant la sanction elle-même. C'est surtout que la suggestion complaisante du syndic survient plusieurs mois après la sortie du président du Collège des médecins, le Dr Charles Bernard, qui dénonçait le manque de sévérité de son syndic - du jamais vu.

Il semble bien que le syndic ait décidé d'envoyer promener le président, et qu'il remporte cette lutte interne.

La même politique d'apaisement et de règlement à l'amiable est toujours en vigueur - en radicale opposition avec ce qu'on peut voir en Ontario.

«De toute évidence, la tolérance zéro en matière d'inconduite sexuelle, ça ne veut pas dire la même chose pour moi et pour le syndic!», disait le docteur Bernard en février. C'est encore le cas, apparemment...

L'année précédente, on avait vu le conseil de discipline rejeter une suggestion de deux mois de radiation pour le Dr Claude Gauthier, dans un dossier lourd d'inconduite sexuelle (il a couché avec plusieurs patientes dépressives et on a trouvé des images de porno juvénile dans son ordinateur). Le conseil a plutôt infligé... trois ans.

Mais tous ces messages, qu'ils viennent du conseil de discipline ou du président du Collège, ne semblent rien changer.

«Je suis aussi choqué que vous quand je vois des sanctions trop faibles, je suis aussi un patient, un père, un mari, disait le Dr Bernard. Moi, je suis ici pour protéger le public, pas les docteurs. Ils n'ont pas besoin de moi, les docteurs. Leurs droits sont très bien protégés, ils ont l'ACPM [Association canadienne de protection médicale, qui assure les médecins]. Je ne suis pas ici pour défendre l'indéfendable, et les médecins pourris, je ne veux pas les avoir!»

Une sortie sans précédent, historique, pourrait-on dire. Mais qui n'a pas été entendue par le principal intéressé.

L'ironie de l'histoire est qu'on a rendu les syndics indépendants de leur ordre professionnel pour éviter des interventions «politiques» de nature à affaiblir la discipline des médecins.

Aujourd'hui, c'est au contraire le président de l'ordre qui supplie le syndic de mieux protéger le public!

On a apparemment affaire à un syndic très compatissant pour les médecins fautifs - entre 40 et 50 depuis 15 ans dans les seules affaires d'inconduite sexuelle. On semble faire peu de cas de l'abus de pouvoir et des blessures psychologiques - sauf dans le discours officiel.

C'est juste du sexe, après tout, n'est-ce pas docteur?